Speak White, Speak What

Bb806e08571da344b51e012499d132b4

"Speak White" - "Speak What"



La dernière fois que j'ai parlé à Marco Micone, c'était en 2001, au moment où l'on dévoilait les recommandations de la commission Larose sur l'avenir de la langue française. Même s'il s'enthousiasmait devant la proposition d'instaurer une citoyenneté québécoise, l'écrivain d'origine italienne confiait du même souffle trouver le débat sur la langue «un peu lassant».

Sept ans plus tard, l'homme que je rencontre dans un café de la rue Monkland, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce qu'il vient d'adopter, ne parle plus seulement de lassitude, mais aussi d'exaspération.
Autour de nous, les gens causent surtout en anglais. Mais ce n'est pas ce qui exaspère l'auteur de [Speak What->archives/99mai/miconewhat.html], un poème qui répondait au célèbre Speak White de Michèle Lalonde. «J'adore vivre à Notre-Dame-de-Grâce pour ça. Parce que j'entends parler le français, l'anglais et parfois d'autres langues aussi. En tant qu'immigré, je me perçois comme un citoyen cosmopolite. Ce qui n'empêche pas qu'il faille rester vigilant et protéger la loi 101», dit l'intellectuel qui a milité au sein du Parti québécois dans les années 70.
Fils d'immigrés italiens arrivé ici en 1958, Marco Micone a déjà raconté son parcours dans le très beau récit autobiographique Le figuier enchanté (Boréal, 1992). Faisant sienne la lutte pour la défense du français dans les années 70, il a aussi été l'un des premiers à parler d'immigration au Québec, ce qui lui a valu des critiques tant au sein de la communauté italienne qu'au sein de sa société d'accueil. Aujourd'hui, l'auteur qui a pris sa retraite comme professeur de cégep pour se consacrer exclusivement à l'écriture - il prépare un recueil de nouvelles sur l'immigration - se fait un peu plus discret, mais continue de jeter un regard intéressant sur toutes ces questions.
Ce qui exaspère surtout Marco Micone, c'est l'actuel discours alarmiste sur la langue qui replonge le Québec dans une culture de la survivance. «Quand on a étudié la littérature québécoise, on sait à quel point cette culture était importante pour les francophones. On avait l'impression qu'on était en train d'en sortir par la Révolution tranquille, grâce à tous les effets positifs de la loi 101. Eh bien, non! Périodiquement, on nous replonge dans ce discours de la survivance qui est, selon moi, très passéiste.»
Ce discours donne l'impression que, quoi que fasse l'immigrant, quel que soit son comportement culturel et linguistique, il ne va jamais satisfaire la majorité francophone de souche. «Il faut toujours en faire plus, malgré des progrès évidents du français», souligne Marco Micone.
Des progrès évidents
Le Québec est une nation cosmopolite riche et irréversiblement francophone, plaide-t-il. Il s'est donné les instruments juridiques, culturels et économiques pour assurer son avenir. Des progrès, ce n'est pas ce qui manque, dit-il, en citant une série de chiffres. «En 1975, 85% des jeunes allophones fréquentaient les écoles anglaises. Maintenant, c'est l'inverse: 85% des allophones fréquentent l'école française. L'un des objectifs de la loi 101, à part le fait de réaliser l'affirmation du français, c'était d'assurer la prédominance socio-économique des francophones au Québec. Et je crois qu'on l'a atteint.»
Quatre-vingt-quinze pour cent des Québécois connaissent le français, rappelle-t-il. «Ceux et celles qui veulent alimenter l'alarmisme sur la langue limitent toujours le territoire à Montréal et, s'ils le pouvaient, le limiteraient au centre-ville. Je trouve ça malhonnête.»
Même dans les cégeps anglophones, fréquentés par 40% des enfants de la loi 101, les effets de cette loi se font sentir, plaide-t-il. «J'ai enseigné dans un cégep anglophone pendant une trentaine d'années. Or, pendant les 10 dernières années, on entendait parler français dans les corridors. C'était des enfants de la loi 101 qui avaient fait le choix du cégep anglophone, mais qui parlaient français entre eux.»
Ne peut-on pas opposer à cet exemple celui d'élèves d'écoles secondaires francophones qui, dans la cour d'école, parlent anglais entre eux? «La situation est tellement complexe qu'on peut aller chercher les situations qu'on veut pour prouver son point», admet l'écrivain. Tout dépend de la façon dont on présente les choses. «Lorsqu'on veut faire peur au monde, on utilise l'indicateur qui est le plus susceptible de frapper l'imagination.» Si on dit que 3900 allophones, enfants de la loi 101, font le choix du cégep anglais, on peut estimer que 3900 sur 157 000 élèves, c'est une goutte d'eau dans l'océan. Mais si on parle plutôt de 50% d'allophones, c'est plus frappant comme statistique. Sauf que, dans les faits, les 4% d'élèves de langue maternelle française qui choisissent le collégial anglais sont plus nombreux (6000 élèves).
Une situation qui rappelle à Marco Micone une discussion qu'il avait eue avec le père de la loi 101 lorsque l'écrivain était militant, dans les années 70. «Un soir, on était cinq ou six au restaurant; Camille Laurin nous avait dit: la raison pour laquelle il faut une loi, c'est bien entendu pour obliger les immigrants à fréquenter l'école française, mais c'est aussi pour empêcher les 10% de francophones qui fréquentent l'école anglaise de le faire. Parce que ces 10% sont bien plus nombreux que tous les allophones.»
Marco Micone se sent insulté par l'ethnocentrisme du discours sur le déclin du français, qui n'admet comme «francophones» que ceux dont le français est la langue maternelle. «Je me suis battu pour le français. Je suis ici depuis 50 ans exactement. J'ai fait le choix de vivre en français à partir du moment où j'ai compris ce qui se passait ici. Et je n'ai pas le droit de me dire francophone! On ne me reconnaît pas comme francophone!»
Il y a un grand malentendu sur ce que signifie l'intégration pour un immigré, observe-t-il. «On peut être intégré tout en gardant sa langue maternelle comme langue d'usage à la maison. L'immigrant est foncièrement plurilingue.»
L'obsession linguistique occulte des problèmes bien plus pressants pour les immigrants, souligne-t-il, notamment celui du chômage. «J'ai été sidéré d'apprendre que 18% des immigrés qui sont là depuis cinq ans sont chômeurs. C'est trois fois plus que la moyenne!»
Et puis, en ressassant le même vieux discours, on oublie que Montréal est déjà ailleurs. «Le discours très étriqué sur la langue nous empêche de prendre conscience d'une réalité bien plus riche et bien plus actuelle qui est celle du caractère cosmopolite de Montréal», dit l'écrivain. Une réalité où le mot d'ordre de Speak White - «change de langue et tu feras partie des miens» - devrait appartenir pour de bon au passé.
(Photo Rémi Lemée, La Presse)
- source


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé