Un acte citoyen contre l’injustice

Désobéissance civile - Printemps québécois


La désobéissance civile appartient à une longue et honorable tradition de luttes où de simples citoyens et citoyennes ont bravé ouvertement les interdits pour combattre l’injustice et obtenir des droits que l’on tient aujourd’hui pour acquis.
« Je soutiens que quiconque enfreint une loi parce que sa conscience la tient pour injuste, puis accepte volontairement une peine de prison afin de soulever la conscience sociale contre cette injustice, affiche en réalité le plus grand respect pour le droit… N’oublions jamais que toutes les actions d’Adolf Hitler en Allemagne étaient “légales”. »
Martin Luther King, Jr.


En tant qu’instrument de combat collectif, la désobéissance civile naît en Afrique du Sud, il y a plus d’un siècle. Un projet de loi de la colonie britannique cherche alors à limiter l’immigration asiatique et à imposer aux ressortissants indiens l’obligation de porter en tout temps un certificat d’identité, sous peine de se voir arrêtés lors de rafles dans les rues ou de perquisitions à domicile, pour ensuite être poursuivis ou déportés. Le 11 septembre 1906, au Théâtre impérial de Johannesburg, un jeune avocat indien, formé en Angleterre, invite 3000 des siens à prêter serment : jamais ils ne se soumettront à cette infâme « Loi noire », même au prix de leur vie. Ils devront également résister sans violence. Cet avocat s’appelait Gandhi. La première grande action de désobéissance civile de masse était née.
Une semaine après le serment, le gouvernement accepte de soustraire les femmes à la loi qui entre néanmoins en vigueur, en 1907. Une campagne de résistance s’amorce. Malgré la répression, la mobilisation est si efficace qu’à peine 511 des 13 000 Indiens vivant en Afrique du Sud se soumettent à l’inscription obligatoire pour obtenir le certificat. Il faudra huit années de lutte intense et l’emprisonnement de milliers d’Indiens, dont l’arrestation à répétition de leur principal dirigeant, Gandhi – que le monde découvre pour la première fois – pour que la loi soit enfin abrogée.
C’est durant l’un de ses séjours prolongés en prison que Gandhi prend connaissance d’un texte de Henry David Thoreau que lui a recommandé son ami Léon Tolstoï dans une de ses lettres. Soixante ans auparavant, en 1846, Thoreau, poète naturaliste et abolitionniste américain, se fait arrêter pour avoir refusé de verser six années d’impôts à un gouvernement qui soutient l’esclavage et mène une guerre contre le Mexique. Il passe une nuit en prison et, à son plus grand regret, une tante bien intentionnée verse les arriérés en son nom. Mais l’événement le marque profondément et le conduit, deux ans plus tard, à prononcer ses célèbres conférences sur les droits et les devoirs de l’individu face au gouvernement. Publié en 1849 sous le titre Résistance au gouvernement civil, ce texte est réédité de manière posthume en 1866 sous le titre La désobéissance civile. Le terme inspirera grandement Gandhi qui l’adoptera pour décrire ce qui deviendra sa principale arme dans sa lutte pour l’indépendance de l’Inde.
Principales caractéristiques
C’est en tant que « civile » que la désobéissance montre ses caractéristiques politiques fondamentales. Puisant à l’analyse de Christian Mellon, jésuite spécialiste de la question, nous en évoquerons quatre. Premièrement, il s’agit d’une action essentiellement citoyenne, comme l’origine latine du mot « civile » (civis) l’indique, qui interpelle la collectivité, la société en son entier.
Deuxièmement, c’est une action politique. Elle n’est ni délinquance, ni quête de profit personnel. Elle est mue par une motivation responsable en faveur de l’intérêt collectif. Il s’agit d’un geste public et politique, souvent conjugué à différents moyens (ultimatum, théâtre, humour, interventions médiatiques, symboles culturels, etc.) pour interpeller l’ensemble de la société. L’élément « désobéissance » traduit d’abord la notion de transgression, d’infraction, le fait de commettre délibérément une action interdite par la législation ou la réglementation en vigueur. Pensons à l’occupation des sièges réservés aux Blancs lors de la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis, qui a popularisé la tactique du sit-in. Il peut aussi s’agir d’une omission intentionnelle, du refus d’accomplir un acte auquel la loi nous oblige. Rappelons-nous la décision du Front commun de 1972 de défier la loi de retour au travail, entraînant l’arrestation des trois principaux chefs syndicaux du Québec.
Ensuite, c’est une action non-violente. De la même manière qu’on oppose les civils aux policiers ou aux soldats, seule la désobéissance « démilitarisée », donc sans arme et sans violence, peut être civile. Elle ne cherche pas l’anéantissement physique de l’opposant, mais plutôt l’élimination des comportements ou pratiques injustes et des règles iniques. Elle s’inscrit dans l’éventail des méthodes de ce qu’on appelle l’action non-violente – qui recoupe une diversité de moyens d’intervention tels le boycott, la grève-occupation, la non-coopération, le barrage routier, le blocage d’édifice, le sabotage matériel ne mettant pas en danger autrui – en dehors des mécanismes officiels, parlementaires ou institutionnels. Il importe ainsi de distinguer la non-violence des formes traditionnelles d’expression et de contestation démocratiques sans violence (vote, manifestations, pétitions, etc.).
Finalement, c’est une action caractérisée par la « civilité ». Elle s’appuie sur la profonde vertu de la citoyenneté, une certaine bienveillance empreinte des valeurs que sont le respect et la démocratie. Elle incarne au mieux la vision d’un monde meilleur dont elle se veut le germe. Elle sera d’autant plus puissante qu’elle manifestera civisme, savoir-vivre et courtoisie, en même temps que la résistance la plus déterminée face à l’injustice.
Un dilemme pour les autorités
La désobéissance civile ne se limite donc pas à enfreindre la loi. Elle implique un élément de défi public assumé. Elle cherche à accroître la visibilité du geste et à forcer les autorités comme la société à juger du bien-fondé de la cause défendue par une action menée à visage découvert, revendiquée par tous ses participants, qui en assumeront les conséquences. Face à une telle situation, les autorités sont invitées à laisser l’infraction se dérouler librement ou à la réprimer. Dans le cas prévisible où les policiers se présentent sur place pour appliquer la loi, la fuite est hors de question. L’arrestation ou l’amende sera, au contraire, accueillie comme l’occasion de publiciser et de dramatiser la cause, notamment par la tenue du procès éventuel qui servira de plate-forme à la diffusion de l’argumentaire social, écologique et politique de l’action.
Bien conçue, la désobéissance civile pose ainsi un dilemme insoluble aux autorités : en ignorant le défi lancé par l’acte de désobéissance, celles-ci abandonnent à ses responsables de nouveaux espaces de résistance. En choisissant la répression, les forces de l’ordre risquent de déclencher un mouvement de sympathie qui profitera encore à la résistance, si la cause est juste, bien entendu, et bien comprise par l’opinion publique.
La désobéissance civile demeure l’un des plus puissants moyens de l’arsenal non-violent. Comme toute arme redoutable, elle exige un fin jugement stratégique, une formation poussée et un habile déploiement tactique. Parce qu’elle puise aux sources du contrat social – au droit inaliénable de refuser son consentement –, elle est l’acte citoyen par excellence par lequel, ultimement, toute légalité sera remise en cause et recréée.
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Philippe Duhamel
L’auteur, militant, formateur et organisateur spécialiste de l’action non-violente et de la désobéissance civile, est membre fondateur de nombreux groupes dont SalAMI et collabore au projet « Nouvelles tactiques pour les droits humains »

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Militant, formateur et organisateur

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