Au Québec, une majorité «minoritarisée»

Quand la bien-pensance toxique...

Débouche sur le mépris de la majorité minoritaire

«Nous Québécois, nous devons éviter de sombrer dans l’autophobie»

Dans le sillage de mes réflexions sur la bien-pensance (ou les bien-pensances), j’aimerais, d’abord et avant tout, citer ce court texte de Daniel Mativat :

«Aujourd’hui, c’est bien simple, on peut rire de tout à condition de ne pas se moquer des gros, des maigres, des riches, des vieux, des jeunes, des femmes, des homosexuels, des juifs, des Noirs, des flics, des autochtones, des malades, des handicapés, des fous, des chômeurs, des dynamiques patrons de PME, des flics, des militaires, des ayatollahs, des gourous, des immigrants de toutes sortes, des protecteurs de l’ail des bois et des défenseurs de baleines à bosses.»

Évidemment, ces considérations sont caricaturales, et un tantinet exagérées. Mais on peut, quand même, y subodorer un certain «air du temps».

Dans un premier texte sur la bien-pensance, je suggérais que la dialectique « majorité-minorités» est souvent liée, de manière fondamentale, à la fameuse question de la bien-pensance ou de la mal-pensance.

Aujourd’hui, dans nos sociétés, il y a un mouvement, souvent louable, qui propose de respecter les minorités. Défendre les droits des gays et lesbiennes (ou LGBT), c’est un progrès qui nous oblige à prendre en compte la diversité et l’élasticité de l’humaine nature. Même chose pour la défense des droits des immigrés, des fidèles des diverses religions, des Autochtones, et d’une gamme diversifiée de «groupes minoritaires».

Les bien-pensants du fédéralisme et du multiculturalisme (à la Pierre Trudeau, et à la britannique) ne cessent de tenter de nous émouvoir, en nous décrivant les charmes pittoresques de la diversité culturelle et de la reconnaissance des droits des minorités.

Je pense que nous, les Québécois, nous savons très bien vivre dans un univers social caractérisé par la diversité. En ce qui me concerne, un problème lombaire m’oblige à déambuler avec une canne et à prendre, assez souvent, des taxis. Au cours des quatre ou cinq dernières années, j’ai rencontré, seulement trois fois, des chauffeurs "de racine québécoise". Une fois, c’était un Témoin de Jéhovah, qui m’a découragé et désespéré, avec son prosélytisme indécent. Au fil des années, j’ai été conduit, en taxi, par des citoyens d’origine haïtienne, maghrébine, africaine, latino, asiatique, et j’en oublie. Dans 90% des cas, j’ai été comblé d’être ainsi mis en contact avec divers "ailleurs»". J’ai souvent eu des conversations absolument passionnantes et enrichissantes.

Je me rappelle ce chauffeur d’origine tunisienne auquel j’ai demandé de m’amener à l’Hôpital du Sacré-Cœur. C’était la troisième fois que je le rencontrais. Il m’a dit que c’était loin et que ça pourrait coûter cher. Il m’a demandé pourquoi je n’utilisais pas le transport collectif. Je lui ai dit que je n’avais pas le choix, ce jour-là. Pendant le périple, il a arrêté le compteur, lorsque le prix indiqué a été de 25$. Je lui ai demandé le pourquoi de ce geste. Il m’a dit qu’il trouvait que c’était trop cher. Une fois à l’Hôpital, il a refusé tout pourboire, et il m’a indiqué comment revenir chez moi, en combinant, éventuellement, le taxi et le transport en commun.

Quand j’entends dire, assez souvent, très souvent, trop souvent, que les Québécois sont plus racistes, plus intolérants et plus xénophobes que les autres Canadiens, fulgurant est mon courroux. Ce que certaines personnes inconscientes refusent de comprendre, c’est que nous sommes les seuls «Canadiens» qui doivent vivre, en permanence, sur la défensive. Nous savons que, depuis longtemps, nous sommes des "minoritaires continentaux". Nous savons qu’au temps jadis, un certain Durham aurait aimé nous angliciser, et nous savons aussi que d’aucuns aimeraient nous voir disparaître.

Cette année, j’ai passé une partie du mois de mars à Charleston, en Caroline du sud, chez la fille et la petite-fille de Madeleine, ma compagne. Lorsque je prenais connaissance de certaines nouvelles canadiennes et québécoises, grâce à ma tablette, j’étais plus irrité que lorsque je me trouvais à Montréal. Certaines déclarations de Couillard, Trudeau (et quelques autres chantres du "multiculturalisme") m’ont assommé, irrité et enragé.

C’est beau de parler de la splendeur de la diversité et du respect sacré des droits des minorités. Mais ce respect des droits des minorités est, très souvent, à géométrie variable, dans ce formidable pays appelé le Canada.

Dans mon premier texte sur la bien-pensance, je parlais de mon expérience en tant que garçon d’ascenseur, à Ottawa, en 1963. Deux anglophones, contre 50 francophones, ont gagné, et il a fallu parler anglais. Certaines "minorités" ont-elles des droits particuliers?

En 1965, le gouvernement Pearson avait organisé une campagne de recrutement de 50 jeunes universitaires québécois, histoires de franciser, disait-on, la fonction publique fédérale. J’avais, hélas ( ?) été choisi, et on m’a envoyé travailler à la "Indian Affairs Branch" (Direction des affaires indiennes), à Ottawa. C’était au sein du Ministère de la citoyenneté et de l’immigration. La rémunération était formidable, et on m’offrait de payer le coût de la continuation de mes études de maîtrise en sociologie, à l’université d’Ottawa. Mais après trois mois de dégoût et d’humiliation, j’ai démissionné, en expliquant que j’avais été confronté à un double mépris.

Le premier mépris : celui des Autochtones. La politique fédérale, claire et officielle de la "Indian Affairs Branch", consistait à les considérer comme de grands enfants qu’il fallait garder en tutelle. Un des patrons, Mr. Darling, un anthropologue de la Colombie Britannique, n’arrêtait pas de me dire qu’à 21 ans, je ne pouvais pas comprendre la situation des Autochtones, que j’étais un idéaliste, comme lui, il l’avait été pendant sa jeunesse.

Le deuxième mépris : celui des francophones et de la langue française. Il y avait, vis-à-vis de ma pauvre personne, un refus presque unanime, dans ces bureaux. Les plus hostiles étaient des francophones. Plusieurs anglophones venaient, chaque jour, causer avec moi pendant quatre ou cinq minutes, histoire, disaient-ils, de perfectionner leur français. J’ai rapidement compris qu’il n’y aurait pas de francisation.

On m’excusera, je l’espère, mes incursions autobiographiques. Mais je me dois de dire que lorsque j’ai, en 1968, entendu le poème de Michèle Lalonde, «Speak White», j’ai pleuré. Je me suis fait dire, pour la première fois «Speak White, You Frog», lorsque j’avais neuf ou dix ans (en 1954 ou 1955). Mon père était mécanicien et garagiste, à Gatineau. Un jour où il allait à Ottawa, pour acheter des pièces d’auto, je l’ai accompagné, comme je le faisais souvent. Il m’a demandé d’aller faire une petite course pour lui, Bank Street. Lorsque j’ai parlé, le commerçant a hurlé en me demandant de "speak white". Je ne savais pas ce qu’il voulait dire. Je pense que je n’avais encore jamais vu de Noirs, sauf dans Tintin au Congo. Mon père m’a gentiment calmé, tout en réprimant son envie d’aller casser la figure à ce commerçant, fier de sa blancheur.

Je suis en faveur du respect des minorités, et je suis horrifié lorsque je constate que le sort des Autochtones reste aussi intolérable, aussi pitoyable. Mon grand ami, Denys Delâge, a écrit un livre formidable sur la question autochtone : «Le pays renversé».

Mais je crains et pourfends la tartufferie de nombreuses personnes qui, dans leur bien-pensance chafouine, crient leur vénération absolue vis-à-vis des minorités.

Nous qui avons été une "majorité minoritaire", au Québec, nous savons très bien que certains multiculturalistes «trippent» davantage sur les Sikhs ou les musulmans que sur les francophones.

Récemment, dans le journal «Voir», et dans son site Facebook, Normand Baillargeon parlait de la bien-pensance et de la question des minorités.

J’ai alors cité, dans Facebook, un texte de Ray Bradbury sur les minorités. Une demi-heure plus tard, je recevais un message dans lequel un bien-pensant me disait que j’appartiens intellectuellement à l’extrême droite.

Voici ce texte, un peu ludique, de Bradbury :

«Car nous vivons dans un monde de fous qui deviendra encore plus fou si nous laissons les minorités, que ce soit les nains ou les géants, les orangs-outans ou les dauphins, les partisans du nucléaire ou de l’hydraulique, les défenseurs de l’informatique ou les Néo-Luddites, les sots ou les sages, se mêler d’esthétique. La réalité est le terrain de jeu où il appartient à chaque groupe de légiférer. Mais le bout du nez de mon livre, de mes nouvelles ou de mes poèmes marque l’endroit où leurs droits s’arrêtent et où mes impératifs territoriaux entrent en vigueur. Si les mormons n’aiment pas mes pièces, qu’ils en écrivent de leur cru. Si les Irlandais détestent mes histoires sur Dublin, qu’ils se louent des machines à écrire. Si les professeurs et éditeurs de manuels scolaires trouvent mes phrases difficiles à prononcer pour leurs bouches habitués à mâcher de la guimauve, qu’ils mangent leurs gâteaux rassis trempés dans le thé léger de leurs propres cornues. Si les intellectuels chicanos veulent retailler mon ” Merveilleux complet couleur glace à la noix de coco ” de façon qu’il fasse ” zazou “, puissent la ceinture se dénouer et le pantalon tomber.» (Ray Bradbury, «There’s More Than One Way To Burn a Book», 1979.)

En fait, Bradbury était littérairement et intellectuellement obsédé par le fait de brûler ou de charcuter des livres. Et, pendant les années 50, il avait pressenti le fait que certains voudraient, un jour, éventuellement, couper certaines pages, dans des livres, parce que des groupes minoritaires se sentiraient lésés, ou injustement représentés. Il abordait déjà cette question dans son œuvre magistrale «Fahrenheit 451», livre que j’ai fait lire à des centaines d’étudiants en sociologie.

Je vais bientôt clore ce chapitre de ma modeste analyse en disant que j’accepte, réellement et prudemment, la réflexion qui dit que «la démocratie, c’est le gouvernement de la majorité, dans le respect des minorités».

Mais si certaines minorités pensent, au Québec, par exemple, avoir plus de droits que la majorité francophone, et s’Ils pensent que le respect qui leur est dû devrait entraîner le retrait de la Loi 101, alors, là, il y aura de sérieux problèmes.

Si je commets un autre texte, je raconterai un événement surréel survenu, il y a quatre ans, dans l’autobus 165. J’ai été confronté à une totale et déconcertante haine vis-à-vis des French Canadians.

Si les lecteurs de Vigile ne se lassent pas de me lire, je parlerai, dans un prochain texte, de la surutilisation du suffixe «phobie». Je pense que les bien-pensants ignorent le sens réel du mot "phobie". Mais en attendant, permettez- moi de dire que nous Québécois, nous devons éviter de sombrer dans l’autophobie, la "haine de nous-mêmes". Françoise David devrait éviter, dans son purisme turpide, de nous rapetisser et de nous amener à nous "automépriser".

Merveilleuse québécitude !


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1 commentaire

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    25 avril 2016

    L’idéologie Big Other, les autres avant les nôtres

    http://blogelements.typepad.fr/blog/2016/04/intervention-de-fran%C3%A7ois-bousquet-r%C3%A9dacteur-en-chef-adjoint-de-la-revue-el%C3%A9ments-lors-du-colloque-face-%C3%A0-lassaut-mi.html
    JCPomerleau