Sarkozy, le chien de garde de Paul Desmarais

« Si le Québec se sépare du Canada, ce sera ma fin » - Paul Desmarais

l'affaire SAGARD

« Si le Québec se sépare du Canada, ce sera ma fin ». Cette confession de Paul Desmarais, qui possède Power Corporation, a été livrée au journal français Le Point en juillet 2008. Elle illustre la force de son idéologie fédéraliste et explique pourquoi Nicolas Sarkozy a été aussi vindicatif vis-à-vis des indépendantistes québécois dans son allocution lors de la remise de la légion d’honneur à Jean Charest, hier. Le président français n’est qu’un homme politique de plus à être tombé dans les filets du puissant empire.
Sarkozy doit tout à Desmarais. En janvier 1995, il renonce à son poste de porte-parole du gouvernement pour appuyer la candidature d’Édouard Balladur aux élections présidentielles. Celui-ci est écrasé au premier tour (18,6% des voix) et Sarkozy se fait huer à deux reprises, en mai et en octobre. Persona non grata. Quel avenir pour l’homme charismatique?
C’est à l’occasion de la remise de la Grande-Croix de la légion d’honneur française, la plus haute distinction, à Paul Desmarais le 15 février 2008, que le nouveau président explique de quelle façon ce dernier lui a porté secours :

« Un homme m’a invité au Québec dans sa famille. Nous marchions de longues heures en forêt et il me disait : Il faut que tu t’accroches, tu vas y arriver, il faut que nous bâtissions une stratégie pour toi. Preuve, cher Paul, que tu n’es pas Français, car il n’y avait plus un Français qui pensait ça. Nous avons passé 10 jours ensemble, au cours desquels tu m’as redonné confiance à tel point que, maintenant, je me considère comme l’un des vôtres. Et, sans vouloir inquiéter tes enfants, je peux dire que je me sens un membre de la famille – l’héritage en moins bien entendu. »

Desmarais a utilisé son puissant empire pour relancer la carrière de Sarkozy, et celui-ci lui rend maintenant les intérêts sur son investissement.
En effet, comment interpréter autrement cette profession de foi fédéraliste jusqu’à l’excès du président de la République française? En qualifiant la moitié des Québécois de « sectaires », « enfermé sur eux-mêmes » et qu’ils « détestent » autrui, Sarkozy relayait ainsi les valeurs de son vieil ami Desmarais, ce franco-ontarien pour qui l’indépendance du Québec signifierait la fin de son idéal franco-canadien.
Sarkozy ne se contente pas de payer ses dettes en paroles, il le fait aussi en actes. En annonçant la privatisation de Gaz de France, l’été dernier, et sa reprise par le groupe Suez, que possède partiellement Power Corporation, il a contribué à enrichir spectaculairement son ami Paul, un des deux seuls étrangers présents au restaurant le Fouquet’s le soir de sa victoire aux élections présidentielles.
Le voici le vrai retour sur placement pour le milliardaire du domaine Sagard, à Charlevoix. La voilà la vraie valeur de l’amitié.
Les autres « amis »
Paul Desmarais a beaucoup d’autres « amis ». En fait, l’homme que le Globe and Mail a qualifié en 2005 de personnalité la plus puissante du Canada1 a ses entrées à peu près partout au pays. On se demande s’il devient ami avec des hommes puissants ou si ses amis deviennent miraculeusement puissants. 2

* Jean Chrétien, ancien premier ministre: Avant de devenir chef du Parti Libéral du Canada, Chrétien a sa place sur le conseil d’administration de la Consolidated Bathurst, une filiale de Power Corporation. France, sa fille, est mariée avec André Desmarais, le fils de Paul. Lorsqu’il devient premier ministre, Chrétien retire l’appui du Canada à une condamnation des violations des droits humains par la Chine après que celle-ci menace de retirer aux firmes canadiennes (dont Power Corporation, représentée par André Desmarais) des projets électriques. Raymond Chrétien, le neveu de Jean, est présentement chez Fasken Martineau, un important cabinet d’avocats dont Power Corporation est client. Auparavant, il était ambassadeur en France. Le conseiller principal de Chrétien depuis trente ans est Mitchel Sharp, qui siège sur la commission Trilatérale de David Rockefeller depuis 1981.
* Paul Martin, ancien premier ministre : Martin commence à travailler pour Desmarais en 1960. En 1974, Desmarais fait de Martin le président de la « Canada Steamship Lines » et le rend incroyablement riche en 1981 lorsqu’il lui vend la compagnie. 3
* Pierre Elliot Trudeau, ancien premier ministre : Il a siégé sur le International Advisory Board de Power Corporation. 4 Son assistant, Ted Johnson, un ami du chef de l’équipe de Jean Chrétien Eddie Goldenberg, a été vice-président et secrétaire de Power Corporation. Michael Pitfield, qui a été secrétaire de cabinet de Trudeau de 1975 à 1979, a été vice-président de Power Corporation et est directeur émérite aujourd’hui.
* Maurice Strong : Cet homme, un « croisement entre Raspoutine et Machiavel », selon la journaliste Ann-Marie McDonald, a été président de Power Corporation jusqu’en 1966. Il est devenu un bureaucrate du Parti Libéral et a été nommé directeur de Petro-Canada lorsque Trudeau a créé la compagnie d’État en 1976. Il a été un architecte de l’accord de Kyoto, un conseiller du président de la Banque mondiale et co-auteur d’un livre avec l’ancien secrétaire soviétique Gorbatchev sur l’établissement d’un nouvel ordre mondial.
* Brian Mulroney, ancien premier ministre : Connaissant Mulroney depuis 1972, Desmarais a été un véritable mentor économique pour lui. Suite à sa défaite électorale en 1993, Mulroney a travaillé pour Desmarais. Son ancient assistant au cabinet ministériel, Don Mazankowski, est présentement le directeur de Power Corporation.
* William Davis et John Robarts, anciens premier ministres de l’Ontario : Ils ont tous deux siégé sur le conseil d’ administration de Power Corporation.
* John Rae , le frère de l’ancien premier ministre ontarien (NPD) Bob Rae : Il est présentement vice-président et sur l’exécutif de Power Corporation.
* Daniel Johnson fils, ancien premier ministre du Québec : Il travaille pour Power Corporation de 1973 à 1981. Il est vice-président du groupe de 1978 à 1981. C’est sous la pression de Paul Desmarais lui-même qu’il a cédé sa place à Jean Charest en 1998.5

On le constate, Paul Desmarais n’est pas un citoyen comme un autre. Son rôle dans la vie ne se limite pas à faire de l’argent et à garder un profil bas. Desmarais crée ses opportunités et il se sert de sa richesse pour aider des amis desquels il espère la même chose en temps voulu. En ce sens, il ne faut pas se surprendre du comportement de Nicolas Sarkozy vis-à-vis des indépendantistes; il fait seulement son travail de chien de garde des intérêts de Power Corporation et de son riche ami, Paul Desmarais.
Ce qui est plus troublant, par contre, c’est le fait qu’en faisant primer ses intérêts privés avant ceux de sa nation, Sarkozy nuit à l’image de son pays et ne représente pas adéquatement ses citoyens. Voilà cependant un aspect sur lequel nous avons peu d’impact et ce sera aux Français d’avoir la lucidité de correctement agir lors des prochaines élections.
Tout ce que nous pouvons faire, d’ici là, est de rappeler le peu de crédibilité du président de la République française à chaque fois qu’il ouvre la bouche pour débiter ses âneries sur une situation qu’il ne comprend pas. Et ne veut pas comprendre.
1. Globe and Mail, 27 octobre 2005 [↩]
2. Plusieurs informations viennent de ce lien [↩]
3. Diane Francis, National Post, 17 avril 2003 [↩]
4. Globe and Mail, 5 août 1994 [↩]
5. Globe and Mail, 27 octobre 2005 [↩]


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