Très proche Moyen-Orient

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Les manipulations du lobby sioniste

Le philosophe et mathématicien anglais Bertrand Russell démontrait qu’il n’est pas possible de résoudre un problème si, dès le départ, l’on s’efforce d’empêcher toute possibilité de le poser. Je pense souvent à Russell. Pas seulement parce qu’il a toujours mis sa vive intelligence à contribution pour diminuer les souffrances de l’humanité, mais aussi pour une raison toute bête : il me suffit de lever la tête pour que mes yeux admirent au mur un très beau portrait réalisé chez lui en 1961 par l’excellent photographe montréalais Gaby. À 88 ans, Russell venait d’être arrêté pour avoir maintenu, comme toujours, le cap de son idéal pacifique.

C’est à Russell que je songeais lorsque, dans le plus récent épisode de la guerre en Palestine, j’ai lu les déclarations de Ron Dermer, ambassadeur d’Israël aux États-Unis, qui affirme que l’armée de son pays devrait se voir décerner rien de moins que le prix Nobel de la paix tant elle a fait preuve d’une « retenue inimaginable » à Gaza. Cette nouvelle guerre, à en croire l’ambassadeur, ce serait donc ni plus ni moins que la paix, mais affirmée sous un autre nom…

Une armée moderne sait écraser le sens commun sous l’épaisse croûte d’une novlangue maniée par des communicants professionnels, ambassadeurs ou autres. Un peu comme dans Alice au pays des merveilles, où le personnage bien rebondi d’Humpty Dumpty donne lui aussi aux mots le sens qu’il veut bien leur donner, selon les circonstances et les êtres auxquels il s’adresse.

De tout temps, le langage de la guerre a permis de produire de tels bonds en avant. Il suffit de répéter ce qui doit tenir lieu de vérités. Dans ce journal, le 4 août, je lis par exemple une tribune de David Ouellette, directeur associé au Centre consultatif des relations juives et israéliennes. Il écrit : « Aucune armée au monde ne prend autant de précautions qu’Israël pour épargner la population civile palestinienne. Aucune autre armée au monde ne révèle à son ennemi où et quand il va frapper. »

Le lendemain, dans le même espace du Devoir réservé aux lecteurs, nous pouvions lire une pétition en faveur d’Israël rédigée par ce grand ami de la démocratie et des démunis qu’est Éric Duhaime. Il écrit notamment : « Aucun pays ne prend autant de précautions qu’Israël pour épargner la vie des civils. Aucune autre armée au monde ne prévient l’ennemi du lieu et du moment précis de ses frappes ciblées pour éviter des pertes de vies innocentes. » Des phrases qui ressemblent à s’y méprendre à celles publiées la veille, mais sous la plume d’un autre.

Soit ces messieurs sont tellement inspirés par un idéal commun qu’ils en arrivent à produire avec brio le même mot à mot sans se consulter, soit ils s’inspirent en fait de lignes déjà prémâchées pour donner en bouillie aux médias. En faut-il davantage pour jeter le discrédit sur pareille psalmodie ?

Il n’est pas dans mon intention de faire valoir, même à titre de précision utile, qu’Israël demeure la seule armée d’occupation qui bombarde à répétition les civils palestiniens. En 2009, la précédente offensive à Gaza en avait tué 1400. Cette année : plus de 1800 morts déjà. Joël Lion, consul général d’Israël au Québec, écrit néanmoins le 8 août dans les pages du Devoir que l’armée israélienne n’a « jamais directement ciblé délibérément des civils ». Reste que ce sont des civils qui meurent dans les attaques d’une des armées les plus puissantes au monde.

Comment faire pour remuer le système d’idées qui permet à ces gens, ici comme ailleurs, de jeter le voile sur un large pan de la réalité ? Ne compteraient pour rien, à les entendre, l’occupation de Cisjordanie, le blocus économique de Gaza et la colonisation croissante des terres palestiniennes par des colons juifs, au mépris des nombreuses résolutions des Nations Unies.

Les intellectuels québécois, a-t-on entendu dans cette vaste opération de communication au service de la guerre, auraient l’indignation toute sélective. Ils ne crieraient leur indignation que pour la Palestine. Pour le reste, en matière humanitaire, tout ne serait que « silence assourdissant ». Qu’est-ce qui permet à ces gens-là d’affirmer que ces mêmes intellectuels ne se mobilisent pas pour d’autres causes ? J’en connais pour ma part tout un lot dont la feuille de route dépasse largement le conflit israélo-palestinien, un conflit qui, faut-il le souligner, reste néanmoins exceptionnel tant par sa durée que par la réalité qu’il impose à une population civile.

Aucune aversion pour les visées condamnables du Hamas et de ses supporters ne doit nous empêcher de décrier les actes de barbarie qui sont commis à ce titre contre toute une population.

Qu’une Lise Ravary se sente le besoin d’écrire au National Post pour dénoncer Le Devoir parce qu’on y entend, dit-elle, trop d’avis critiques à l’égard de la politique d’Israël, se passe de commentaire. Mais qu’elle affirme à ses lecteurs de Toronto qu’il y a heureusement Le Journal de Montréal et Radio X au Québec pour faire entendre des points de vue pro-Israël « crédibles » et « qu’on entend nulle part ailleurs » confine à un éloge de la paresse élevé en monument.

Je laisse volontiers à ces gens si épris de vérité le soin de prendre une fois de plus la défense unilatérale d’un petit État pacifiste, militairement sous-équipé, mal protégé et de surcroît sans alliés d’importance, tout en se croyant autorisés à donner dans la foulée de grossières leçons de journalisme.


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