Si la croissance ne revenait pas ou La sobriété heureuse, oxymore de bobos.

Tribune libre


Le 10 novembre dernier, le ministre des Finances M. Jim Flaherty nous annoncait qu’il reporte d’un an l’atteinte du déficit zéro. Ce deuxième report présume une croissance du PIB de 1,3 % pour 2012, 1,5 % pour 2013 & de 2,3 % en 2014. Notons que ces nouvelles prévisions sont toutes inférieures à celles retenues en avril 2012.
Je cite Gérard Bérubé, du Devoir "Dans sa mise à jour économique, M. Flaherty fait ressortir la vulnérabilité de l’économie canadienne aux externalités. Le ralentissement mondial agissant tel un poids sur les exportations canadiennes et sur le prix des matières premières, le déficit de 2012-2013 serait supérieur de 7 milliards à celui prévu lors du dernier budget…Des cibles qui jonglent avec des coussins sous forme d’ajustement pour risque. Si ces risques ne se matérialisent pas, si l’Europe parvient à se sortir de sa paralysie dépressive sans éclatement et si le mur budgétaire est évité à Washington ; ou si l’économie américaine s’engage plus à fond sur le chemin de la croissance… Donc, beaucoup de « si »“.
Le gouvernement fédéral fait donc le pari de la croissance.
Aujourd’hui le gouvernement du Québec présente son budget revisé. Nous y retrouvons, les mêmes bons & traditionnels remèdes "symptomatiques", diverses augmentations revenus & de réduction des dépenses. Et comme le gouvernement fédéral, M. Marceau assume une croissance économique pour atteindre le déficit zéro prévu en 2013-2014.
La question devient évidente : qu’advient-il si la croissance prévue n’est pas au rendez-vous?
Pour le court terme, les 3 prochaines années, il est possible qu’il y ait une faible croissance. Il est également possible qu’elle soit plus faible, voire une récession. Quel serait alors l’impact? Le gouvernement fédéral a fait quelques scénarios présumant des taux de croissance inférieurs de 1 % à ceux prévus, mais sans allez plus loin. On comprend pourquoi! Ne devrions pas, en "bon père de famille" & compte tenu de l’ampleur et de l’imprévisibilité des défis mondiaux, évaluer les conséquences de scénarios budgétaires plus conservateurs? Par exemple avec une croissance 0 %, avec une décroissance, selon différentes périodes, déterminer le taux critique en deçà duquel notre indépendance économique est menacée. Et se demander comment, selon ces différents scénarios allons-nous atteindre le déficit zéro tout en maintenant un bas taux de chômage? Nous planifions des scénarios comme si le mieux se produira. N'est-ce pas là de l’aveuglement volontaire?
Pour le long terme, 10-20 ans, la situation est différente avec des conséquences qui remettre en question plusieurs de nos institutions. Différente parce qu’il est probable que la croissance, celle qui supporte notre modèle économique, est terminée (voir texte plus bas). Nous comprenons tous(tes) que la croissance sans fin est impossible et que nous avons atteint cette fin. La planète est déjà en surchauffe. Quelles seront alors les conséquences économiques, sociales, environnementales, légales, psychologiques? Comment allons-nous s’en sortir? Quels seront les nouveaux modèles économiques, les nouvelles institutions… Bien entendu je n’ai pas les solutions, mais n’est-il pas le temps de mettre ses questions sur la table?
Pour raffiner votre réflexion sur le sujet et suggérer des pistes de solutions, je vous suggère le texte suivant de M. Jean Gadry (1) paru dans l’excellente revue Alternatives économiques’ en septembre dernier "La sobriété heureuse, oxymore de bobos"
“Ça ne mange pas de pain ! ” est une émission radio de la Mission Agrobiosciences à Toulouse. Elle était consacrée en mai dernier à la frugalité, Voici des extraits de mon entretien avec eux. L’intégralité est sur http://tinyurl.com/9jpoh5m.
Q. POURQUOI CETTE QUESTION DE LA FRUGALITE vous intéresse-t-elle ? Vous dites que vous avez viré votre cuti…
R. C’est vrai. Deux constats ont été à l’origine de mon évolution et celle de plus en plus de personnes depuis une dizaine d’années. Le premier, c’est que dans les pays déjà riches au sens économique du terme, le toujours plus, c’est à dire la croissance, ne s’accompagne plus du mieux vivre, de la cohésion sociale et, souvent même, produit l’inverse : du mal-vivre, des inégalités en progression, du chômage et de l’exclusion, etc.
Second constat majeur, écologique. Le toujours plus produire et consommer nous conduit tout droit à des catastrophes écologiques, dont certaines ont commencé à se manifester, notamment le réchauffement climatique, la biodiversité en chute libre…
Je suis désormais convaincu que, quoi que l’on fasse, la croissance ne reviendra plus, pour de multiples raisons dont les principales sont de nature écologique (voir ce lien http://tinyurl.com/c38aubc).
Q. De très nombreux livres sont sortis ces dernières années, sur le thème de l’abondance frugale ou de la sobriété heureuse. ( J’ajoute à titre d’exemple l’éloge de la richesse…) POURQUOI TOUS CES TITRES SOUS FORME D’OXYMORES, ces contraires réunis en une même expression ? Révèlent-ils des limites conceptuelles, économiques pour penser de nouveaux modèles de société ? Je trouve, pour ma part, qu’ils sont donneurs de leçon et culpabilisants pour les consommateurs.
R. J’ai un point de vue un peu différent. D’abord, pourquoi des mots, apparemment contraires, ainsi associés ? Pourquoi des personnes comme Pierre Rabhi, Serge Latouche ou d’autres ont-ils adjoint « heureuse » à sobriété ?
À mon avis parce que, dans nos sociétés de croissance, de nombreux mots ont été détournés par le système de production de l’avidité permanente.
Le dictionnaire nous dit qu’une personne est sobre, si elle boit et mange avec modération, si elle vit sans excès, sans luxe ou si elle agit avec mesure. Je n’y vois rien de négatif ni de triste. Presque tous les philosophes, passés comme présents, valorisent cette sobriété-là, qui permet de faire la différence entre l’utile et le futile, entre l’usage justifié et le gaspillage, etc.
Ce qui s’est passé c’est que notre système, basé sur la croissance, a eu tendance à dévaloriser la sobriété ou la frugalité pour une raison facile à comprendre : ces mots s’opposent à la croissance perpétuelle du chiffre d’affaires, des ventes, de la production de tout et n’importe quoi. Ceux qui qualifient d’heureuse la sobriété veulent simplement retrouver le sens originel du mot sobriété, qui n’a rien à voir avec l’austérité.
Seconde remarque, vous trouvez cette idée de sobriété heureuse culpabilisante. Ce sera le cas si l’on fait peser sur le seul consommateur individuel le poids des changements nécessaires, changements qui doivent porter beaucoup plus sur des orientations collectives que sur de « petits gestes individuels pour la planète » (lesquels ne sont pas exclus…).
Je trouve moi aussi qu’il serait indécent de demander à des gens qui vivent déjà très modestement – en gros un tiers des Français - de se mettre à la frugalité. Mais la plupart des avocats de la sobriété ne tombent pas dans ces travers. Par exemple, lorsqu’ils parlent de sobriété énergétique, certes ils disent qu’il faut veiller individuellement à ne pas surchauffer les logements, mais ils demandent, surtout, d’engager des investissements massifs d’isolation thermique, source d’emplois utiles, de bien-être pour tous, y compris par la réduction des factures énergétiques. Ils demandent des tarifs énergétiques très progressifs et même la gratuité pour une tranche de consommation « sobre », etc. De même pour l’eau, les transports, etc.
Enfin, je ne crois pas que ces thèmes soient portés par des bobos aisés. Cela a pu être en partie vrai dans le passé, mais ça ne l’est plus. Le public vient très nombreux aux débats sur ce que j’appelle l’objection de croissance, et encore plus depuis que nous sommes en crise profonde. Or ce public est désormais composé de personnes très diverses, en particulier (mais pas seulement) de jeunes qui sont très loin d’appartenir aux catégories aisées.
Q. Pour en venir aux changements nécessaires, que vous appelez de vos vœux, avez-vous UN MODELE ECONOMIQUE NOUVEAU A NOUS PROPOSER ?
R. Je ne propose aucun modèle clé en main. Personne n’est en mesure de le faire et ce n’est pas souhaitable. Je crois que nous devons au stade actuel partir des expériences existantes qui marchent et favoriser leur diffusion par des politiques appropriées.
Il existe des expériences de ce type partout et en très grand nombre : une autre agriculture existe déjà, des énergies alternatives, des logements à très faibles émissions, d’autres modes de transport, d’autres quartiers, des coopératives de proximité, des Amap, une autre finance, d’autres monnaies, etc. La liste est très longue, il faut s’y intéresser en priorité pour « monter en généralité » et envisager alors des scénarios plus globaux.
Q. REPRENONS L’EXEMPLE DES AMAP. En région toulousaine, certaines peinent à trouver des clients. Ne pensez-vous pas que ces nouvelles formes d’organisation connaissent des limites ?
R. Au plan national, le mouvement des Amap se porte plutôt bien mais, en effet, ce n’est pas toujours pas facile en raison du fait, notamment, de la rareté du foncier périurbain à des prix abordables.
Il est donc vrai que les initiatives qui vont à contre courant doivent parfois « ramer ». Reste que la plupart d’entre elles se développent en dépit de la crise. Ensuite, je vois en effet deux limites politiquement surmontables mais qui demeurent fortes.
La première : ces nouvelles organisations ne marcheront pas si on ne réduit pas fortement les inégalités, afin que tous puissent accéder à des modes de vie soutenables.
Seconde limite : jusqu’à présent, les principaux responsables politiques n’ont pas favorisé ces innovations. Au contraire, au cours des dernières décennies, ils ont plutôt aidé l’agriculture productiviste, les productions tournées vers l’exportation, la grande distribution, les transports routiers, etc.
Mais cela va changer. Les grands changements historiques naissent toujours dans les marges, dans les interstices du vieux monde. Ils finissent par en avoir raison si on les aide, si les citoyens se mobilisent, si certains des politiques les accompagnent. Et aujourd’hui les marges sont très actives, au point de sortir de la marginalisation.
Q. Concernant les rapports Nord/Sud, ne trouvez-vous pas qu’il y a UNE SORTE D’ARROGANCE DES PAYS OCCIDENTAUX A PRONER LA FRUGALITE envers des pays comme la Chine ou l’Inde qui ne cherchent, finalement, qu’à disposer des mêmes niveaux de consommation que ceux que nous avons atteints ?
R. On peut effectivement dire qu’il y a une arrogance occidentale, et ce, d’ailleurs, depuis fort longtemps.
Cela dit, à y regarder de plus près, les peuples des pays émergents ou en développement (souvent plus que leurs dirigeants « occidentalisés ») ne sont pas moins conscients que nous de la gravité de la crise écologique. Parfois ils le sont plus, notamment parce que les plus pauvres vont souffrir bien plus que nous de cette crise – c’est déjà le cas - si on ne la freine pas.
Les Nations unies disposent de scénarios sérieux pour que les pays pauvres accèdent à un développement humain durable de qualité sur la base d’innovations de production à faibles émissions, sur la base de l’agroécologie et non des OGM, de la souveraineté alimentaire, etc.
Ces pays, ou les mouvements sociaux qui s’y déploient, savent que vouloir copier ou suivre notre modèle de développement historique, appelé les Trente Glorieuses en France, conduirait à une catastrophe planétaire. Cela dit, ils ont raison de nous demander de balayer devant notre porte.
Q. Ce mouvement vers moins de croissance est-il durable ou un effet de mode, utopique, naïf ? POUR REPRENDRE UN AUTRE ECONOMISTE, OLIVIER GODARD, LA DECROISSANCE EST UNE CHARLATANERIE, par rapport aux enjeux climatiques, car elle nous scotche à la technologie en place. Il préfère donc un scénario où la croissance est suffisamment élevée pour investir dans l’adaptation de l’appareil de production à la nouvelle donne climatique.
R. C’est un très mauvais procès, parce que les objecteurs de croissance défendent l’exigence d’innovations majeures, mais pas la fuite en avant technologiste et scientiste à la Claude Allègre.
Par exemple, l’agroécologie est un ensemble d’innovations majeures. Les énergies renouvelables aussi, sans oublier les modes de transport doux, les logements bien isolés, la ville durable, les Amap, les monnaies locales, la finance solidaire… Les innovations majeures ne sont pas toujours hautement technologiques.
Olivier Godard a raison sur un point : rester scotché aux techniques actuelles serait suicidaire, étant donné qu’elles nous ont menés là où nous sommes. En revanche, ni Olivier Godard ni aucun de ses semblables n’a de scénario expliquant comment et avec quelles technologies miraculeuses on peut diviser par cinq nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, en continuant dans la voie de la croissance quantitative. Je ne suis pas certain qu’il ait consulté les premiers scénarios alternatifs en gestation, ceux de NégaWatt, de Tim Jackson et bien d’autres.
Michel Aubin
Cultivateur
Twitter: vLd maubin1
Facebook: http://www.facebook.com/michel.aubin.90


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    23 novembre 2012

    Toute remontée économique peut être vue comme un "été indien" ou "dead-cat bounce" dans le jargon nyouyeurkais.
    Les vrais remontée de croissance mondiale viendront des investissements martiens (nouvelle occultée : http://www.space.com/18565-mars-rover-curiosity-discovery-mystery.html), ou plus réalistement de stimuli par injection monétaire de banques centrales, le plus souvent empruntés par les états. Nos gouvernements refusant de boucher les trous pour créer des investissements instruments de croissance comme le Fonds des Générations de Jean Charest que j'avais qualifié de Fonds Dégénéré, ou comme le papier commercial de la Caisse des Dépôts et Placements qui n'était autre que des obligations de pacotilles réemballées.
    La création monétaire accroit la masse monétaire pour défiger un système économique. Cette masse monétaire semble analogue au concept d'entropie en thermodynamique, car elle se doit d'augmenter avec le temps. Son pouvoir d'achat décroit parce que le monde est un système fini dit compact.
    Alors toute croissance à venir doit être fondée sur la dégénérescence de sa propre métrique, car un gars tel que vous, Michel Aubin, ne peut doubler chaque année le nombre de carottes dans son champs, malgré les affirmations de Mao inspirées de la "science" de Trofim Denissovitch Lyssenko.
    Le plus comique est que le capitalisme fut inventé par des gens austères, les Protestants qui remettaient en cause les rapports économiques du système féodal. L'État ne pouvait taxer indéfiniment les Juifs ou le Peuple, alors il se devait de mesurer ses dépenses, ou diminuer la valeur de sa monnaie en augmentant les alliages. Similairement pour l'Église qui vendait trop d'indulgences ou recourrait à la simonie.

    Le problème des états est la règle d'emprunter les argents que les impôts ne suffisent pas à fournir, pour régler les déficits de comptes courants dûe au service de la dette. S'ils possédaient les banques, ce ne serait pas grand chose, mais dans le cas adverse, ce sont les banques qui finissent par posséder l'ensemble, car elles ont le monopole d'extraire la monnaie du vide, et donc de nous traire pour les valeurs tangibles. Ce que Napoléon avait jadis remarqué, mais trop tard, pour la Banque de France.