Le chef du Parti libéral, Michael Ignatieff. Celui-ci a confirmé hier que ses députés et sénateurs seront de retour sur la colline parlementaire comme prévu le 25 janvier, prorogation ou pas. Photo : Agence Reuters Chris Wattie
Hélène Buzzetti - Ottawa — Après les éditorialistes, les habitués de Facebook et le prestigieux magazine The Economist, c'est au tour des intellectuels canadiens de dénoncer la prorogation du Parlement par Stephen Harper. Une centaine de professeurs de droit, de sciences politiques et de philosophie montent aux barricades, craignant que le premier ministre n'affaiblisse de manière irrémédiable les institutions démocratiques du Canada.
Dans une lettre ouverte qu'ils doivent en principe publier dans La Presse lundi mais dont Le Devoir a obtenu copie, ces universitaires écrivent: «Considérant que le bien public n'est pas servi d'aucune manière plausible [par la prorogation], nous concluons que le premier ministre a trahi la confiance du peuple canadien et qu'il a donc agi de manière antidémocratique.»
La lettre, qui pourrait encore subir quelques modifications, circule depuis dimanche dernier à l'initiative du philosophe Daniel Weinstock, directeur du Centre de recherche en éthique de l'Université de Montréal. Il se fixe un objectif de 150 signatures d'ici demain. Il en avait déjà une centaine hier. Il se limite aux professeurs de droit, de sciences politiques et de philosophie parce qu'ils enseignent la nature des institutions démocratiques.
«Techniquement, aucune règle n'a été violée, alors je voulais essayer de comprendre pourquoi il y avait une raison réelle d'indignation», explique-t-il. Le programme législatif du gouvernement étant à peine complété à 50 %, il est clair à son avis que le premier ministre a prorogé la session pour mettre fin au débat sur les prisonniers afghans.
«L'indignation est supérieure à celle que j'ai vue pour le scandale des commandites parce que ça touche le coeur du fonctionnement de nos institutions. C'est l'intégrité de nos institutions qui est en jeu par opposition à quelques personnes qui font des choses à l'intérieur de ces institutions.»
La lettre indique ainsi que le système politique britannique repose autant sur des règles écrites que sur la coutume. L'absence d'interdit ne signifie donc pas une permission, croient les universitaires. «Nous nous attendons du premier ministre qu'il fasse sa part pour s'assurer que notre système de gouvernement responsable fonctionne, écrivent-ils, et cela implique notamment qu'il fasse preuve de retenue et n'utilise pas les pouvoirs dont il dispose pour se soustraire d'une reddition de comptes au Parlement et au peuple canadien. En prorogeant [la session], le premier ministre n'a pas fait preuve d'une telle retenue.»
L'identité de tous les signataires ne sera connue que demain, mais on sait que Philip Resnick est du lot, tout comme le philosophe Charles Taylor.
Par téléphone
Daniel Weinstock critique aussi le fait que Stephen Harper a fait sa demande de prorogation à la gouverneure générale par téléphone plutôt qu'en personne. «C'est en soi un geste grave», dit-il, et «irrespectueux». Cela a limité la capacité de Michaëlle Jean de demander des explications au premier ministre. «En faisant cela, il lui disait au fond: "Exécute cet ordre et tais-toi."»
Les critiques sont par ailleurs aussi venues du chef du Parti libéral, Michael Ignatieff. Celui-ci a confirmé hier que ses députés et sénateurs seront de retour sur la colline parlementaire comme prévu le 25 janvier, prorogation ou pas. Ils organiseront une série de tables rondes et de discussions pour débattre des enjeux de l'heure, notamment sur l'Afghanistan, l'environnement et la gouvernance.
Selon M. Ignatieff, les agissements de Stephen Harper ébranlent le système démocratique canadien. Il cite la prorogation du 30 décembre dernier, mais aussi celle de 2008 pour éviter d'être renversé à la Chambre des communes, ou encore le congédiement de Linda Keen qui refusait de rouvrir le réacteur nucléaire de Chalk River.
«M. Harper va toujours trop loin et les Canadiens doivent le rappeler à l'ordre. [...] Chaque fois que cet homme se trouve coincé, il ferme les institutions qui contrôlent son pouvoir. C'est ce qui dérange les Canadiens», a déclaré M. Ignatieff.
Selon lui, M. Harper a annoncé la prorogation en croyant qu'elle serait accueillie par un haussement d'épaules. «Ils n'ont pas aimé la façon dont il a misé sur leur cynisme. Les Canadiens ne sont pas aussi cyniques qu'il le croyait.»
Plus de 100 intellectuels dénoncent la prorogation
«Nous concluons que le premier ministre a trahi la confiance du peuple canadien»
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