Alcan: qui décidera?

L'offre hostile d'Alcoa ravive le débat sur la propriété des entreprises canadiennes

Économie - Québec dans le monde



Nous publions en deux parties, aujourd'hui et demain, ce texte cosigné par M. Yvan Allaire, président du conseil de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques de HEC-Concordia et Mme Mihaela Firsirotu. professeur titulaire à la chaire J. Armand Bombardier en gestion transnationale à l'UQAM.
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Le 7 mai dernier, la société Alcoa a fait une offre d'achat pour l'ensemble des actions de la société Alcan. Cette offre est dite "hostile" parce qu'elle ne fut précédée d'aucune entente avec le conseil d'administration d'Alcan.
Cet événement survenant dans la foulée de prises de contrôle récentes de sociétés canadiennes par des intérêts étrangers a ravivé le débat sur la propriété des entreprises canadiennes. Ce débat révèle une incertitude plus générale à propos des coûts et bénéfices des grands chambardements provoqués par la mondialisation des économies et l'ascendance du capitalisme financier.
D'aucuns allèguent que ces phénomènes sont irrésistibles, que le chassé-croisé international des acquisitions et fusions produira une économie mondiale plus efficiente et plus productive pour le plus grand bien de tous... ou presque. (...)
Quoi qu'il en soit, ces grandes fusions et acquisitions soulèvent les enjeux d'une concurrence amoindrie, d'une dislocation de l'emploi, d'une éviscération des centres de décision canadiens. Or, dans le cas de l'Alcan, grâce à la sagacité du gouvernement du Québec, qu'il convient de saluer, Alcan, en échange des concessions hydro-électriques, a dû se soumettre à des conditions précises portant sur l'emploi et sur les centres de décision au Québec. De plus, Alcan dût accepter que ces conditions survivent à tout changement de contrôle de la société.
En conséquence, les enjeux de l'emploi et du "siège social" n'ont pas la même importance dans ce cas-ci que dans d'autres situations. Quant à l'enjeu de la concurrence, les agences canadiennes, américaines et européennes responsables de ces questions feront un examen serré des conséquences d'une fusion éventuelle Alcoa-Alcan et exigeront un certain nombre d'engagements et de concessions. L'arrivée massive de firmes russes et chinoises sur le marché de l'aluminium contribuera à dissiper en bonne partie la crainte que la société fusionnée jouisse d'un pouvoir de marché indu.
Ceci étant établi, la tentative d'Alcoa d'acquérir l'Alcan soulève d'autres types d'enjeux:
- Qui décidera en fin de course du sort d'Alcan?
- Pourquoi Alcan ne fait-elle pas une offre d'achat "hostile" pour Alcoa?
Qui décidera du sort d'Alcan?
La réponse est au premier abord simple: mis à part une intervention des gouvernements, dans le contexte juridique canadien, ce sont les actionnaires d'Alcan qui décideront en acceptant ou non l'offre d'achat de leurs actions; mais qui sont, ou plutôt qui seront, les actionnaires d'Alcan le moment venu de décider?
Entre le 7 mai, jour de l'annonce de l'offre hostile, et le vendredi 11 mai dernier, quelque 100 millions d'actions, soit environ 30% de toutes les actions d'Alcan, ont changé de main; et les deux tiers de ce volume de transactions furent effectués à la Bourse de New-York. De plus, les marchés financiers modernes proposent une pléthore d'instruments (produits dérivés de toute nature, options d'achat, etc.) permettant d'acquérir une importante position virtuelle dans l'actionnariat d'une entreprise. Le volume de telles transactions autour du titre d'Alcan est difficile à établir. Parce que souvent conclues de gré à gré, ces transactions n'apparaissent pas sur les bourses de produits dérivés.
Une chose est certaine, les situations comme celle-ci attirent la meute des fonds de couverture et autres fonds de même acabit. Leur objectif, on l'a bien vu lors de la saga Falconbride-Inco, est de provoquer une mise aux enchères de l'entreprise et la faire vendre rapidement à celui qui offre le meilleur prix en argent sonnant.
À cause de leur importance collective, ces fonds de couverture, nouvellement actionnaires, en arrivent, comme ce fut le cas pour Falconbride, à détenir la balance du pouvoir et ainsi décider du sort d'une entreprise et d'une industrie.
Il s'agit, nous semble-t-il d'une distorsion entre le principe d'un actionnariat stable et loyal et la pratique d'un actionnariat transitoire et spéculatif. Cette réalité bien contemporaine appelle des correctifs. C'est un peu comme si les touristes avaient droit de voter à une élection, comme si le Québec tenait un référendum et que le jour du vote, par hasard, trois millions d'Américains étaient en visite touristique au Québec et qu'on leur donnait le droit de voter et donc de décider de l'issue du référendum!
Exprimé en ces termes, cela parait ridicule et pourtant, c'est ainsi que se décide trop souvent le sort des entreprises. C'est pourquoi l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques propose que tout nouvel actionnaire doive détenir les actions pour une année avant d'acquérir le droit de voter. Une telle règle n'est pas une panacée mais elle aurait fait en sorte que la décision dans les situations du type Alcan-Alcoa soit entre les mains d'actionnaires engagés envers l'entreprise bien avant qu'elle ne soit mise en jeu.
DEMAIN: Pourquoi Alcan ne fait pas une offre "hostile" d'achat pour Alcoa?
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Dallaire, Yvan; Firsirotu, Mihaela


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