Les Québécois ne sont pas plus que les autres menacés par l’apparente uniformisation linguistique inhérente à la mondialisation, et la prégnance de l’anglais.
« Comment sortir de la contradiction à laquelle plusieurs d’entre nous sont présentement confrontés, qui nous fait beaucoup aimer le français collectivement mais nous fait aussi miser beaucoup sur l’anglais individuellement ? Comment faire en sorte que les jeunes Québécois, tout en gardant le goût et le respect de leur langue, disposent des mêmes moyens que les autres pour s’affirmer au-delà du Québec et tirer pleinement profit des horizons sans précédent qu’ouvre la mondialisation ? »
Gérard Bouchard, Le Devoir, samedi 23 juin.
La semaine entre la Saint-Jean-Baptiste et la fête du Canada se prête particulièrement à la réflexion sur l’identité québécoise et sa composante linguistique. Gérard Bouchard a donné le coup d’envoi à cette réflexion dans les pages du Devoir de la fin de semaine en invitant les Québécois à réinventer leur identité.
Cela s’impose et passe, entre autres, par une pratique repensée, à de multiples égards, de la traduction. […]
M. Bouchard a raison d’évoquer les retombées possiblement néfastes de la mondialisation sur la santé de notre langue. Bien sûr, les causes du déclin annoncé sont multiples, mais sur le plan de la forme, impossible de ne pas tenir compte, au Québec, de l’omniprésence de l’anglais ambiant. Il ne s’agit pas de faire l’impasse sur le charabia de l’étiquetage présumé français de certains produits exportés. Cependant, pour dangereux qu’il soit techniquement, ce jargon bigarré est trop éloigné du français pour lui porter atteinte.
Par contre, les Québécois ne sont pas plus que les autres menacés par l’apparente uniformisation linguistique inhérente à la mondialisation, et la prégnance de l’anglais, du globish, semble s’éroder. D’ailleurs, on a observé que plus l’anglais veut s’imposer comme lingua franca, plus s’affirment les langues locales. Les statistiques sur la présence relative des langues sur le Web vont toutes dans ce sens.
Ce sont les traductions de la quotidienneté, de l’anglais au français, qui mettent le français du Québec en péril. Or, ces textes utilitaires souvent spécialisés représentent plus de 98 % des productions traduites.
Mondialisation, culture et traduction
Mondialisation et appartenance géographique à l’Amérique signifient traduction : la proportion des écrits utilitaires (formulaires et publications du gouvernement central, documents juridiques ou commerciaux, affiches, étiquettes, menus, fils de presse, manuels, modes d’emploi, aide en ligne) augmente de semaine en semaine.
Or, nombre de ces traductions, du moins celles que nous sommes en mesure de juger, de l’anglais au français, sont du pur transcodage et, dans le cas qui nous occupe, assimilables à de l’anglais empruntant des mots français. Les structures sont anglaises, le vocabulaire, très souvent aussi, et, surtout, l’esprit. Et ça, c’est une attaque à la culture.
Non, en français, on ne cuit pas des gâteaux, on ne vend pas des lumières, les moteurs n’émettent pas des pulsations, on ne donne pas pour titre Shrek 3 à un film, on ne sert pas les entrées après le potage et on ne commence pas un article en donnant les résultats de sa recherche. Tout ça, c’est de l’anglais, à la manière de l’anglais. Tant qu’on traduira dans ce français-là, de cette manière-là, la langue d’ici sera fragile et, conséquemment, trop faible pour porter une identité.
Fortifier le français
Pour que le français du Québec, linguistiquement précarisé par l’anglais, reste un enjeu de promotion sociale et, surtout, d’identité et de fierté, il doit se renforcer. Aucune chaîne n’est plus solide que son maillon le plus faible. La vigueur de notre culture dépend notamment de la santé de la langue sur tous ses supports et sous tous ses aspects, y compris formel.
On ne fortifiera pas le français si on ne lui conserve pas sa personnalité, française, tout en préservant ses particularismes. Mais l’originalité d’une langue ne consiste pas en ce qu’elle emprunte à la syntaxe ou à l’idiomatique d’une autre. À ce propos, le linguiste Jean Darbelnet écrivait à peu près ceci, s’agissant des anglicismes syntaxiques : la syntaxe est la forteresse de la langue ; la forteresse attaquée, c’est toute la langue qui est menacée. S’y ajoute l’idiomatique, y compris celui des langues de spécialité. Et compte tenu de l’omniprésence des traductions au Québec, du haut de la forteresse, la vigilance tout comme une certaine forme de surveillance s’imposent pour assurer l’authenticité de la langue.
Dans le cadre de la pratique de la traduction, garder la forteresse ne veut pas dire ne jamais baisser le pont-levis. Ce n’est pas se braquer contre le passage dans l’usage d’expressions ou de mots autrefois condamnés (ex. : postédition [au sens de révision d’un texte issu de la traduction automatique] ; comté [au sens de circonscription] ; ambassade française [au lieu d’ambassade de France]) ; c’est, au Québec, refuser qu’on nous traite comme des anglophones ou des Canadiens parlant accidentellement français. Il y a des limites à ne pas franchir et il faut se garder de confondre métissage et invasion.
Une langue authentique, c’est ce qu’on veut partager avec les immigrants, qui sont encore plus que les Québécois francophones, on le comprend bien, des consommateurs de traductions utilitaires. Dans une perspective interculturelle, le français et les traductions authentiquement françaises sont des instruments d’association et non d’assimilation.
Les veilleurs
Sur fond de crise sociale, la campagne électorale prochaine ne saurait faire l’économie des questions reliées à la langue et, de ce fait, à la culture. Pourquoi les politiques n’en profiteraient-ils pas pour mettre le français au coeur de leurs actions à venir ? L’occasion serait parfaite pour les gérants de notre avenir linguistique de garantir l’authenticité de la langue des écrits originaux ou traduits. L’État, par l’Office québécois de la langue française, ou autrement, se doit d’assumer son rôle de veilleur en cette matière.
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Louise Brunette - Traductrice et professeure au Département d’études langagières de l’Université du Québec en Outaouais
La réplique — Langue française
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