20 000 manifestants contre la hausse des droits de scolarité

Les étudiants disent avoir gagné une bataille

Grève étudiante - automne 2011


La manifestation s’est terminée sans trop de grabuge devant le bureau montréalais du premier ministre Jean Charest. «Ça s’est bien déroulé», a noté le sergent Ian Lafrenière, porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal.

Photo : Jacques Nadeau - Le Devoir


Lisa-Marie Gervais - Ils n'ont pas gagné la guerre, mais les étudiants ont néanmoins l'impression d'avoir remporté une bataille. En plus de l'appui des quelque 200 000 étudiants en grève d'un jour, ils ont été près de 20 000, hier, à manifester dans les rues détrempées de Montréal pour dénoncer la hausse de 75 % des droits de scolarité.
«On sent qu'il y a une certaine unité», a soutenu Martine Desjardins, présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ). «On a rarement vu une mobilisation comme ça. C'est une belle victoire du mouvement étudiant.» Elle s'est réjouie de l'appui des syndicats et autres membres de la société civile qui ont embrassé leur cause, portant bien haut parapluies et pancartes. «Avec les groupes sociaux, on voit qu'il y a une pression populaire qui s'installe et que ça peut nous aider», a-t-elle avancé.
Selon Mme Desjardins, les recteurs sont isolés et représentent de moins en moins la communauté universitaire. «Les profs, les chargés de cours et les employés de soutien sont avec nous. Il va falloir que [les recteurs] soient beaucoup plus représentatifs», a-t-elle indiqué. Elle cite en exemple la position contre la hausse adoptée par la commission des études de l'UQAM, tandis que le recteur Claude Corbo s'en est dissocié. «Même aux tables décisionnelles, il se passe quelque chose.»
Déjà, en début d'après-midi sous un ciel incertain, le rassemblement monstre à la place Émilie-Gamelin en disait long sur la volonté des marcheurs. «Je travaille déjà 30 heures semaines pour arriver», a dit Charles-Anthony Villeneuve, étudiant en science de l'environnement à l'UQAM. «Je ne pourrais pas étudier si les frais étaient de 3000 $.» Barbara Boutin, étudiante à la maîtrise en travail social, est sortie dans la rue avec ses trois enfants. «Je dois concilier travail, famille et études. Si on augmente les frais, il va falloir que je travaille plus et ça va affecter toute ma vie autour», a-t-elle déploré. Croisé sur les marches de la place en face de l'UQAM, le sculpteur et défenseur des droits de la personne, Armand Vaillancourt, a dit craindre l'endettement des générations futures. «On n'a pas d'affaire à leur imposer une dette qui va compromettre l'avenir de tout un peuple», a-t-il lancé.

Dans les poches des étudiants

C'est en scandant «on veut étudier, on ne veut pas s'endetter» que les manifestants ont marché sous la pluie, escortés discrètement par l'escouade antiémeute de la police de Montréal. Sur les pancartes, on lisait des slogans dénonçant la précarité dans laquelle la hausse allait les plonger, ou encore la privation du système d'éducation. «J'ai le choix: m'éduquer ou manger». «Stop à la prostitution de l'éducation!»
Présente à la manifestation en compagnie d'une délégation de députés du Parti québécois, la porte-parole de l'opposition officielle en matière d'enseignement supérieur, Marie Malavoy, a reconnu que, même s'ils n'ont pas un bulletin sans mauvaise note, tout n'était pas la faute des administrateurs des universités. «Ils ont besoin de financement, mais certainement pas qu'on aille le piger dans les poches des étudiants», s'est-elle indignée. Elle a rappelé que son parti prône un débat de fond et la possibilité de fixer dans une loi-cadre la part que le gouvernement devra verser pour les universités afin d'éviter qu'il se désengage.
Sous la bannière de Québec solidaire, Amir Khadir a mis au défi le ministre des Finances, Raymond Bachand, d'adopter l'une des six sources de financement proposées par son parti. «Appliquer les politiques de redevance sur l'eau, un meilleur niveau de redevance sur les produits miniers, le rétablissement de la taxe sur le capital uniquement pour les entreprises financières et un niveau de taxation pour les plus riches, ce que même Warren Buffett demande, a expliqué le porte-parole de Québec solidaire. Il peut aller chercher 5 milliards avec ces mesures. Pourquoi choisir, par idéologie, d'ignorer ça?»
Une augmentation «juste»
Malgré toutes les protestations, ils sont plusieurs à soutenir que la hausse des droits est «juste». À commencer par la ministre de l'Éducation, Line Beauchamp, qui trouve normal que les étudiants paient leur part. «Est-ce qu'un étudiant universitaire qui va aller chercher son diplôme et qui va gagner en moyenne entre 600 000 $ et 750 000 $ de plus sur l'échelle d'une vie doit faire sa juste part? La réponse est oui. Est-ce qu'une hausse de 325 $ par année sur cinq ans, prévisible, est une hausse juste? La réponse est oui», a déclaré Mme Beauchamp, à l'Assemblée nationale.
Du même avis, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain rappelle que le gouvernement paie déjà plus de 50 % de la note, soit plus que partout ailleurs au Canada. «Et le gouvernement, c'est nous tous», a fait remarquer son président, Michel Leblanc.
La Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec (CREPUQ) a indiqué que la hausse était «raisonnable» et qu'elle allait être accompagnée d'une bonification du programme de prêts et bourses. Pour les étudiants, cela ne fera qu'aggraver l'endettement. «80 % des étudiants n'ont pas accès à l'aide financière. Dès qu'une famille fait 60 000 $, elle en est écartée», a dit Léo Bureau-Blouin, président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ).
La manifestation s'est terminée sans trop de grabuge devant le bureau du premier ministre Jean Charest. «Ça s'est bien déroulé», a noté le sergent Ian Lafrenière, porte-parole du Service de police de la Ville de Montréal. Des projectiles ont été lancés vers les policiers, tandis que des étudiants s'introduisaient dans l'Université McGill. Les policiers les ont dispersés au poivre de Cayenne.
D'autres actions seront à venir, promettent les étudiants. Avec déjà l'appui d'une dizaine d'associations étudiantes, une grève générale illimitée pourrait bien avoir lieu à l'hiver si le gouvernement ne recule pas, a dit Gabriel Nadeau-Dubois, porte-parole de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE). «C'était le dernier avertissement pour le gouvernement Charest.»


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