Existe-t-il une véritable opposition entre vote authentique et vote stratégique ? Si c’est le cas, d’un côté comme de l’autre, le geste
démocratique serait porté par une conscience malheureuse : « J’agis, mais j’en suis désolé. » Peut-être que certains sont véritablement tourmentés par leur devoir civique, mais il se peut aussi que, dans la plupart des cas, authenticité et stratégie se confondent et que cette apparente opposition ne soit qu’un outil rhétorique, une façon de chercher à convaincre.
En fait, ce recours au pathos de la conscience divisée n’est-il pas un indice de la difficulté de convenir, entre gens partageant l’essentiel, d’une action commune ? Il importe de savoir à quoi cette difficulté est attribuable.
Une interprétation impudique la ferait reposer sur quelque faille psychologique de ses adversaires, mais il semble possible de chercher à comprendre la valeur respective des arguments de part et d’autre, si l’on admet qu’ils ressortissent à des registres de vérité différents.
Le contexte politique moderne est en soi contradictoire. D’un côté, se pose le besoin de former une majorité parlementaire, l’objectif politique fondamental. Cet objectif demande une certaine flexibilité, et c’est d’autant plus vrai dans les sociétés modernes.
Tocqueville constatait déjà ce défi complexe de la démocratie à grande échelle : « Plus le peuple est nombreux et plus la nature des esprits et des intérêts se diversifie, plus par conséquent il est difficile de former une majorité compacte. »
Au Québec, depuis la création du Parti québécois à la fin des années 1960, non seulement l’unanimité spirituelle des Canadiens français a-t-elle subi un coup terrible, mais la population a augmenté de 2 millions d’individus, notamment grâce à l’immigration. C’est plus de gens à convaincre.
On cherche les points d’entente minimaux, mais en même temps, la société moderne travaille à la diversité des esprits et des intérêts. L’époque cultive un besoin d’authenticité qui nous incite à nous définir de manière toujours plus précise.
Le philosophe Charles Taylor a étudié ce dernier phénomène. Selon lui, depuis saint Augustin jusqu’à Jean-Jacques Rousseau, en Occident, le salut moral aurait été conçu dans l’exigence d’un rapport authentique avec soi-même. C’est le coeur chrétien, la voix intérieure, en opposition à la Loi juive. Avec l’avènement de la pensée moderne, une subtile adéquation s’est introduite entre authenticité et originalité : il faut être sa propre mesure, car qu’en est-il effectivement de cette voix intérieure qui n’a plus de transcendance ?
Entre la recherche du consensus et la quête d’affirmation individuelle, il se trouve des contradictions logiques inconciliables. Peut-être faudrait-il revenir sur la notion d’authenticité, la concevoir à travers la nécessité vécue du compromis, car la défaite aux mains du pire est un déshonneur, une faute morale, aurait dit le Philosophe.
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Simon Couillard - Professeur de philosophie au cégep de Drummondville
Retour à la notion d’authenticité
la défaite aux mains du pire est un déshonneur, une faute morale
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