Le Sénat a écrit une page d’histoire mardi — et créé tout un précédent — en suspendant les trois sénateurs qui s’étaient retrouvés dans la tourmente depuis quelques mois.
Mais si Stephen Harper a réussi à se débarrasser de ces sénateurs déchus, leurs démêlés n’ont pas fini de le hanter, car la Gendarmerie royale du Canada poursuit son enquête, laquelle cogne aux portes du bureau du premier ministre à la suite des révélations de Mike Duffy.
Après des semaines de débats, Mike Duffy, Patrick Brazeau et Pamela Wallin ont été forcés de faire leurs adieux au Sénat, hier, suspendus sans salaire mais en conservant — après concession du gouvernement — leurs assurances vie, santé et dentaire.
Tour à tour, ils ont reçu le verdict de la majorité conservatrice et d’un libéral (le Québécois Paul Massicotte), qui ont voté pour se débarrasser d’eux. Une majorité de libéraux et trois indépendants s’y sont opposés, aidés d’un seul conservateur qui a brisé les rangs, le sénateur Hugh Segal — qui n’avait pas caché son opposition.
« Ceci est essentiellement une expulsion sans salaire », a déploré M. Segal, en affirmant avoir « zéro, aucun » espoir de les revoir à la Chambre haute. « Je me sens terriblement mal », a-t-il réagi. Puisque le Sénat les prive d’au minimum deux ans de salaire (d’ici la fin de la session parlementaire), la somme retenue surpasse les dettes réclamées aux sénateurs, a-t-il noté. « Vous avez maintenant une sanction imposée qui, au fond, octroie un profit aux finances du Sénat. »
Une poignée de conservateurs et de libéraux se sont en outre abstenus de voter sur le sort de leurs anciens collègues.
Parmi eux, l’ex-président du Parti conservateur Don Plett, qui avait aussi fortement dénoncé la motion de son parti. S’il s’est abstenu de voter, est-ce dire qu’il a renoncé à ses principes ? « Débile ! », a rétorqué le sénateur, furieux. « Ça ne sert à rien de continuer à se battre quand on sait que la bataille est perdue […] J’ai été aussi loin que je le pouvais. Je ne pouvais rien faire de plus », a-t-il fait valoir en arguant qu’il s’affairerait maintenant à rebâtir le Sénat, dont la crédibilité a « absolument […] été entachée ».
Si le leader du gouvernement au Sénat, Claude Carignan, a lourdement condamné les libéraux qui ont refusé de suspendre les trois sénateurs, il a évité d’adresser les mêmes reproches à ses propres parlementaires qui les ont imités. Mais, visiblement, le caucus conservateur reste divisé ? « Non », a-t-il insisté.
D’autres cas ?
Plusieurs étaient mal à l’aise avec les sanctions, martelant notamment que les sénateurs qui n’auraient peut-être pas dû se faire rembourser certaines notes de frais avaient néanmoins droit à la présomption d’innocence et à une audience.
Mais des sénateurs, tant conservateurs que libéraux, craignaient en outre de créer un dangereux précédent, alors que le vérificateur général épluche actuellement les dépenses de chacun d’entre eux et qu’il a promis de nommer des noms dans ses rapports finaux.
Le sénateur Carignan leur a donné raison, estimant que la punition serait la même pour ceux qui pourraient à leur tour être blâmés. « C’est la première étape, a-t-il convenu. S’il y a d’autres gens qui ont eu le même type de comportement, on doit s’attendre à ce qu’il y ait le même type de sanctions. »
À leur sortie du Sénat, M. Brazeau n’a rien dit, tandis que Mme Wallin a simplement exprimé qu’il s’agissait « d’un jour extrêmement triste pour la démocratie. Si on ne peut pas s’attendre à la règle de droit au Canada, où peut-on s’y attendre sur Terre ? » M. Duffy ne s’était pas présenté au Parlement.
Le leader libéral au Sénat, James Cowan, a de son côté dénoncé un « processus bidon institué par le gouvernement pour des raisons purement politiques », accusant les conservateurs d’avoir voulu clouer le bec des sénateurs « avant qu’ils ne sortent d’autre matériel dommageable qui détruise encore davantage la crédibilité du premier ministre ».
Or, les trois sénateurs ont beau avoir été écartés du Sénat, le scandale ne sera pas relayé aux oubliettes pour autant, ont argué les néodémocrates en notant qu’il y avait toujours plusieurs questions sans réponses et une enquête criminelle en cours.
Aux Communes, l’opposition a notamment tenté d’en savoir plus sur le rôle du sénateur Irving Gerstein — responsable du fonds conservateur qui a payé les frais juridiques de M. Duffy et qui, selon Nigel Wright, aurait aussi prévu de payer la dette du sénateur avant de savoir qu’elle atteindrait 90 000 $. Si le sénateur Gerstein était au courant de l’entente mais n’a rien dit, pourquoi peut-il de son côté rester au caucus conservateur sans être puni ?, a demandé Thomas Mulcair. Le premier ministre n’a pas répondu, sauf pour répéter que les seuls responsables sont MM. Wright et Duffy.
La GRC chez Harper ?
Les plus récentes allégations de M. Duffy au Sénat ont quant à elles attiré l’attention de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui poursuit son enquête sur l’entente qu’auraient conclue M. Duffy et Nigel Wright, l’ex-chef de cabinet de M. Harper qui a payé la dette du sénateur à sa place.
Dans une lettre distribuée aux médias, l’enquêteur Biarge Carrese demande à voir les courriels cités par M. Duffy. Ceux-ci montrent, selon l’ex-sénateur, que ses notes de frais ont été approuvées et font état d’un « script » qu’aurait préparé le bureau du premier ministre pour M. Duffy, afin qu’il affirme à tort avoir contracté un prêt à la banque RBC pour repayer les 90 000 $ au Sénat — alors que c’est M. Wright qui lui a fourni le chèque.
« L’existence de tels documents pourrait potentiellement constituer des preuves de méfaits », explique l’enquêteur dans sa missive.
Interrogé aux Communes à savoir si son bureau s’était aussi fait demander une copie des documents, M. Harper s’est contenté d’affirmer que la lettre a été envoyée à l’avocat de M. Duffy et que son bureau « va offrir à la GRC toute l’assistance nécessaire ».
La GRC se penche aussi sur les cas de M. Brazeau, de Mme Wallin et de Mac Harb (ex-libéral, qui a démissionné du Sénat cet été).
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