Adieu, ma belle...

La chapelle du monastère des Franciscaines est sur le point de rendre l'âme

Patrimoine de Québec



N'y allez pas! Ne fréquentez pas la Grande Allée, à Québec. Si vous le faites, vous serez prévenu: le dôme et la chapelle du monastère des Franciscaines, au coin de Claire-Fontaine, sont troués. Ils ont perdu leurs fenêtres! Il y pisse toute la pluie, qu'on connaît trop bien cet été.
C'est que, petit à petit, sans que ça paraisse, on a vidé de sa substance ce bel objet de notre patrimoine architectural urbain. Après les oeuvres d'art et le retable, on y a retiré le mobilier, les boiseries, les faux marbres, les vitraux, et maintenant les fenêtres. Il ne reste plus rien si ce n'est une enveloppe, pourtant encore merveilleuse, que l'architecte du Parlement, Eugène-Étienne Taché, a imaginée il y a plus de 100 ans. C'est aussi Eugène-Étienne Taché qui a conçu le Manège militaire et le Palais de justice, à la Place d'Armes. C'est lui qui a écrit «Je me souviens» sur notre Parlement... Pas n'importe qui, finalement!
Mais cette notoriété ne lui vaut pas qu'on protège son oeuvre. Sa chapelle est sur le point de rendre l'âme. Il faut regretter que l'administration précédente n'ait pas jugé nécessaire de baliser la vente de la propriété d'abord acquise des Soeurs puis cédée à un promoteur privé de manière à assurer sa sauvegarde. La Commission d'urbanisme et de conservation (ah! vraiment?) qui autorise les projets tant de démolition que de construction sur le territoire de la Ville n'a pas su réclamer de solution innovante ni faire preuve de la vigilance que lui commande pourtant sa mission. Ce bâtiment agonise.
Où est notre bon maire pour exercer le leadership dont il se vante chaque jour un peu plus et pour protéger ce qui fait l'essence de Québec, notre capitale, qu'il veut vendre au monde? «Le patrimoine, c'est notre fonds de commerce», dit-il. Monsieur le maire, vous qui depuis Chicago nous promettez du merveilleux, faites cesser ce gâchis pendant qu'il est encore temps!
Nous réaliserons toute la mesure de la catastrophe lorsque, dans quelques jours, la grue aura enlevé le dôme qui domine l'ensemble. Madame la ministre de la Culture devra fermer les fenêtres de son bureau pour éviter d'être dérangée par le bruit de la démolition!
Les bâtisseurs d'aujourd'hui ne sont plus capables de faire autant: la profession change constamment ses archétypes. Nos architectes n'ont ni la formation, ni le savoir-faire, ni l'intérêt pour emprunter au langage de ce modèle architectural. Leurs paradigmes sont ailleurs depuis longtemps déjà et c'est très bien ainsi. C'est la raison pour laquelle les oeuvres remarquables des maîtres du passé doivent être préservées comme des trésors de famille.
De toute façon, nous, citoyennes et citoyens, n'éprouvons ni la nécessité ni l'envie d'en élever de semblables. Nos élans de Foi sont presque éteints. Ces objets du patrimoine religieux que sont nos églises, nos couvents, nos chapelles, nos monastères sont devenus les témoins phares de notre parcours historique. Ce sont nos châteaux, nos oeuvres architecturales les plus importantes, notre héritage. Ils donnent au paysage de nos villes et de nos campagnes leur caractère distinctif, ce caractère qui nous décrit et qui nous permet de nous inscrire, en toute connaissance de cause, dans le territoire qui est le nôtre. Ce sont nos racines.
La perte de la chapelle des Franciscaines est non seulement une menace à l'intégrité historique de la Grande Allée, mais aussi la pauvre démonstration que nous sommes bien incapables de sauver ce que nous avons de plus précieux. Peut-être en sommes-nous devenus indignes?
Les créateurs et les ambassadeurs des fêtes du 400e de la Ville ont largement puisé dans le dictionnaire des architectures et des paysages de la cité pour réaliser un événement qui restera dans la mémoire de tous les citoyens. Comment peut-on être assez bêtes pour laisser démolir un des fleurons de notre collection?
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Michel Bonnette, Urbaniste, Vice-président du Comité international sur les villes et villages historiques, Conseil international des monuments et sites (ICOMOS)

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Urbaniste, Vice-président du Comité international sur les villes et villages historiques, Conseil international des monuments et sites (ICOMOS)





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