Les ministres de la Justice sont habituellement des politiciens effacés et Vic Toews ne cadrait pas tout à fait dans le moule. Le premier ministre Stephen Harper l'a rapidement muté après moins d'un an en poste. Aujourd'hui responsable de la Sécurité publique pour le gouvernement conservateur, il n'a pas modéré ses transports.
Cette semaine, il a mis le feu aux poudres à la Chambre des communes et dans les rangs de millions d'utilisateurs d'Internet au Canada en déposant le projet de loi « sur la protection des enfants contre les cyberprédateurs ».
Il ne faut pas se laisser berner par le nom accrocheur : l'intention ministérielle a bien peu à voir avec la protection des enfants qui pourraient être la cible d'abuseurs qui se servent d'Internet pour harponner leurs jeunes victimes, même si ça peut aussi servir à ça. Le problème, c'est que les spécialistes des questions de crimes contre les mineurs, ceux qui militent pour la protection des libertés civiles et ceux, enfin, qui s'intéressent aux questions relatives à la protection de la vie privée ont tous soulevé des hésitations. Tous se sont interrogés, au fil des années, sur les divers projets de loi, notamment ceux proposés par les conservateurs au Canada, qui cherchent à balancer les libertés individuelles et les abus qui se cachent derrière ces libertés, parfois même aux dépens d'innocentes victimes.
Le ministre Toews utilise le langage provocateur qu'il emploie depuis des années comme ministre, à Ottawa depuis 2006 comme au Manitoba, entre 1995 et 1999. L'homme n'a foncièrement pas changé et son obsession avec la loi et l'ordre n'en démord pas. Il utilise aussi un vieux truc, soit d'associer un projet de loi avec une cible bien précise - les cyberprédateurs - et avec une cible bien précise, les enfants. Mais le texte suggéré peut être interprété de manière bien plus large que simplement doter la police d'outils essentiels pour lutter contre un affreux crime.
À ses yeux, de toute évidence, la police ne peut rien faire de mal. Si les intentions des forces de l'ordre sont généralement légitimes et bien fondées, les gouvernements de pays libres en Occident sont craintifs devant l'idée de vivre dans un état de plus en plus policier. Les Canadiens sont particulièrement frileux à ce qu'on restreigne leurs libertés individuelles qui ont érodé depuis la lutte au terrorisme amorcée après le 11 septembre 2001. Toute tentative à élargir les pouvoirs policiers doit donc être bien expliquée et clairement proposée à la population. Ce qui n'est pas arrivé avec cette plus récente initiative parlementaire des conservateurs.
Non seulement le gouvernement n'a pas expliqué comment les présents pouvoirs de la police doivent être élargis, le ministre Toews a gaffé en plaçant tous ceux qui questionnaient son projet de loi C-30 dans le camp des cyberprédateurs.
Le ministre utilise une tactique simpliste, binaire, que les conservateurs utilisent régulièrement. George W. Bush l'a fait de façon répétitive pendant ses deux mandats à la présidence des États-Unis. « Ou bien vous êtes avec nous, ou bien vous êtes contre nous. »
Les Canadiens ne sont pas dupes.
Quand un ministre propose une loi qui permettra à la police de vous identifier auprès de votre fournisseur de services Internet, il est mieux d'avoir de solides arguments pour le justifier, ainsi que le mécanisme qui encadrera ces interventions policières. Elles sont absentes jusqu'ici et le ministre Toews ferait bien de recommencer ses devoirs.
Aujourd'hui, 80 % des Canadiens utilisent Internet de façon régulière. Toute initiative dans ce domaine touche ainsi une large majorité de Canadiens. Parmi eux, nombreux ont applaudi quand ce gouvernement a restreint le recensement de Statistique Canada parce qu'il portait atteinte à leur vie privée. Ils devraient être tout aussi suspicieux de l'intention du gouvernement dans les pouvoirs qu'il veut se doter quant à leur identité sur Internet. Mais se feront-ils accuser d'être des alliés des pornographes et autres prédateurs sexuels ? Vic Toews limitera-t-il leurs objections à cela ?
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