Depuis une trentaine d’années, la mondialisation a transformé les relations entre les pays et a affecté tous les aspects de la vie en société. Son idéologie, le néolibéralisme, a imposé la domination du marché et le retrait de l’État. La mondialisation est synonyme de l’hégémonie américaine et de sa culture. Le discours unique est celui d’une langue unique : l’anglais.
Mais le laminage des spécificités culturelles a eu pour effet de provoquer en réaction un mouvement de défense de ces mêmes cultures qui s’est exprimé de plusieurs façons. L’une d’entre elles, dans plusieurs régions du monde, a été une réaffirmation du fait religieux. La montée de l’islamisme radical est une réponse à cet impérialisme économique et culturel.
Dans d’autres pays, la réplique a pris la forme d’une défense de la diversité des cultures. Le Québec a joué un rôle de premier plan dans l’adoption d’une Déclaration universelle sur la diversité culturelle par l’UNESCO. Curieusement, le lien fondamental entre la culture et la langue n’a pas été mis en évidence et la Déclaration est faible sur ce plan. Cela en dit long sur la place hégémonique occupée par l’anglais dans le monde.
Cependant, le déclin économique des États-Unis et la montée de pays émergents de langues différentes provoquera inévitablement à terme la remise en question du rôle de lingua franca de l’anglais. Aux États-Unis, l’hégémonie même de l’anglais est remise en cause dans les États du sud et de l’ouest avec la présence d’une forte population d’origine hispanophone.
De même, si l’émergence des nouvelles technologies à partir des années 1980 a largement contribué à la propagation de l’anglais à travers le globe, leur développement actuel ouvre de larges possibilités aux autres langues. Il n’y a plus d’obstacles technologiques à une présence linguistique diversifiée sur la Toile et des logiciels de traduction de plus en plus perfectionnées font leur apparition.
Dans un ouvrage collectif intitulé Le français au Québec : les nouveaux défis, publié par l’Office de la langue française, le chercheur Arnaud Sales évoque une deuxième phase dans la « globalisation » de l’économie, où des entreprises multinationales utiliseraient des systèmes technologiques pour s’adapter à la diversité linguistique mondiale.
Dans le même ouvrage, un autre chercheur, Réjean Roy, montre que la nouvelle société de l’information remet en cause les idées reçues du genre que « pour être concurrentielles les entreprises doivent se mettre à l’anglais » ou qu’« il est trop coûteux de servir certaines clientèles dans leur langue ». Il décrit, comment, grâce aux technologies de l’information, il devient de moins en moins cher de produire dans différentes langues et souligne qu’un employé est plus performant dans sa langue maternelle.
L’avenir est donc à la production d’outils informatiques facilitant la création et la production en français. L’Office québécois de la langue française pourrait et devrait jouer un rôle de premier plan dans ce domaine, de la même manière qu’il s’est acquis, au lendemain de l’adoption de la Loi 101, une réputation mondiale avec son Grand Dictionnaire terminologique et sa Banque de dépannage linguistique. Il ne manque que la volonté politique pour que le Québec soit de nouveau à l’avant-garde de la défense du français.
La marginalisation du Québec au sein du Canada
Si, à long terme, l’avenir pourrait être radieux pour le français et les langues autres que l’anglais, les perspectives à court terme sont plutôt sombres pour le français au Québec comme l’illustre le portrait que nous en avons tracé dans les articles précédents.
Cela dans un contexte de marginalisation croissante du Québec au sein du Canada par suite de son déclin démographique. Il en découle d’importantes conséquences politiques. Le gouvernement Harper a déjà annoncé son intention de modifier la carte électorale pour refléter le nouveau paysage démographique du pays. Avec l’addition de plusieurs nouvelles circonscriptions en Ontario, en Alberta et en Colombie-britannique, un parti politique fédéral pourrait, pour la première fois depuis les débuts de la Confédération, former un gouvernement majoritaire sans représentation significative au Québec. Déjà, le Canada anglais pense et agit comme si le Québec était une quantité négligeable et cela va s’accentuer à l’avenir.
Ainsi, dans leur arrêt sur les écoles passerelles, les juges de la Cour suprême écrivent que l’alinéa 23(1)a) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui reconnaît le libre choix d’école pour les enfants de citoyens québécois de langue maternelle anglaise, « ne s’applique toutefois pas POUR L’INSTANT au Québec » (NDLR Les majuscules sont de nous).
Rappelons que pour avoir le droit de faire instruire ses enfants en anglais, il faut satisfaire POUR L’INSTANT à l’alinéa 23(1)b) de la Charte qui précise que les parents doivent avoir reçu leur instruction primaire en anglais au Canada.
Il ne faudra pas compter sur le premier ministre Stephen Harper ni sur le chef de l’Opposition Michael Ignatieff pour empêcher un retour à l’application de l’alinéa 23(1)a) et au libre choix lorsque le Canada jugera que l’affaiblissement du Québec le permet.
Lorsqu’il dirigeait, avant de devenir premier ministre, la National Citizen’s Coalition, Stephen Harper a organisé des levées de fonds pour soutenir la cause des parents francophones du Québec qui voulaient pouvoir envoyer leurs enfants à l’école anglaise. Dans un texte intitulé Le fédéralisme et tous les Canadiens, il affirmait que la langue française n’était pas menacée au Québec. Tout en soutenant du bout des lèvres le droit du Québec de légiférer dans le domaine linguistique, il s’empressait d’ajouter : « Cela étant dit, je soutiens également la liberté d’expression et le libre choix dans le domaine linguistique contenu dans la Charte des droits. » (1)
Quant à Michael Ignatieff, bien qu’il reconnaisse la légitimité des législations linguistiques québécoises, il écrit dans La Révolution des droits que les droits collectifs sont des « droits privilèges » et que « le privilège est acceptable dans un régime de droits quand il est temporaire et qu’il est destiné à corriger des injustices passées ».
Comme il a écrit dans un autre de ses ouvrages, Blood and Belonging, que le Québec avait rattrapé son retard économique et qu’il s’était intégré dans l’économie globale, que ses griefs nationaux ne reposaient pas sur des expériences réelles, mais qu’ils étaient des mythes, qu’il ne croyait pas que la langue française soit aujourd’hui menacée, il pourrait décréter assez rapidement qu’il est temps de mettre fin aux privilèges. (2)
Le retour à l’unilinguisme dans l’affichage
De toute urgence, le Québec doit rapatrier les pleins pouvoirs en matière de langue, de culture, d’immigration et adopter une citoyenneté québécoise, non pas symbolique comme le proposait la Commission Larose, mais qui octroie des droits fondamentaux, dont le droit de vote.
Présentement, un débat se mène dans les rangs du Parti Québécois pour déterminer la meilleure stratégie pour rapatrier ces pouvoirs. Certains affirment qu’il faut mettre directement et ouvertement le cap sur l’indépendance politique du Québec. D’autres proposent de revendiquer ces pouvoirs – au besoin en recherchant l’appui de la population au moyen d’un référendum – mais sans remettre directement en question l’appartenance du Québec au Canada.
Les militants du Parti Québécois trancheront. Mais il ne faudrait pas que le débat sur la stratégie occulte l’objectif et l’urgence de l’atteindre, car le canot continue de se diriger vers la chute de l’anglicisation.
Une autre question – qui n’est pas actuellement en débat, mais qui devrait l’être – est le retour à l’affichage unilingue. Il apparaît clairement aujourd’hui que l’arrêt Ford de la Cour suprême a été une étape charnière. Le principe de la « nette prédominance du français » introduit par les juges est en train de supplanter les principaux fondamentaux de français, langue officielle et français, langue commune de la Charte de la langue française.
L’arrêt de la Cour suprême a aussi marqué un tournant du combat linguistique. On se rappellera que Robert Bourassa avait, dans un premier temps et sous la pression populaire, soustrait le Québec au jugement en invoquant la clause « nonobstant ». Cinq ans plus tard, à l’échéance de la clause dérogatoire, il avait fait adopter la loi 86 qui modifiait la Charte de la langue française pour permettre l’emploi d’une autre langue pourvu que le français soit nettement prédominant, se conformant ainsi au jugement de la Cour suprême.
Le Parti Québécois s’était engagé dans son programme à annuler les dispositions de la loi 86 et à revenir à l’affichage unilingue français. Cependant, lorsqu’il accède au pouvoir en 1994, sa direction décide de ne pas toucher à la législation linguistique et de concentrer ses efforts sur l’organisation de la tenue d’un référendum.
Ce choix tactique n’était pas étranger à la campagne menée par la communauté anglophone au plan international contre la Loi 178. Les anglophones s’étaient adressés au Comité des droits de l’Homme des Nations Unies, qui, en mars 1993, en arrive à la conclusion qu’elle viole la liberté d’expression garantie à l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
En fait, le rapport de forces au plan linguistique avait changé depuis l’adoption de la Loi 101. Au Québec, les anglophones avaient pris le contrôle du Parti libéral du Québec, alors qu’en 1976 une bonne partie d’entre eux l’avaient délaissé au profit de l’Union nationale, mécontents qu’ils étaient des politiques linguistiques de Robert Bourassa. En 1994, ce sont les fédéralistes nationalistes qui avaient quitté le PLQ au profit de l’ADQ de Mario Dumont.
Si, en 1977, l’adoption de la Charte de la langue française avait rencontré l’opposition féroce des anglophones du Québec et du Canada anglais, elle avait été accueillie dans une quasi-indifférence aux États-Unis. En fait, les États-Unis, affaiblis sur la scène internationale par leur récente défaite au Vietnam, cherchaient à « jouer » le Québec contre le Canada pour inciter le gouvernement Trudeau à renoncer à ses politiques nationalistes. Un membre de la richissime famille Rockefeller avait même déclaré à l’époque qu’il ne voyait aucun problème à ce que le français soit la langue de travail au Québec.
Par la suite, les anglophones de Montréal ont considérablement raffermi leurs liens avec les États-Unis par le biais des communautés juives de Montréal et de New York. On ne sera pas étonné que l’affichage commercial ait été leur cible de prédilection. Les publications newyorkaises de prestige ont ouvert leurs pages à Mordecai Richler et les grands médias américains ont criblé le Québec de critiques pour sa « police de la langue » – une expression popularisée par l’émission américaine 60 Minutes – chargée de faire appliquer les dispositions de la loi 101 dans l’affichage.
Aujourd’hui, la situation commande de revenir à l’affichage unilingue français. René Lévesque déclarait : « À sa manière, chaque affiche bilingue dit à l’immigrant : ‘‘ Il y a deux langues ici, l’anglais et le français; on choisit celle qu’on veut’’. Elle dit à l’anglophone : ‘‘Pas besoin d’apprendre le français, tout est traduit.’’ » Cette affirmation est encore plus pertinente aujourd’hui qu’à l’époque où elle a été formulée, étant donné le nombre accru d’immigrants que le Québec accueille.
Cependant, instruit de l’expérience passée, on comprend qu’il ne suffit plus d’adopter une loi en ce sens. Son adoption doit s’inscrire dans une stratégie internationale où les représentants du Québec vont chercher des alliés à notre cause en leur démontrant, chiffres à l’appui, que l’évolution négative de la situation du français au Québec nécessite une telle mesure. Une campagne qui aura aussi pour objectif de neutraliser les opposants à cette politique, tant au Québec, au Canada qu’au plan international. Une tâche ardue, certes, mais qui démontrera notre détermination et qui, bien menée, préparerait un soutien international à une éventuelle déclaration d’indépendance.
1. Voir Pierre Dubuc, Le vrai visage de Stephen Harper, Éditions Trois-Pistoles, 2006
2. Voir Pierre Dubuc, Michael Ignatieff au service de l’empire, une tradition familiale, Éditions Michel Brûlé, 2010.
Demain : Jacques Parizeau, la mondialisation et la culture
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