Affaire Bellemare

Qui nomme les juges?

Voici comment fonctionne le processus de nomination des juges.

Commission Bastarache


Dany Doucet - Voici l'histoire de Paul, un concierge au chômage qui avait appris dans une petite annonce du journal local que la commission scolaire cherchait un concierge pour une de ses écoles. Emploi mieux rémunéré, avantages sociaux : Paul voulait le poste. Il connaissait un voisin qui travaillait à la commission scolaire. Il y avait tellement de candidats pour le poste que Paul s'est dit qu'il n'avait rien à perdre à demander à son voisin de parler de lui au responsable du recrutement. Paul a finalement obtenu le poste.
Rien à perdre, tout à gagner. C'est tout ce qu'il y a à retenir de cette simple histoire de concierge.
Un avocat qui fait intervenir tous ses contacts pour qu'on parle de lui en bien (au gouvernement, peut-être même au ministre et dans le monde juridique en général) après avoir posé sa candidature à un poste de juge n'a rien à perdre et tout à gagner tellement la concurrence entre candidats est féroce.
D'autant plus qu'avec une rémunération qui atteint maintenant 225 000 $, passablement plus qu'à l'époque de Marc Bellemare, la fonction de juge intéresse de plus en plus d'avocats. C'est sans parler de la pension à vie indexée et s'élevant à jusqu'à 65 % du salaire qui va avec et qui en fait saliver plus d'un.
Voici comment fonctionne le processus de nomination des juges.
LE RECRUTEMENT
Le processus de recrutement commence par une annonce (un avis) publiée dans le journal du Barreau ( ci-contre).
Ces appels de candidatures ne sont pas tous identiques. Ils varient selon la nature du poste, lequel est fonction des besoins de chaque district judiciaire: chambre criminelle et pénale, chambre de la jeunesse ou chambre civile.
Par exemple, pour un juge exerçant dans le district de Baie-Comeau, on cherchera un avocat qui a cumulé de l'expérience dans plus d'un domaine juridique, alors qu'à Montréal on pourrait chercher un avocat plus spécialisé dans un seul de ces domaines.
Il peut y avoir 200 candidats pour un poste à Montréal, mais beaucoup moins à Baie-Comeau -où il y a évidemment moins d'avocats qui exercent -puisque la coutume veut que le juge choisi provienne du même district judiciaire.
En posant sa candidature, l'avocat envoie son curriculum vitæ et une lettre de présentation.
LE COMITÉ DE SÉLECTION
Pour chaque poste déclaré vacant, le ministre de la Justice forme un comité de sélection (qui peut rester le même pour plusieurs nominations). Il y a trois personnes dans ces comités, dont un président.
* Un avocat délégué par le Barreau, une personne respectée par ses pairs.
* Un membre du public, quelqu'un qui n'est ni juge ni avocat, choisi par le ministre de la Justice.
* Un juge, souvent un magistrat avec une fonction administrative (un juge en chef adjoint, par exemple).
En posant leurs questions, ces personnes évalueront les qualités personnelles et intellectuelles ainsi que les connaissances juridiques du candidat.
Elles testeront aussi son jugement, «sa perspicacité, sa pondération, son esprit de décision et la conception qu'elle se fait de la fonction de juge».
L'ENTREVUE
Tous les avocats qui posent leur candidature auront droit à une entrevue en bonne et due forme.
L'endroit est déterminé par le président du comité avec beaucoup de discrétion pour préserver la confidentialité des candidatures.
Les avocats tiennent à cette discrétion, car ils n'aiment pas que d'autres sachent qu'ils ont échoué dans le processus une fois, deux fois, cinq fois...
Beaucoup ne souhaitent pas non plus que les associés de leur cabinet apprennent qu'ils pourraient les quitter pour faire carrière ailleurs...
La confidentialité permet aussi de mettre le processus à l'abri d'éventuelles tentatives d'influencer le processus: «Ah oui, lui, il est bon!» ou «Ah non, pas elle!»
LA COURTE LISTE
Après avoir terminé toutes les entrevues, les membres du comité de sélection soumettent au ministre de la Justice une courte liste de noms qu'ils ont retenus, avec quelques commentaires.
Le ministre prendra ensuite sa décision, et il fera sa recommandation au conseil des ministres. Une année peut s'écouler dans certains cas.
Entre-temps, c'est humain, certaines personnes souhaiteraient savoir quels noms se trouvent sur cette liste.
C'est un secret qui est lourd pour les candidats eux-mêmes, d'autant plus qu'ils ne peuvent plus postuler à d'autres postes de juge qui pourraient se libérer entre-temps. Ils doivent attendre la nomination.
Parce qu'ils ne savent pas si leur nom est sur la liste ou non, comme notre concierge, les candidats n'ont rien à perdre à faire intervenir tous leurs contacts en espérant que de bonnes paroles à leur sujet se rendront jusqu'aux oreilles du ministre de la Justice.
C'est d'ailleurs ce que le ministre Norman MacMillan a dit, cette semaine, qu'il s'était passé: un organisateur du parti lui avait dit que son fils avait postulé à un poste de juge et lui avait demandé de faire le message au ministre de la Justice, Marc Bellemare.
M. MacMillan n'a pas dit qu'il savait que le nom de Marc Bisson était sur la liste. Il a dit qu'il savait qu'il avait postulé pour devenir juge, grosse différence.
LES FUITES
Les fuites sont rares, mais elles existeraient, selon l'ex-ministre de la Justice Marc Bellemare, qui se demandait bien, en 2003-2004, comment des collecteurs de fonds du parti pouvaient connaître les noms des avocats se trouvant sur cette liste.
D'où les fuites peuvent-elles provenir?
Un des membres du comité de sélection peut parler. Aucun avocat à qui le Journal a parlé cette semaine ne croit que le juge ou le membre du Barreau, deux personnes fières du système de justice, se permettraient une telle indiscrétion.
Des questions se posent toutefois dans l'esprit de certains, à tort ou à raison, au sujet du membre du public, qui a moins à perdre.
Le ministre peut aussi causer des fuites en posant des questions autour de lui pour en savoir davantage sur les candidatures qu'on lui a soumises. Rappelons qu'il s'agit d'une nomination à vie que le ministre s'apprête à faire...
S'il parle de cette liste en conseil des ministres, comme l'a dit la vice-première ministre Nathalie Normandeau à l'émission de Paul Arcand cette semaine, cela peut aussi occasionner des fuites.
Ou si le ministre de la Justice consulte le premier ministre avant de prendre sa décision, comme l'a dit Kathleen Weil ce week-end à l'émission de Larocque-Lapierre à TVA, cela ajoute, en théorie, un autre risque.
Chose certaine, il semble exister une confusion quant à savoir qui a le droit de voir cette liste et c'est ce qui est au cœur de l'affaire Bellemare. Ce sera aussi au cœur de la commission d'enquête Bastarache annoncée par Jean Charest cette semaine.


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