par Castonguay, Alec; Dutrisac, Robert
Le Bloc québécois menace de faire tomber le gouvernement Harper sur l'enjeu de la mission canadienne en Afghanistan. De passage à Québec, le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, a indiqué hier que son parti n'hésiterait pas à présenter une motion de défiance, ce qui pourrait entraîner la chute du gouvernement conservateur minoritaire, si le premier ministre Stephen Harper refuse «de modifier rapidement et profondément la mission canadienne en Afghanistan». Une possibilité que le NPD et le Parti libéral n'ont pas écartée eux non plus hier.
Il s'agit d'une nouvelle position pour le Bloc, qui a toujours soutenu la mission canadienne dans ce pays ravagé par les talibans. Visiblement, le parti de Gilles Duceppe est prêt à défier le gouvernement sur plusieurs sujets, peu importe les conséquences, puisque le chef bloquiste a également ajouté le respect du protocole de Kyoto et le règlement du déséquilibre fiscal à la liste des enjeux susceptibles de provoquer la chute des conservateurs.
Invité par la Chambre de commerce de Québec, le chef du Bloc québécois a prononcé un discours dans lequel il a fait le bilan de la première année du gouvernement Harper et jugé du respect de ses engagement envers le Québec. Mais c'est véritablement l'Afghanistan et le ton électoral de Gilles Duceppe qui ont retenu l'attention. «Si rien ne change, nous nous dirigeons vers un enlisement certain qui mènera au sacrifice de vies humaines sans obtenir aucun résultat», estime le chef bloquiste. Gilles Duceppe réclame du gouvernement Harper qu'il rééquilibre impérativement la mission afghane «en mettant plus de moyens dans les efforts de reconstruction». Le Canada doit également convaincre ses alliés d'en faire davantage, a-t-il soutenu.
«Il y a un manque d'équilibre entre l'humanitaire et le militaire», a fait valoir le chef bloquiste lors d'un point de presse. «Il n'est pas question, comme M. Harper l'a dit dernièrement, [de] rester là tant et aussi longtemps qu'on ne gagnera pas. Nous, on lui rappelle que le mandat des troupes canadiennes se termine en février 2009.» Quant aux alliés de l'OTAN, ils doivent apporter leur contribution. «M. Harper est allé livrer ce message et il est revenu avec strictement rien», a déploré M. Duceppe.
Le chef bloquiste a soutenu qu'il ne se faisait pas de «capital politique» sur le dos des soldats tués en Afghanistan - une quarantaine jusqu'à maintenant - alors que 2000 militaires du Royal 22e Régiment de Valcartier seront dépêchés en Afghanistan en août 2007 pour remplacer les soldats de la garnison de Petawawa, en Ontario. «Je ne fais aucune différence entre quelqu'un de Petawawa et quelqu'un de Valcartier», a-t-il affirmé.
Dans son discours, M. Duceppe a énuméré les «trois questions fondamentales» - dont la mission afghane - sur lesquelles le gouvernement Harper devra agir «s'il veut pouvoir vieillir». Il a réitéré que son parti voterait contre le prochain budget fédéral s'il ne contient pas un règlement «global» du déséquilibre fiscal qui porte sur une somme minimum de 3,9 milliards par année pour le Québec. Stephen Harper doit aussi limiter le pouvoir fédéral de dépenser comme il s'y est engagé, c'est-à-dire, pour le Bloc, d'accorder au Québec un droit de retrait inconditionnel avec pleine compensation. Enfin, le gouvernement conservateur doit changer de position sur le protocole de Kyoto.
À Ottawa, le changement de cap du Bloc québécois a retenu l'attention. Le leader en Chambre du Bloc, Michel Gauthier, n'a pas voulu dire quand ni comment une motion de défiance verrait le jour si la mission canadienne en Afghanistan n'était pas réorientée suffisamment dans les prochains mois. «On n'en est pas là», a-t-il dit à sa sortie de la période de questions. Il affirme toutefois que si le parti décide de mettre sa menace à exécution, plusieurs avenues sont possibles. «Il peut y avoir différents moyens parlementaires qui sont utilisés. Ça peut être lors d'une journée d'opposition. Ça peut être lors d'une autre occasion, si jamais le gouvernement propose un vote quelconque», a-t-il soutenu.
Et pourquoi un changement de position après avoir voté en faveur de la prolongation de la mission jusqu'en février 2009? «De toute évidence, il y avait des réponses au moment du vote initial, pris ici en cette Chambre, qu'on n'avait pas, a dit Michel Gauthier. On réalise que la mission est sous un angle très militaire. De plus en plus, la population hésite ou réagit mal à nos interventions [là-bas], et on pense que le gouvernement doit insister très fortement auprès des autres partenaires [de l'OTAN] pour que la restructuration de la société puisse se faire davantage.»
Verner défend la mission
Le gouvernement Harper a toujours soutenu que des efforts importants étaient déployés pour l'aide au développement et à la reconstruction, mais que l'insurrection des talibans dans le sud du pays entravait la mission et qu'il fallait d'abord pacifier la région. Josée Verner, ministre de la Coopération internationale, a défendu le rôle des soldats canadiens en Afghanistan hier. «On fait des progrès très intéressants en Afghanistan et c'est pas vrai qu'on va abandonner la population afghane qui cherche à prendre sa démocratie en main, qui cherche à prendre sa place. Je pense surtout aux femmes [afghanes]. Il est hors de question pour moi de les retourner dans la noirceur. On sait tous quelle sorte de régime de terreur elles ont vécu», a-t-elle dit, rappelant qu'Ottawa dépensera un milliard de dollars en aide internationale à l'Afghanistan d'ici à 2011.
La menace du Bloc québécois a été accueillie avec un sourire ironique par le chef du NPD, Jack Layton. «On va attendre de voir la motion. Mais notre opposition et notre manque de confiance envers M. Harper concernant les politiques étrangères de son gouvernement sont bien connues. Je suis content que les autres partis politiques commencent à changer leur opinion là-dessus», a-t-il affirmé, ajoutant que voter avec le Bloc pour défaire le gouvernement sur cette question n'est pas exclu. «On est ferme depuis longtemps sur cette question», a-t-il dit.
Du côté du Parti libéral, où le nouveau chef Stéphane Dion a déjà soutenu qu'il pourrait retirer les troupes canadiennes d'Afghanistan avant 2009 s'il prenait le pouvoir, on jouait de prudence. «On va attendre de voir la motion avant de prendre une décision, a dit Stéphane Dion. Je sais très bien que ce gouvernement est vulnérable tellement ses politiques sont à droites et très loin de ce que les Canadiens veulent. Ce gouvernement peut tomber, je le sais. Je sais aussi très bien que notre mission en Afghanistan a d'énormes problèmes.»
Selon lui, même si ce sont les libéraux qui ont envoyé les troupes dans le sud du pays, où la menace est plus grande, ce n'est plus la même mission maintenant. «Ce n'est plus la même du tout. Nous sommes allés à Kandahar pour aider la mission des Américains à devenir une mission de l'OTAN. C'est fait. M. Harper a demandé deux ans de plus dans ce pays sans mandat clair, sans avoir d'engagement des autres pays», a dit M. Dion.
Même s'il considère la possibilité d'appuyer une éventuelle motion de défiance sur la mission en Afghanistan - motion qui ne pourrait pas être déposée avant février, au plus tôt - Stéphane Dion juge que le Bloc cherche par tous les moyens déclencher des élections au plus vite. «Il essaie de trouver une raison de faire tomber le gouvernement. [...] Nous, on jugera la motion au mérite. On ne veut pas précipiter les Canadiens en élections, surtout pas en plein hiver une deuxième fois.»
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