Le «désenchantement» et le gouvernement Couillard

Le mouvement souverainiste et un possible réenchantement

Une société désenchantée est moribonde

Tribune libre

Depuis que mon métier de sociologue m’amène à tenter de mieux comprendre et de bien saisir le monde dans lequel nous vivons, j’utilise souvent, avec redondance, le vieux concept de "désenchantement", concept mis de l’avant par le sociologue Max Weber, au début du vingtième siècle. Weber constatait, alors, le déclin des convictions religieuses et des croyances tournées vers une vision "magique" de l’univers. En 1919, il avait écrit: «L'intellectualisation et la rationalisation croissantes ne signifient donc nullement une connaissance générale croissante des conditions dans lesquelles nous vivons. Elles signifient bien plutôt que nous savons ou que nous croyons qu'à chaque instant nous pourrions, pourvu seulement que nous le voulions, nous prouver qu'il n'existe en principe aucune puissance mystérieuse et imprévisible qui interfère dans le cours de la vie; bref que nous pouvons maîtriser toute chose par la prévision. Mais cela revient à désenchanter le monde. Il ne s'agit plus pour nous, comme pour le sauvage qui croit à l'existence de ces puissances, de faire appel à des moyens magiques en vue de maîtriser les esprits ou de les implorer, mais de recourir à la technique et à la prévision».

Depuis l’époque de Max Weber, le concept de désenchantement s’est élargi, et il désigne, très souvent, une impression que nous avons, ou pouvons avoir, impression selon laquelle nos sociétés souffrent d’un manque de sens ou d’horizons.

Quand je pense à notre monde, et plus particulièrement à la société québécoise, il m’arrive souvent de me dire que le drame profond qui nous mine, c’est que notre société souffre d’un sérieux désenchantement, d’une pénible impression de n’aller nulle part. On parle souvent du "cynisme" accru des citoyens ou de la désillusion généralisée. Le cynisme et la désillusion sont des entités individuelles, alors que le désenchantement est plus global, plus sociétal.

Réenchanter le monde n’est assurément pas facile, mais le désenchanter presque totalement, cela semble être la mission de l’actuel gouvernement Couillard, un gouvernement de coupures aveugles et non réfléchies, un gouvernement sans horizons autres que le vieux fédéralisme ou le néolibéralisme (capitalisme plutôt sauvage).

Je pense, de manière peut-être candide, que le mouvement souverainiste peut retrouver sa fougue et sa vivacité si, et seulement si, ce mouvement ouvre, ou rouvre, toutes grandes les portes du rêve, de l’espoir et d’un possible réenchantement.

Dans notre histoire sociale, culturelle et politique, il y a eu des moments "magiques", des moments qui ont été marqués par une renaissance de l’espoir et de "l’incantation" du réenchantement. Je pense à la Révolution tranquille des années 60 (je ne veux pas en faire un mythe absolu), ou à la victoire électorale du Parti québécois, le 15 novembre 1976. À un moment donné, dans le cours de notre histoire, un certain Jack Layton a rallumé la flamme de l’espoir d’un nouveau chant. Cela a été rapidement éteint. Plus tard, l’impuissance du NPD et la lassitude profonde provoquée par dix années de gouvernement Harper ont permis, provisoirement, à Justin Trudeau de se prendre pour Merlin le Réenchanteur.

Depuis que "Dieu est mort", ou presque, la grande entreprise de réenchantement, entreprise illusoire et trompeuse, c’est la publicité, laquelle ne cesse de promettre le bonheur sur cette terre, plutôt que dans un hypothétique paradis.

On parle beaucoup du phénomène de la "radicalisation" de certains jeunes, de racines musulmanes ou autres. On oublie souvent de souligner qu’un des facteurs expliquant la montée de ce tragique fanatisme, c’est l’impression de vivre dans un univers désenchanté, sans horizons, sans vision, sans perspectives. Le djihadisme peut donner l’impression, tristement illusoire, de proposer un idéal autre que l’idéal de consommation, proposé par la vidange publicitaire.

Il faut que les jeunes redeviennent intéressés à mieux comprendre leur société, la société québécoise, et à réanimer certains rêves. À force d’entendre parler d’une formidable planète mondialisée, nombreuses sont les personnes qui ne réalisent pas qu’un ancrage "sociétal" est nécessaire et fécondant.

Pendant ma longue carrière de professeur de sociologie au niveau collégial (1966-2003), j’ai vu s’estomper, de manière attristante, l’intérêt de nombreux jeunes pour la société québécoise. Pendant les années 60 et 70, nous offrions un cours facultatif de Sociologie de la société québécoise. Très souvent au fil des inscriptions, nous finissions par ouvrir une dizaine de groupes (parfois plus), groupes d’une quarantaine d’étudiants et étudiantes par groupe. Puis, peu à peu, pendant les années 80 et 90, les inscriptions se sont raréfiées, et le cours a été rayé de la carte.

On me pardonnera, je l’espère, de revenir sur une de mes obsessions. Après avoir longuement réfléchi à la question, je pense que l’un des symptômes fondamentaux du désenchantement québécois, c’est l’engouement "morbide" de nombreux Québécois pour une pléthore d’humoristes médiocres et insignifiants qui "désocialisent" et "dépolitisent" les âmes et les esprits. J'aime beaucoup rire. Mais j'aime rire dans le cours de la vie quotidienne, sans avoir besoin d'un "expert de la joke" (j'ai entendu Mike Ward s'accorder ce titre prétentieux). J'aime rire lorsque de grands humoristes me proposent un menu humoristique appétissant et brillant.

En écrivant ces lignes, je sais qu’un mouvement souverainiste stimulant ne peut pas tout "réenchanter", dans ce monde des changements climatiques, des menaces écologiques, des guerres pléthoriques, et des nombreux réfugiés qui frappent à nos portes. Et j’en oublie.

Je ne sais pas si la personne qui accédera à la direction du Parti québécois, et peut-être du gouvernement, doit proposer un référendum précipité, ou légèrement retardé. Mais je pense savoir que l’espoir est éteint si le projet n’a rien d’enchantant, pour les jeunes et pour tous les autres.

Je termine en disant que je retrouvais récemment une vieille remarque de François Rabelais, laquelle m’a fait penser au charmant boxeur appelé Justin Trudeau : «Comment pourrait-on gouverner autrui quand on ne sait pas se gouverner soi-même ?»

Je retrouvais aussi une réflexion de Diderot : «Aucun homme n'a reçu de la nature le droit de commander les autres.» Puisse Trudeau le deuxième ne pas oublier ces vérités !

L'auteur est sociologue des médias


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5 commentaires

  • Carl Monty Répondre

    27 mai 2016

    Bonne analyse, je me permet d'ajouter quelques commentaires.
    Le désenchantement est non seulement visible, mais aussi provoquer inconsciemment par la classe dominante actuelle, peut-être.
    Ils ont quand à moi, perdu l'essence même de ce qui fait un humain un humain. Je m'explique : exemple, la charte des valeurs proposer par le gouvernement Marois, lamentable échec, faux, très grande victoire pour les adeptes du statu-quo actuelle. Pas ceux pour le Canada uni ou de la mondialisation, rien à voir, mais les autres qui réfute tout changement sociétal qui pourrait mettre en danger leur petit confort quotidien acquis avec plus ou moins d’effort par le biais d'un portefeuille bien garni. Sociologiquement parlant faut le dire, l'argent est l'obstacle majeur pour tout être humain dans sa réflexion sur l'évolution de sa société. Elle vous dénature complètement de vous même jusqu 'a en devenir un demi-humain.
    Je reviens sur la charte des valeurs, j'ai lu toute sorte d'analyse expliquant le comment du pourquoi une telle débâcle. Mais aucune n'a véritablement toucher le fond du problème à mon avis, ce qui n'est guère surprenant en notre société moderne, contrôler par des demi-humains pensant. Le fait est que pour une démarche de cette nature, seule la plus haute instance du gouvernement (Mme Marois à l'époque) possède l'autorité politique morale nécessaire ( surtout avec la piètre opignon des citoyens à l'égard de la classe politique), pour mener à un tel projet à terme. Faire autrement, est un affront direct à tout les membres de la nation en leur avouant de la sorte, que leur vie n'est qu'un dossier parmi tant d'autre et que la Première Ministre n'a guère de temps à consacrer à se genre de discussion de seconde importance. Ils sont désenchanté, mais ont toujours l’instinct et ils l'ont senti, un autre rendez-vous évolutif manqué, voiler par le matérialisme omnipotent si chère à toute religion. Mieux vaut en rire non!
    Perdre de vue que vous demandez à des êtres humains, qui dans la plupart des cas possèdent peu de bien matériel, mais riches en convictions et en croyances, de se mettre à nu pour parvenir à un consensus sociétaire dans le but d'élaboré une charte, à la base d'un projet de société. Démontre très bien que la majorité des biens pensant de notre société ne sont plus que la moitié d'eux même, donc des demi-humains. S'il n'ont pas réalisé toute l'importance que cela représentent pour le commun des mortels au point de laisser un subalterne (ministre) porter le flambeau de cette démarche. Comment peuvent t-il percevoir l'ampleur du (no man land) qui se dessine de plus en plus avec le modèle économique issue du capitalisme. Dont les vertus ont depuis longtemps été remplacer par une réalité sociologique régressive, mais la peur du lendemain des élites. Leur enlève toute objectivité d'une évolution sociétaire saine à tous les membres de cette société, eux y compris. Et ce (no man land) est bien réel, les plus jeunes le perçoivent, leur instinct parle.
    Vous avez constatez un désintéressement des jeunes au cours d'histoire depuis quelques décennies, ce qui est très révélateur, une société sans avenir n'a aucun intérêt pour son passé. Pour savoir ou l'on va, il faut savoir d’où l'ont viens, mais aujourd'hui à quoi bon, puisqu'un simple billet de banque, à préséance sur ma vie entière dans le coeur évolutif de notre société! Peu importe qui sera le ou la future chef du P.Q., pour réenchanter les gens et réanimer l'espoir, il est impératif de régler cette réalité. Tant et aussi longtemps que les demi-humains bien pensant ne réaliseront pas, que plus rien de positif pour l'humanité ne viendras de ce modèle économique et est à l'origine de leur déclin comme être humain, ainsi que celui de toute la société. Rien de tangible ne pourras voir le jour dans un mouvement évolutif sociétaire car trop superficiel. N'avez qu'a constater les discussions autour des changements climatiques, c'est à faire rougir de jalousie n'importe quel humoriste de profession.

  • Archives de Vigile Répondre

    27 mai 2016

    Merci de nous amener à une réflexion saine et en profondeur. Tout comme vous, j'aime rire. Toutefois, rien de vulgaire et d'offensant ne me fait rire. La finesse d'esprit m'emballe. La politique telle que pratiquée me désenchante. Quel gâchis!

  • Jean-Jacques Nantel Répondre

    27 mai 2016

    Je ne connais rien de plus ¨désenchantant¨ que de rêver de battre Couillard. Avant de battre le gros méchant Couillard, on nous parlait de l'extrême importance de battre le gros méchant Charest et, avant ça, les gros méchants Bourassa, Ryan et compagnie.
    Et pour la énième fois, on voit apparaître dans cet article l'idée de propagande fédéraliste voulant que le PQ pourrait être tenté de tenir un référendum ¨HÂTIF¨ alors qu'il s'agit en fait de le tenir dans quatre ans !!! N'oublions pas d'ajouter que ceux qui proposent cela sont des ¨pressés¨ puisqu'ils veulent d'un référendum après vingt-cinq ans d'attente !!!
    L'indépendance ne cessera jamais d'être un projet emballant parce qu'il permettra enfin au Québec d'intervenir de façon utile sur la scène mondiale à une époque où tout s'apprête à changer de façon définitive.
    Enfin, pour ce qui est du désenchantement en Occident, celui-ci provient tout simplement du fait que notre civilisation est devenue assez riche pour éduquer ses peuples; ce qui a fait réaliser à ces derniers que les religions sont des mythes faux. Dans les pays pauvres et aux époques de pénurie, l'homme pauvre et souffrant se fabrique un dieu riche, tout simplement.

  • Marcel Haché Répondre

    27 mai 2016

    Notre désenchantement provient de notre division. Cette division est une conséquence du multiculturalisme canadien, une doctrine de l’état canadien, une doctrine qui opère et qui n’est pas qu’un simple souhait. Le désenchantement provient de cette conscience malheureuse qui Nous fait passer de « peuple fondateur » au statut de simple minorité parmi tous les « canadiens et toutes les canadiennes ».
    Ce n’est pas la vocation du P.L.Q. de Nous réunir. Ce serait plutôt son intérêt de Nous désunir.
    C’est Nous qui sommes la nation. C’est Nous le Pays. Il y a malheureusement tout un électorat dressé contre la nation, le Pays, qui n’a jamais voté avec Nous, mais contre Nous toujours.
    Si le P.Q. ne s’occupe pas de Nous, l’Indépendance c’est du vent. Si le P.Q. ne s’occupe pas de Nous, il subira le même sort que le Bloc, et pour les mêmes raisons.
    L’avenir de la nation repose exclusivement sur le P.Q. Il est plus que temps que ce parti écoute attentivement les attentes de l’électorat. C’est le prix à payer pour que l’électorat soit ré-enchanté.

  • François Ricard Répondre

    24 mai 2016

    Comme vous, je crois qu'il faut "ré-enchanter" nos gens.
    Nous leur proposons l'indépendance qui est, il faut l'admettre, une notion bien abstraite.Chaque indépendantiste, chacun de nous, quand nous parlons d'indépendance, plus ou moins consciemment, nous nous formons une idée de ce nouveau pays Québec. Mais cette notion de pays Québec demeure un exercice personnel, individuel. Pourquoi ne pas en faire un projet national? Pourquoi ne pas demander aux Québécois de définir le pays dont ils rêvent? Pourquoi ne pas demander à la nation québécoise de créer l'état qu'elle veut pour elle-même? Pourquoi ne pas lui confier le projet. le grand projet, de son avenir? Un projet qui touche tout le monde: jeunes et vieux, intellectuels et ouvriers, gauchistes et droitistes, hommes et femmes.
    Nous préférons leur parler de "référendum". Nous avons fait du référendum, qui doit servir lors de l'aboutissement d'un projet, le fer de lance de notre action. Le référendum, de simple outil démocratique, devient le but de notre existence. Plutôt que de demander aux gens de définir le pays dont ils rêvent, nous leur demandons s'il veulent oui ou non d'un référendum et quand? De là, je pense, le désenchantement que vous constatez, M. Baribeau.