Quand Mme Marois a pris la direction du Parti Québécois, elle a déclaré qu’elle voulait « renouveler la social-démocratie » et, pour bien signaler à quelle enseigne elle logeait, elle a déclaré qu’« il fallait créer la richesse, avant de la partager ». L’expression est en effet connue. Elle a été la bannière du « New Labour » de Tony Blair. Puis, plus tard, pour être sûre d’être bien comprise sur le sens de la démarche, la chef du Parti Québécois a précisé qu’elle faisait référence à « l’enrichissement individuel » des Québécois.
En réplique à cette dernière déclaration, le SPQ Libre a fait paraître dans Le Devoir un texte intitulé « S’enrichir durablement, c’est s’enrichir collectivement ». La publication de ce texte a valu au SPQ Libre d’être expulsé du Parti Québécois. Sur la création de la richesse, nous écrivions :
Il se crée de la richesse, énormément de richesse, au Québec depuis les tout premiers établissements sur les rives du Saint-Laurent. Cependant, cette richesse a le plus souvent pris le chemin de l’étranger, conséquence des structures, d’abord coloniales à l’époque de la Nouvelle-France, puis de domination héritées de la Conquête britannique. Il a fallu l’intervention de l’État lors de la Révolution tranquille – avec la nationalisation d’Hydro-Québec, la création de la Caisse de dépôt et d’autres sociétés d’État – pour que les Québécois puissent jouir d’une part accrue de cette richesse. C’est seulement dans le sillage de ces interventions étatiques qu’une classe d’affaires québécoise a pu voir le jour. René Lévesque avait raison de déclarer que « le seul levier dont les Québécois disposent, c’est leur État ».
Dans cette perspective, nous proposions le plan suivant (transparence totale : c’était le cœur de mon programme économique lors de la course à la chefferie de 2005 et j’ai été le seul des neuf candidats à le proposer. La gauche classique a quand même quelques idées).
Se présente à nous une occasion exceptionnelle de tirer profit de notre immense potentiel hydro-électrique en cette période de crise énergétique et environnementale. Nous pouvons de procéder à la deuxième phase de l’électrification du Québec. Une utilisation intelligente et avant-gardiste de cette énergie renouvelable permettrait de réduire considérablement notre dépendance au pétrole, de développer une économie moderne à l’heure du XXIe siècle et d’atteindre le plein emploi en mettant à contribution nos ressources scientifiques et intellectuelles.
La première priorité est le développement d’un réseau de transport urbain et interurbain électrifié, comprenant trains rapides, tramways, voitures électriques et autres moyens de transport novateurs. Le développement d’un tel réseau de transport à travers le Québec – couplé à l’accès de tous les foyers à Internet haute vitesse, l’autoroute du savoir des temps modernes – permettrait l’occupation de l’ensemble du territoire et la revitalisation des régions.
Je me réjouis de voir que Jean-François Lisée se rallie à cette proposition. Cependant, nous avions identifié dans le même texte trois obstacles à la réalisation de ce plan : premièrement, des contraintes constitutionnelles de juridiction et le fait que le Québec est privé de la moitié de ses impôts, envoyés à Ottawa; deuxièmement, le danger de changer de cible avec la découverte de gisements de gaz et de pétrole. Le troisième obstacle faisait référence au mouvement en faveur de la privatisation d’Hydro-Québec pour régler le problème de la dette. Nous écrivions :
Les partisans de la privatisation agitent le spectre de la dette. Nous pourrions ainsi, affirment-ils, effacer la dette du Québec. Mais où est l’avantage à verser demain sous forme de dividendes à des actionnaires d’Hydro-Québec ce que nous versons en intérêts aujourd’hui à des créanciers? Sans compter que nous n’aurions plus collectivement le contrôle d’Hydro-Québec. Ayant perdu son statut de société d’État, la nouvelle société serait assujettie à l’impôt fédéral et 19% de ses profits iraient dans les coffres d’Ottawa.
Nous avions alors en tête la proposition de Jean-François Lisée dans son livre Pour une gauche efficace. Résumons sa proposition. Voyant dans Hydro-Québec la « poule aux œufs d’or du Québec », Jean-François Lisée propose de hausser les tarifs de 6,6 cents à 10 cents le kilowatt, tout en abaissant, le même jour, le taux d’imposition de manière équivalente, ou, pour ceux qui ne paient pas d’impôt, d’augmenter pour couvrir cette hausse la prime au travail, les prestations de revenu, le remboursement de TPS et de TVQ.
Cette hausse de tarifs pousserait, affirme-t-il, les propriétaires à calfeutrer pour faire des économies d’énergie et rendrait disponible des kilowatts heure pour vendre au prix fort aux États-Unis. Cette hausse des tarifs a pour but de préparer la privatisation partielle de la société d’État avec la vente de 25% de ses actions « en encourageant, écrit Jean-François Lisée, tous les Québécois, la Caisse de dépôt et placement, les fonds de pension à en acheter ». Les milliards empochés seraient versés au fonds des générations, dans une caisse santé ou serviraient à éponger la dette.
Dix raisons de s’opposer à la privatisation d’Hydro-Québec
Il y a dix bonnes raisons d’être contre cette proposition.
Premièrement, Jean-François Lisée surestime la réduction de consommation qui résulterait d’une hausse des tarifs. Il semble oublier qu’une majorité de Québécois sont locataires et que bon nombre de propriétaires s’empresseront de refiler la facture du compte d’électricité au locataire plutôt que de calfeutrer leurs habitations
Deuxièmement, les mesures fiscales ciblées qu’il propose en remplacement des programmes universels entraîneront une explosion des coûts de gestion et de la bureaucratie. Un bel exemple du programme d’une gauche autoproclamée « efficace ».
Troisièmement, il ne faut jamais oublier que les taux d’intérêt sur la dette d’Hydro-Québec et du gouvernement sont en-deçà des bénéfices que nous rapportent Hydro-Québec. Il nous en coûterait plus cher en dividendes aux futurs actionnaires d’une Hydro-Québec privatisée qu’en intérêts sur la dette. Quel est l’avantage de payer plus en dividendes à des actionnaires que le gouvernement verse en intérêts aux détenteurs de sa dette?
Quatrièmement, la conjoncture peut changer rapidement. Au moment où il a écrit son livre, Hydro-Québec pouvait espérer des profits mirobolants de la vente d’électricité à nos voisins du sud. Aujourd’hui, avec l’exploitation du gaz de schiste dans le nord-est des États-Unis et le ralentissement économique, il en va tout autrement. Hydro-Québec vient de signer un contrat de vente d’électricité au Vermont au prix de 6 cents le kilowatt, alors qu’elle paye 10 cents le kilowatt aux propriétaires de petits barrages et d’éoliennes.
Cinquièmement, il s’est avéré, avec la chute de marchés boursiers, que le fonds des générations n’était pas une si bonne idée. Combien aurions-nous perdu d’argent en mettant une partie du produit de la vente des actions d’Hydro-Québec dans un tel fonds?
Sixièmement, Jean-François Lisée admet lui-même que si plus de 10% de ses actions sont détenues par des intérêts privés, Hydro-Québec perd son statut de société d’État et est assujettie à l’impôt fédéral. 19% de ses profits, soit 500 millions $ par année, se retrouveraient alors dans les coffres d’Ottawa.
Septièmement, rien ne garantit que les actions d’Hydro-Québec demeureraient dans les mains de Québécois ou d’institutions québécoises. On a vu au cours des dernières années la Caisse de dépôt se départir de ses actions dans de nombreux joyaux de l’économie québécoise et ne pas intervenir lors de la prise de contrôle de l’Alcan par Rio Tinto.
Huitièmement, des privatisations partielles de sociétés d’État fédérales, comme Petro-Canada ou Air Canada, ont démontré que les actionnaires font pression sur la direction de l’entreprise privatisée pour qu’elle privilégie la maximisation rapide des profits, au détriment d’une planification à long terme et des profits moindres. Rapidement, ils réclameront la privatisation totale de l’entreprise. Hydro-Québec quittera alors la sphère du nationalisme économique pour celle de la financiarisation de l’économie.
Neuvièmement, il est avantageux pour notre société qu’Hydro contribue à divers projets (le transport électrifié, attraction d’entreprises, etc.) en vendant l’électricité à un tarif préférentiel. Les profits sont moindres, mais la société y gagne si on considère les retombées positives en termes d’emploi, de valeur ajoutée et en environnement.
Finalement, dixièmement, l’image de la « poule aux œufs d’or » utilisée par Jean-François Lisée est fort appropriée. Devons-nous lui réciter le reste de la fable de Lafontaine?
L’éolien
Est-ce pour se racheter de sa proposition de privatisation partielle d’Hydro-Québec, mais toujours est-il que Jean-François Lisée propose la nationalisation des installations éoliennes. Il propose la création d’Éole-Québec, en tant que filiale d’Hydro-Québec. (Ce qui signifie qu’il ne nationalise l’éolien qu’à 75%, étant donné qu’il privatise le quart d’Hydro-Québec.)
Rappelons que le SPQ Libre avait fait adopter une telle proposition à un Conseil national du Parti Québécois au grand dam du chef André Boisclair et du mentor de Jean-François Lisée, François Legault, (à qui on doit l’expression de « gauche efficace ») qui s’était présenté au micro pour s’opposer avec fermeté à son adoption. Malgré cette intervention, les membres du Conseil national avaient adopté par une majorité des deux-tiers la proposition du SPQ Libre.
Par la suite, deux arguments nous avaient amené à moduler notre position. D’abord, celle de M. Parizeau qui craignait que la réouverture de contrats dans le domaine énergétique serve de prétexte et de précédent au gouvernement de Terre-Neuve pour rouvrir le contrat de Churchill Falls.
Ensuite, des experts nous ont signalé que les installations éoliennes étaient bien différentes des barrages hydro-électriques. Les éoliennes ont une durée de vie utile de seulement vingt-cinq ans et il est prévisible que l’industrie demande leur « nationalisation » lorsque l’échéance approchera pour refiler au gouvernement le coût de leur démantèlement.
Nous avons alors convenu de ne proposer de confier à l’État uniquement les projets futurs. En fait, le contraire de la proposition de Jean-François Lisée qui écrit : « Pour le passé récent, réparons les erreurs : nationalisons ». Qui osera affirmer que la gauche classique ne manque pas de sens pratique et de souci d’efficacité?
Demain : À propos de Jean-François Lisée et de la répartition de la richesse (4)
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Àpropos de Jean-François Lisée et la question identitaire (2)
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