Laïcité

Réponse à Serge Charbonneau sur la présence du crucifix à l'Assemblée nationale

Chronique de Richard Le Hir

M. Charbonneau,
Fiouuuu... ! Quel débat !
Laissez-moi vous dire pourquoi je suis favorable à la présence du crucifix au dessus du siège de la présidence de l’Assemblée nationale.
Loin de constituer simplement un symbole religieux, ce crucifix est aussi un symbole politique.
Il faut savoir qu’au moment où il a été installé, nous étions entourés de symboles de la domination des Anglais. À l’époque, le président s’appelait l’Orateur, et son siège était le trône, en rappel de celui de la monarchie qui régnait sur nous. Le gouvernement s’appelait la Couronne, nous étions soumis à l’autorité du lieutenant-gouverneur, et toutes nos références institutionnelles étaient britanniques.
Croyez-le ou non, l’introduction du crucifix était pour l’époque un symbole d’émancipation. Pour être un fieffé coquin, Duplessis n’en savait pas moins se montrer fin renard quand il le fallait. L’installation du crucifix au-dessus du trône de l’Orateur lui permettait de faire d’une pierre plusieurs coups, le rêve de tout politicien.
En effet, il se trouvait ainsi à se concilier à bon compte les bonnes grâces du clergé qui voyait dans la présence de ce crucifix au-dessus du symbole de l’autorité politique qu’était l’Orateur la reconnaissance de son dominium sur les âmes, et la suprématie de son magistère. Les travaux de l’Assemblée se voyaient ainsi recommandés à la grâce de Dieu, et Dieu, c’était l’affaire du clergé.
Pour ceux que Dieu préoccupait moins dans la société québécoise - et il y en avait déjà - le crucifix était malgré toutes leurs réserves un moyen d’affirmer le caractère distinct de la société québécoise. À l’époque, nous n’avions guère autre chose que la religion et la langue pour le faire.
Le crucifix à l’Assemblée nationale, c’était aussi un incroyable pied de nez aux Anglais et au monde de la finance, entièrement entre des mains anglo-saxonnes à l’époque. C’était un moyen de leur laisser savoir qu’ils n’auraient jamais le dernier mot. La lecture des archives de l’époque vous permettrait de vous en convaincre.
Duplessis lui-même y trouvait son compte. L’Orateur, c’est lui qui le nommait. Et, en homme de pouvoir qu’il était, l’idée que tout le monde comprenne que Dieu, c’était lui, était loin de lui déplaire. Les exemples abondent de cas où Duplessis a démontré qu’il tenait le clergé à sa merci. « Charbonneau et le Chef », ça vous dit quelque chose ? Sur un registre amusant, Robert Rumilly - un chroniqueur remarquable malgré toutes les réserves qu'il inspire - raconte cette circonstance où Duplessis rencontrait Mgr Bruchési, archevêque de Sherbrooke si ma mémoire est fidèle. Bruchési, gonflé de son importance, avait, avec beaucoup de condescendance, expliqué à Duplessis qu’il était d’origine aristocratique italienne, et que son nom se prononçait en fait « Brouquési ». Aucunement impressionné, et un tantinet éméché comme il l’était souvent, Duplessis lui aurait répondu : « Brouquési, vous me faites quier ».
Vous suggérez que le crucifix pourrait avoir sa place ailleurs dans l’Assemblée nationale.
Nous connaissons si peu notre histoire que j’aurais peur que nous perdions des pages comme celles dont je viens de vous faire part.
Comment autrement comprendre que l’histoire se découvre avec les yeux d’hier, et non ceux d’aujourd’hui. Aujourd’hui, la présence du crucifix à l’Assemblée nationale vous paraît le comble de l’incohérence. Hier pourtant, c’était un acte de résistance et d’affirmation.
En ce qui me concerne, le choix est simple.
Richard Le Hir


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