"Albertaïser" le Québec

Pour rembourser la dette, il faut imiter le Heritage Fund albertain à l'aide de revenus supplémentaires provenant d'Hydro-Québec

« Notre avenir, un dialogue public »


Les nombreux baby-boomers du Québec vont bientôt s'en aller à la retraite. Mais ils vont laisser derrière eux très peu d'enfants et de petits-enfants. Notre pyramide des âges va donc subir une perturbation majeure. Et parce que le Québec est passé en un temps record du plus haut taux de natalité, dans les années 1950, au plus bas taux, dans les années 1970 et après, il va être frappé plus vite et plus fort que le reste de l'Amérique du Nord par ce choc démographique.
Ce vieillissement soudain de notre population va poser un énorme défi pour notre croissance économique et nos finances publiques.
Depuis 50 ans, le Québec s'est enrichi plus rapidement que l'Ontario. Notre niveau de vie est passé de 75 % de celui de l'Ontario, en 1956, à 92 %, aujourd'hui. Le Québec est encore moins riche que l'Ontario. Le problème, c'est que le choc démographique va maintenant agir comme un frein sur l'élan du Québec. Quand les baby-boomers vont partir en masse d'ici cinq ans, le taux d'emploi du Québec va baisser. Avec moins de bras disponibles, le Québec va produire moins, ce qui le désavantagera alors même qu'il n'aura pas encore rattrapé la province voisine.
Comment s'en sortir? À part mettre plus de monde à l'ouvrage, il n'y a que trois façons de s'enrichir: gagner le loto comme les Albertains, augmenter le nombre d'heures travaillées, ou produire plus de richesse par heure travaillée. Mais compter sur le loto, c'est risqué. Et allonger les semaines de travail, raccourcir les vacances et retarder les retraites offrent des possibilités limitées. Par élimination, donc, si le Québec doit poursuivre sa remontée économique, ce sera en produisant beaucoup plus de richesse par heure travaillée, c'est-à-dire en relevant le défi de la productivité. Notre progrès économique futur sera basé sur une accélération de notre productivité, ou il ne sera pas.
Finances publiques
Le vieillissement rapide de notre population va aussi avoir de sérieuses conséquences pour les finances publiques du Québec. La première est qu'avec moins d'adultes au travail, les revenus fiscaux du gouvernement vont baisser. Si la structure par âge de la population prévue pour 2031 (dans 25 ans) s'appliquait tout à coup aujourd'hui et que les taux d'emploi par âge se maintenaient, l'emploi diminuerait de 15 % au Québec, le revenu intérieur baisserait en proportion, et les revenus fiscaux du Québec seraient amputés de 7 milliards.
La deuxième conséquence financière du choc démographique est qu'avec deux fois plus d'aînés en 2031, le budget de la santé et des services sociaux va augmenter de 50 % par rapport à ce qu'il serait autrement. Si le choc démographique nous frappait aujourd'hui en 2006, le déboursé supplémentaire du gouvernement serait de 11 milliards.
Le manque à gagner fiscal et l'expansion du budget de la santé entraîneraient donc ensemble une impasse budgétaire de 18 milliards pour le gouvernement du Québec. On économiserait un peu en éducation, mais au net le trou financier dépasserait certainement les 15 milliards, soit plus du quart des revenus et des dépenses du budget de 2006-2007.
Pour compenser la baisse du taux d'emploi et résoudre son impasse financière, le gouvernement aura au moins trois options: s'endetter à nouveau (la voie japonaise), couper ou privatiser les services publics (la voie américaine) ou augmenter les impôts (la voie suédoise). S'il veut atténuer le choc, il pourra mettre en oeuvre deux grandes sortes de politiques: une politique de croissance économique et une politique de solidarité intergénérationnelle.
Accélérer la croissance
Le Québec peut d'abord accélérer sa croissance économique par les moyens classiques: combattre le chômage et la pauvreté, favoriser l'emploi des travailleurs âgés, accélérer l'intégration des travailleurs immigrants, pousser plus fort sur la scolarisation, l'entrepreneuriat, l'épargne, l'investissement, l'innovation et la productivité. Une croissance économique plus solide atténuerait l'effet d'appauvrissement général et la perte de revenus fiscaux qu'entraînera le départ des baby-boomers.
Le gouvernement peut en même temps essayer de protéger les nouvelles générations de l'endettement, des coupes de services publics et des hausses d'impôts en convainquant les générations actuelles de partager d'avance la facture avec eux. Cette politique de solidarité entre les générations est fondée sur le remboursement de la dette publique. Une réduction de la dette financée par les contribuables d'aujourd'hui fera diminuer les charges d'intérêts à payer par ceux de demain.
C'est l'idée qui sous-tend le fonds de remboursement de la dette, appelé Fonds des générations, que le gouvernement du Québec a créé au printemps 2006 avec l'appui très explicite de la population. Il faut maintenant mettre de l'argent dans ce Fonds. La méthode qui serait potentiellement la plus féconde consisterait à rapprocher les tarifs d'électricité du Québec du niveau moyen nord-américain. On peut appeler cette quatrième voie la voie albertaine, puisqu'il s'agirait de construire une espèce de Heritage Fund. Il s'agirait, en quelque sorte, d'" albertaïser " le Québec.
Le président du Mouvement Desjardins, Alban D'Amours, a proposé cette méthode avec beaucoup de conviction au cours des deux dernières années. Par exemple, une hausse moyenne des tarifs de 2 cents le kilowattheure ferait augmenter les revenus d'Hydro-Québec d'environ 4 milliards par année et procurerait une importante économie annuelle d'énergie de 20 milliards de kilowattheures au Québec. Cette mesure de solidarité intergénérationnelle serait écologique et enrichissante. Elle pourrait aussi être rendue progressive par un crédit d'impôt pour les contribuables à revenu modeste. Je crois sincèrement que c'est cette voie que le Québec doit maintenant emprunter.
L'auteur est économiste et enseigne à l'UQAM. Nous publions ici un extrait de sa présentation d'aujourd'hui au colloque intitulé " Notre avenir: un dialogue public " organisé par l'Université McGill un an après la parution du manifeste " Pour un Québec lucide " dont M. Fortin est un des signataires.


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