Une capsule de médiocrité

Chronique de Robert Laplante


Robert Laplante
_ BULLETIN DU LUNDI 27 février 2006
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Il y a de ces jours où le récit médiatique nous offre un incroyable condensé de la vie dans la bourgade. Il fallait lire Le Devoir du mercredi 22 février ! Une pièce d'anthologie. Un moment fort dans la chronique de l'enlisement provincial.
S'il fallait une illustration supplémentaire de cette espèce d'incapacité de plus en plus grande du Québec de se saisir et de rester en phase avec sa réalité première, cette édition du Devoir l'aura fournie. En une, deux grands thèmes pour illustrer jusqu'à l'absurde le délire d'impuissance qui tient lieu de mobilisation économique : un article sur le Casino à la Pointe Saint-Charles qui fait frémir la Direction de la santé publique et un autre sur la transformation de l'aérogare désertée de Mirabel en gadget high tech pour faire surgir les mirages touristiques. La recherche éperdue du projet magique, le goût névrotique du think big pour enfin pouvoir s'imaginer jouer dans la cour des grands, cela tient de plus en plus de la régression mentale.
Et dire qu'il s'en trouve des figures de notre pseudo élite de décideurs pour voir là des projets. Des PROJETS ! Cela fait des mois que ça dure, que des énergies considérables sont gaspillées à de pareilles niaiseries. Il fallait la désespérante médiocrité des dirigeants de la SAQ pour nous distraire un peu. Autrement, il aurait fallu faire des efforts encore plus ardus pour trouver le réel. Décidément, le Québec ne se voit plus aller. Trop occupé à désespérer de lui-même de manifeste en manifeste, de catastrophe annoncée en pirouette libérale sur les périls de la dette et le cauchemar démographique. Ce ne sont pas les mythes qui, ici, sont dépresseurs, c'est l'actualité construite en nous tenant à la périphérie de nous-mêmes et qui a fini par imposer les catégories de la pensée du ratatinement, par instiller les thèmes de la résignation jusque dans les manières de se rapetisser l'avenir. Le futur de notre peuple se jouerait donc quelque part entre les projets de Casino et les plages artificielles ?
Heureusement qu'il y a le Canada. Et le journal ne manquait pas de matière pour nous en faire apprécier la grandeur. Il fallait lire :
• Page A2 : Les francophones sont rares dans l'entourage de Harper. Le nouveau Premier ministre se défend : il gouverne en anglais, il y en a pour s'en étonner. Il leur servira donc de l'insignifiance : « Nous avons la capacité en français dans tous les niveaux et dans toutes les capacités du gouvernement. Du charabia pour la galerie et ça suffira pour tous les Verner de ce monde qui vont tenter de faire voir de la grandeur à causer singerie et francophonie avec un ministre unilingue anglais pour mieux nous faire croire que les francophones ont vraiment de l'influence dans ce gouvernement.
• Page A2, toujours. Harper cite le Québec en exemple aux autres provinces. Et c'est ainsi que la bluette bien enveloppée que nous a servie le bon docteur Couillard s'est tout à coup trouvée transformée en motif de fierté nationale. Ottawa donne sa bénédiction. Décidément, tout cela va dans le bon sens. Il suffit de leur lancer quelques symboles en pâture et les voilà plus crédules que jamais, riches de se faire payer en monnaie de singe. Le Québec a vraiment du leadership. Ne reste plus qu'à suivre les conseils de Stephen Harper : « Les provinces doivent maintenant mettre l'accent sur les résultats et pas seulement sur l'argent ». C'est bien noté. Peut-être un autre jugement de la Cour aidera-t-il le Québec à mieux se conformer. Il y a tant de réconfort à obéir.
• Page A 4, cette fois. Harper persiste à vouloir un Sénat élu. Quoi qu'en dise le Québec, il va aller de l'avant. Le journaliste constate que le Premier ministre s'est même « montré cinglant à l'égard de la position du Québec ». Tiens, tiens mais est-ce possible dans ce fédéralisme d'ouverture ? Allons donc ! Une autre cohorte d'inconditionnels, élus, de surcroît. Quoi de mieux pour saper l'autorité de l'Assemblée nationale que de relancer, contre son consentement, une institution entièrement vouée à structurer le conflit de la double légitimité du Qué-Can ? Se faire minoriser ? Confortable, sans douleur. Vivre dans les priorités des autres en toute docilité, voilà notre destin canadian, irresponsables et ingénieux à se trouver des manières de composer avec les exigences de la dignité.
• Page A4 toujours. Un entrefilet, cette fois : Les Québécois auront leur 1200$. Le fédéralisme d'ouverture dans toute sa splendeur : « Notre engagement est de changer le système de financement ( en passant) d'un système où la grande majorité du financement est pour les gouvernements, les recherchistes et les autres politiciens à un système direct aux parents. » Et tant pis pour nos quelque vingt-cinq ans d'efforts et de créativité sociale et communautaire. Il est ouvert aux arrangements, ce Harper, mais à la condition que le Québec soit traité comme les autres : « ces arrangements seront disponibles pour n'importe quelle autre province où les circonstances sont semblables ». De quoi satisfaire les inconditionnels du Canada, pour qui un recul n'est jamais trop grave puisqu'il nous permet toujours de faire avancer le Qué-Can.
• Page A6. En éditorial cette fois, où l'on fait des bulles en commentant le spectacle prévu pour la nomination d'un juge à la Cour Suprême. Cela ne pouvait que nous préparer à voir un député du Bloc Québécois se prendre au sérieux en entrevue alors qu'il nous expliquait comment les travaux du comité allaient aider à démarquer l'exercice de l'esprit américain qui l'a inspiré. Truely canadian. Il va faire partie du spectacle télévisé, et il fera sérieusement son travail. Il ne sera pas dit que les séparatistes ne savent pas faire tourner les comités. Et nous devrions être fiers de lui ?! Il est responsable. Le Bloc nous l'avait promis. Et voilà comment un parti prônant la sortie du régime sert à en consolider l'une des plus fortes institutions.
Décidément, la lucidité ne se porte bien que dans les manifestes des notables. Les indépendantistes ne se voient pas aller. Les Québécois, pas davantage, qui ne se voient plus autrement que dans le flou, le regard perdu dans la graisse de bine canadian. Ce mercredi, le journal nous a servi la langue de suif qui nous tient lieu désormais de moyen d'expression. Cela nous préparait bien à ce qu'on nous a offert le surlendemain : du grand leadership de la province de Québec qui a fait chauffer à blanc les délibérations du Conseil de la fédération sur le financement post-secondaire. Heureusement que Jean Charest a multiplié les appels au calme pour plaider la patience; autrement le sentiment d'urgence aurait pu faire des dégâts et gâcher le souper chez Harper. Le déséquilibre fiscal en entrée, la normalisation au dessert. Minoritaires pour la corvée de vaisselle.
Il avait bien raison, notre Premier sous-ministre. Il faut y aller par étape. C'est un étapiste lui aussi. Tranquillement, pas vite, il faut répondre aux urgences québécoises en faisant preuve de la patience requise pour doter le Canada de bonnes solutions nationales. D'ici là, les notables de la bourgade pourront toujours se donner des frissons en commentant les rapports de l'Institut économique de Montréal sur la nécessité de hausser les frais de scolarité. Un autre manifeste avec ça ?
Pour calmer les têtes brûlées qui prétendent que le premier geste à poser pour sortir de ce régime consiste à cesser de se penser dans les catégories des autres pour se dire dans les exigences du pays réel, rien de mieux que de servir à tout le monde une bonne capsule de médiocrité.

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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