Ottawa – Le Canada fait face à une « crise quant à la situation des peuples autochtones du pays », et ce, en raison de la « suppression historique de [leurs] droits » dont ils subissent encore les contrecoups. Au terme d’une visite de neuf jours en sol canadien, le constat que dresse le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est sévère.
Surpopulation dans des logements en piètre état dans les réserves du pays ; un taux de suicide « alarmant » qui est cinq fois plus élevé que chez les jeunes Canadiens qui ne sont pas de descendance autochtone ; un risque huit fois plus élevé pour les femmes autochtones d’être assassinées que leurs consœurs non autochtones ; un taux d’incarcération disproportionnellement élevé. Si les gouvernements canadiens ont bel et bien agi au cours des dernières années pour améliorer les conditions de vie des autochtones, « ces gestes étaient insuffisants », a tranché le rapporteur spécial, James Anaya, au moment de dresser le bilan de son séjour en point de presse à Ottawa mardi.
« Le Canada se classe constamment parmi les meilleurs pays pour son indice de développement humain, et pourtant, malgré la richesse et la prospérité, les peuples autochtones vivent dans des conditions comparables à celles des pays qui arrivent plus bas dans ce classement et où la pauvreté abonde », a résumé M. Anaya.
Après avoir visité six provinces et diverses communautés qui s’y trouvent, le rapporteur spécial a raconté avoir été témoin d’un cercle vicieux, les problèmes d’aujourd’hui découlant de ceux de jadis.
Aux prises avec des pénuries de logements et la surpopulation chronique qui s’ensuit, par exemple, les jeunes des communautés peinent à étudier à la maison, et ceux qui décrochent des diplômes universitaires dans les grandes villes ne reviennent pas dans leur réserve, où ils ne pourront pas posséder leur propre résidence ni même avoir droit à un logement salubre. Puisqu’il n’y a que peu de possibilités d’emploi, ils ont de surcroît peu d’incitatifs à réintégrer la communauté. Quant à la violence dont sont plus souvent victimes les femmes autochtones, elle découle des bouleversements qu’ont subis les communautés en perdant leurs enfants et une part de leur culture à cause des pensionnats, a analysé M. Anaya.
Le problème de fond, résume le rapporteur spécial, c’est que les Premières Nations ont un profond manque de confiance envers les gouvernements, auquel risque de se heurter le projet de loi sur l’éducation promis par Ottawa cet automne. À la veille d’un discours du Trône qui pourrait venir en confirmer les grandes lignes, M. Anaya appelle plutôt Ottawa à mettre son projet en veilleuse pour consulter davantage les Premières Nations, qui affirment avoir été traitées avec indifférence dans un processus unilatéral du fédéral.
« Sans leur participation au processus menant à l’élaboration de cette loi, celle-ci manquera de crédibilité. » Et le rapporteur réclame un financement du système d’éducation « au moins égal » à celui versé aux écoles non autochtones.
« Récits horribles »
Quant aux « récits horribles » de ceux qui ont vécu l’époque des pensionnats autochtones, le rapporteur spécial — qui est professeur de droits de la personne à l’Université d’Arizona — recommande au gouvernement de s’assurer de prendre le temps de faire le point sur ce sombre épisode, pour permettre qu’il y ait réconciliation. M. Anaya enjoint donc à Ottawa de prolonger le mandat de la Commission de la vérité et de la réconciliation aussi longtemps que nécessaire. Les conservateurs ont cependant refusé de fournir certains documents à la Commission — ce qui laisse présager qu’ils sont réticents à bonifier son mandat.
M. Anaya propose enfin de lancer, comme le demandent depuis longtemps les Premières Nations et les partis d’opposition, une « enquête approfondie et nationale » sur les femmes autochtones assassinées et disparues. Là encore, M. Harper a refusé dans le passé d’exaucer cette requête.
Invité à réagir aux observations du rapporteur spécial, le ministre des Affaires autochtones a d’ailleurs évité de commenter ces recommandations pour souligner plutôt les gestes posés par son gouvernement dans le passé et qui ont effectivement été salués par M. Anaya.
« Comme le reconnaît le rapporteur, des mesures positives ont été prises et des défis persistent. Les commentaires du rapporteur nous encouragent à continuer de travailler fort pour obtenir des résultats », s’est contenté de dire le ministre Bernard Valcourt, par l’entremise de son attachée de presse, Erica Meekes.
Les néodémocrates ont cependant interprété différemment les propos du rapporteur spécial qui, selon la députée Jean Crowder, a plutôt confirmé « deux faits importants : les communautés autochtones du Canada traversent une crise et la réponse du gouvernement à cette crise est insuffisante ».
À l’instar de Mme Crowder, le chef national de l’Assemblée des Premières Nations a dit espérer que le rapport de M. Anaya « aide à forcer l’action » du gouvernement fédéral. « Les Premières Nations sont prêtes pour le dur travail. Celui-ci doit débuter maintenant. Il faut que ce soit l’ère de l’action », a déclaré Shawn Atleo.
Peuples autochtones - C’est la crise au Canada, dit le rapporteur spécial de l’ONU
Les conditions de vie des autochtones sont celles de pays pauvres, estime James Anaya
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