Carte électorale vs démocratie territoriale

Seule la décentralisation de l’État québécois peut renforcer le poids politique des régions

Ottawa — tendance fascisante

Texte publié dans Le Devoir du mardi 25 mars 2008 sous le titre "La décentralisation de l'État pour renforcer les régions"
Le dépôt par la Commission de la représentation électorale (CRE) de ses propositions pour réviser en profondeur la carte électorale du Québec soulèvera un vif débat public au cours des prochains mois. Les premières salves ont d’ailleurs déjà été tirées par des députés dont les circonscriptions risquent de disparaître ou d’être modifiées substantiellement. En éditorial, le directeur du Devoir de son côté
La principale question en litige sera la suppression d’une circonscription dans chacune de trois régions de l’Est du Québec (Gaspésie, Bas-St-Laurent, Chaudière-Appalaches) accompagnée de la création d’une circonscription dans chacune des trois régions qui ceinturent l’île de Montréal (Laval, Laurentides-Lanaudière et Montérégie).
Comme lors du dernier processus de révision en 2001 - alors que la proposition préliminaire de la CRE prévoyait la suppression d’une circonscription en Gaspésie - le principal argument des opposants sera certes que cette réforme réduirait de façon inadmissible le poids politique des régions périphériques. C’est d’ailleurs le même argument que quelques élus municipaux de ces régions ont utilisé, en commission parlementaire en 2006, pour s’opposer à une réforme du mode de scrutin pourtant souhaitée ardemment par la très grande majorité des 2 000 intervenants.
Les deux fois, ceux qui se présentent comme les défenseurs des régions ont eu gain de cause. En 2001, la Commission a reculé et a préféré accorder un statut d’exception aux quatre circonscriptions gaspésiennes dont le nombre d’électeurs se situaient largement en dessous du seuil minimal prévu par la loi. Dans le cas du mode de scrutin, l’opposition de cette poignée d’élus locaux, appuyée par le lobbying de la Fédération québécoise des municipalités, a suffi pour faire retraiter le gouvernement Charest qui a enterré une réforme - introduisant des éléments de proportionnalité dans le scrutin majoritaire actuel - qu’il s’était engagé à mener à terme.
Ces défenseurs des régions agissent certes de bonne foi en bloquant des réformes destinées à revitaliser la démocratie québécoise. Mais ils se trompent en pensant que le maintien des distorsions causées par une carte électorale inéquitable et la préservation d’un mode de scrutin qui l’est encore plus constituent une façon efficace de renforcer le poids politiques des régions périphériques. En réalité, leurs revendications ressemblent plus à un combat d’arrière-garde, défensif et plutôt malsain, qu’à une véritable stratégie pour en assurer la survie et le développement.
Vers un régime de démocratie territoriale
Le combat d’avant-garde consiste plutôt à s’attaquer à la racine du problème: la concentration excessive des pouvoirs à Québec. L’État québécois, un des plus centralisés au monde, doit céder une partie de ses pouvoirs aux instances locales et régionales qui ont été jusqu’ici ses créatures. «Il est urgent de réviser la répartition des pouvoirs dans notre collectivité pour rapprocher des citoyens les pouvoirs de décision et revaloriser les autorités les plus près d’eux pour assurer l’ensemble des services qui affectent la vie de tous les jours», écrivait René Lévesque en 1977.
Malheureusement, comme dans le cas de la réforme du mode de scrutin, ce dernier n’a pas été entendu par ses collègues parlementaires péquistes comme d’ailleurs par tous les gouvernements qui se sont succédés depuis. La Coalition pour un Québec des régions le constate dans le manifeste qu’elle a publié récemment: «Depuis 30 ans, plutôt que de procéder à cette répartition territoriale des pouvoirs concentrés dans l’État québécois, ils se sont contentés de créer des structures régionales administratives non-élues, limitées à un rôle de concertation et de consultation pour ajuster et appliquer les services publics ou des programmes de développement régional et local improvisés par des fonctionnaires au fil des crises et des protestations».
La Coalition déplore d’ailleurs que les communautés locales, les territoires et les régions n’aient toujours pas d’existence politique ni de gouvernements élus et autonomes qui leur permettraient de prendre en charge leur milieu et leur développement, comme elle le préconise. «Les régions centrales tout comme les régions périphériques assistent impuissantes à l’effet dévastateur dans leur milieu de décisions prises en haut lieu le plus souvent sous la pression des grandes entreprises et de leurs actionnaires», ajoute-t-elle.
Situé dans un tel contexte, le processus actuel de révision de la carte électorale revêt donc une importance relativement secondaire. Ce qui importe, à nos yeux, c’est d’assurer une représentation des régions à l’Assemblée nationale, de même que l’instauration d’un régime de démocratie territoriale, toutes dirigées par des élus, assorti d’instances locales et régionales toutes dirigées par des élus et jouissant de pouvoirs décentralisés.
Dans cette perspective, nous préconisons que tous les députés soient élus au scrutin proportionnel sur la base des régions. Dans un souci d’équité interrégional, la représentation de ces dernières tiendrait compte, bien entendu, du facteur démographique. Pour renforcer davantage les régions on pourrait aussi créer une Chambre des régions où ces dernières jouiraient d’une représentation égalitaire.
À court terme, réformer le mode de scrutin
Ces réformes ne pourront certes pas se réaliser à court terme. En attendant, nous préconisons que le gouvernement Charest respecte enfin son engagement en réformant le mode de scrutin le plus vite possible. Il a d’ailleurs proposé la première mouture d’un système mixte avec compensation en 2004. Cet avant-projet de loi a depuis été étudié en commission parlementaire puis le dossier a été transféré pour avis au directeur général des élections, Ce dernier a présenté un rapport, en décembre dernier, où il a validé la formule d’une compensation nationale avec redistribution régionale ainsi que d’un scrutin à deux votes (un pour les sièges majoritaires et l’autre pour les sièges proportionnels). C’est cette formule que nous privilégions. Il s’agirait certes là d’une premier non seulement vers le maintien du poids politique des régions mais aussi de son renforcement.

PAUL CLICHE

membre de la Coalition pour un Québec des régions





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Paul Cliche76 articles

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Membre fondateur du Mouvement pour une démocratie nouvelle et auteur du livre Pour une réduction du déficit démocratique: le scrutin proportionnel ; membre de Québec Solidaire; membre d’ATTAC Québec; membre à vie de la Société Saint-Jean Baptiste de Montréal.





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