La réplique

Une mesure inclusive et égalitariste

Charte de la laïcité

Actualité québécoise

Dans Le Devoir du 22 septembre dernier, Jean Dorion, ancien président de la SSJB, a pourfendu le projet de Charte de la laïcité mis de l’avant par le Parti québécois. Cette formation politique serait même devenue sectaire. Si on peut reprocher aux péquistes plusieurs choses, cette accusation d’intolérance révèle une profonde incompréhension du projet de laïcité.
Suivant M. Dorion, le Québec va d’abord s’aliéner les immigrants si une telle mesure voit le jour. Il importe de rappeler à cet égard une vérité élémentaire, à savoir que ce sont les nouveaux immigrants qui doivent s’adapter à la société d’accueil, et non l’inverse. Dès lors, il est parfaitement légitime de se soucier du maintien de nos traditions devant des pratiques qui la remettraient en question.
Contrer le multiculturalisme
Qu’à cela ne tienne, car pour Jean Dorion, une Charte de la laïcité est d’autant plus inutile que le Québec est déjà laïque. S’il est vrai que le religieux s’est replié dans la sphère privée depuis la Révolution tranquille, il faut être aveugle pour ne pas voir que ce mouvement est en train de se renverser à la suite de décisions de différents tribunaux depuis les années 80.
Les juges, particulièrement ceux des échelons supérieurs, nommés par Ottawa, ont utilisé la Charte canadienne des droits pour permettre un retour de la religion dans la sphère publique. Ils ont notamment permis aux élèves sikhs de porter leur poignard rituel à l’école ou encore autorisé les policiers à faire du prosélytisme religieux au travail en se coiffant d’un turban. Tout cela en vertu de la liberté de religion ou de l’article 27 de la Charte garantissant le multiculturalisme, un principe que René Lévesque a combattu avec énergie lors du rapatriement de la Constitution.
Ces décisions suivent parfaitement la logique de la Loi constitutionnelle de 1982 et il n’est pas étonnant qu’elles aient été particulièrement mal reçues au Québec. Sous prétexte de justice, les magistrats utilisent la Charte pour ouvrir la porte à toutes sortes d’exceptions aux règles afin d’accommoder différents groupes. Cette dynamique a pour effet de banaliser les valeurs québécoises à l’intérieur même du Québec.
Une telle situation ne pourrait exister en France, un exemple à ne pas suivre selon l’ancien président de la SSJB. Dans ce pays, la loi sur la laïcité de 2003 y est un vecteur d’intégration, le contraire de la charte canadienne. L’État laïque interdit le port des symboles religieux ostentatoires, non seulement dans la fonction publique, mais aussi pour le personnel des écoles et ceux qui y étudient.
L’égalité homme femme
Cette dernière décision visait particulièrement le voile islamique et a été prise dans la foulée du rapport de la commission Stasi, dont les observations méritent ici d’être rappelées. Pour celle-ci, il s’agissait de permettre à tous de choisir ou non une option religieuse tout en protégeant chacun contre toute pression, physique ou morale.
Le but recherché ici était double : il fallait d’abord empêcher les débats politico-religieux de pénétrer dans une enceinte où l’on devait se consacrer à apprendre. Par ailleurs, au-delà des particularismes, il importait aussi de transmettre à la jeune génération les valeurs communes de la République française, notamment l’égalité homme femme.
Au Canada, la première épouse de Mohammad Shafia, ses trois filles et la jeune Aqsa Parvez ont en commun d’avoir été des victimes de crime d’honneur, notamment parce qu’elles refusaient de porter le voile islamique. Si elles avaient vécu en France, elles auraient été appuyées par la collectivité dans leur démarche. La laïcité aurait freiné les pressions de leur famille qui violaient leur liberté de conscience. Une telle mesure aiderait aussi dans de nombreux cas moins dramatiques où des musulmanes sont laissées à elle-même alors qu’elles subissent les contraintes de certains membres de leur communauté.
En somme, la laïcité française est une mesure inclusive et égalisatrice, ce qui échappe à Jean Dorion. Il nous explique plutôt que ce concept est étranger aux traditions anglo-saxonnes. Par conséquent, le Québec subirait un concert de critiques en provenance du Canada anglais et des États-Unis s’il allait de l’avant avec cette idée.
Soit. Mais on se permettra de soulever ici une interrogation : pourquoi les Québécois devraient-ils s’excuser d’avoir des façons de faire différentes de celles de leurs voisins anglophones? Poser la question, c’est y répondre.

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Frédéric Bastien167 articles

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Titulaire d'un doctorat en relations internationales de l'Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, Frédéric Bastien se spécialise dans l'histoire et la politique internationale. Chargé de cours au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal, il est l'auteur de Relations particulières, la France face au Québec après de Gaulle et collabore avec plusieurs médias tels que l'Agence France Presse, L'actualité, Le Devoir et La Presse à titre de journaliste. Depuis 2004, il poursuit aussi des recherches sur le développement des relations internationales de la Ville de Montréal en plus d'être chercheur affilié à la Chaire Hector-Fabre en histoire du Québec.





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