Vue de Montréal, la ville de Québec semble de plus en plus incarner le fantasme de la campagne arriérée ou du «Québec profond». On prend plaisir à comparer la mairesse Boucher aux élus d'Hérouxville, la mention du Bonhomme Carnaval demeure une recette infaillible pour déclencher l'hilarité et Gérard D. Laflaque voudrait même fonder un nouveau parti pour se séparer de Québec.
Au-delà de l'humour, il y a tout de même matière à questionnement pour les sociologues et les politologues. Après avoir endossé, aux yeux de plusieurs commentateurs, la responsabilité de l'échec du référendum de 1995, après avoir fourni au gouvernement Harper son petit lot de députés du Québec, voilà que la Vieille Capitale en remet en élisant huit députés de l'Action démocratique du Québec alors que Montréal n'en a élu aucun.
Après les élections fédérales de 2006, on a beaucoup tenté de percer le secret de cette énigme baptisée «le mystère Québec». J'aimerais en proposer une explication toute simple. C'est que les sociétés humaines se créent des identités en opposition les unes aux autres et que la ville de Québec a choisi d'affirmer une identité qui soit l'inverse de celle qu'elle attribue à Montréal. Il faut donc aussi prendre en compte l'image de Montréal telle que façonnée dans l'esprit des gens de Québec.
Du sérieux
Contrairement aux Montréalais, qui pensent leur différence sur le mode de l'humour, les Québécois prennent les choses beaucoup plus au sérieux. La métropole montréalaise, tout en offrant des modèles de possibles développements, apparaît surtout comme une grosse ville cosmopolite où tout l'ouest est anglophone et où le reste est truffé de mosquées ou de gangs de rue. Le spectre de municipalités anglophones rêvant de partition n'est guère moins épouvantable que celui des vastes quartiers multiethniques. Bref, Montréal apparaît comme un modèle à éviter plutôt qu'à imiter.
C'est n'est pas par hasard que Montréal a été le berceau du FLQ et, plus tard, du Parti québécois et du Bloc québécois. Ce n'est pas non plus par hasard qu'un indéfectible vote libéral, aussi bien au provincial qu'au fédéral, y entretient presque automatiquement un solide vote nationaliste, tant pour le Bloc que pour le PQ. La mécanique des identités construites par opposition y opère tout aussi sûrement qu'entre Québec et Montréal ou entre n'importe quel centre urbain et sa périphérie. Une partie significative de l'électorat de Québec semble avoir surtout voulu sortir de cette opposition entre fédéralistes et souverainistes, une logique perçue comme étant plus montréalaise.
On objectera que les électeurs de Québec, comme ceux de plusieurs autres régions, auraient pu affirmer leur différence en votant pour d'autres partis. Ce serait oublier qu'aux élections fédérales, le Parti conservateur était la seule autre avenue possible et qu'aux élections provinciales, Québec solidaire et le Parti vert apparaissent aussi comme des émanations montréalaises (tout particulièrement Québec solidaire, avec sa direction bicéphale) alors que le parti de Mario Dumont est justement issu de l'autre bout de l'autoroute 20 en plus d'être le seul qui ait été traité autrement que comme un tiers parti par les médias.
Prétendue fibre conservatrice
Prétendre expliquer des phénomènes aussi complexes par le simple jeu d'un mécanisme de construction des identités est sûrement réductionniste. Il faudrait analyser les sociétés en question plus en profondeur, comme plusieurs commentateurs l'ont fait après les élections fédérales.
Il faudrait aussi analyser tout le jeu politique des partis et des leaders mais, même à ce degré d'analyse, il serait pertinent de rappeler que la surprise de l'avancée adéquiste a probablement beaucoup à voir avec le fait que Mario Dumont a su exploiter cette dynamique identitaire, d'abord en suscitant et en chevauchant une certaine critique des «accommodements raisonnables», puis en annonçant, dès le premier jour de la campagne, sa priorité donnée à une forme de revanche des berceaux comme solution de rechange à l'immigration.
Bref, il m'apparaît incontournable d'introduire cette dynamique des relations entre Québec et Montréal pour déboucher sur une explication cohérente.
En tout cas, il serait encore plus réducteur et plus incomplet de prétendre expliquer le comportement électoral des gens de Québec en invoquant une prétendue fibre conservatrice qui y déterminerait les choix collectifs, autrement dit en invoquant un «mystère Québec» à titre d'explication.
Lorsque des sociétés s'ignorent, les différences entre elles peuvent dépendre de facteurs qui n'ont rien à voir avec cette dynamique identitaire, mais lorsqu'elles sont en rapport direct ou en compétition les unes avec les autres, on peut penser qu'elles construisent toujours leur spécificité et leur identité en prenant en compte celles qu'elles attribuent à ces «autres» dont elles souhaitent se distinguer.
À mon sens, on aurait intérêt à prendre aussi ce mécanisme en considération dans le jeu des rapports internationaux entre l'Occident et le reste du monde. Jusqu'à quel point les autres cultures de la planète n'ont-elles pas été conduites à s'affirmer, surtout sur le plan politique, comme étant de plus en plus différentes de l'Occident, en même temps que ce dernier cultivait et affirmait ses particularités? Cela apparaît surtout vrai pour les sociétés arabo-musulmanes qui formaient autrefois un bloc dominant et rival de l'Occident, à l'instar de Québec, ancienne métropole.
Dans le cas de Montréal et de Québec, prendre en compte cette dynamique des identités construites par opposition débouche néanmoins sur un paradoxe: le fait que les Montréalais les plus nationalistes, animés par le souci de s'affirmer comme étant différents de leurs concitoyens anglophones et allophones, en seraient venus à rejeter aussi leur identité avec cette entité de culture québécois francophone qui se trouve incarnée par une «Vieille Capitale» jugée trop conservatrice et quelque peu arriérée.
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