Même quand les délégués au congrès péquiste d’avril 2011 ont résolu d’interdire l’accès au cégep anglais aux francophones et aux allophones, plusieurs doutaient que le PQ ose inclure dans sa plateforme une mesure qui risquait de lui aliéner de nombreux électeurs francophones. Le scepticisme a encore augmenté quand son plus ardent promoteur, Pierre Curzi, a claqué la porte et que Pauline Marois a refusé de le réintégrer dans ses fonctions s’il rentrait au bercail.
Encore la semaine dernière, le porte-parole péquiste en la matière, Yves-François Blanchet, assurait à la Gazette que le calendrier du renforcement de la loi 101 n’était pas encore arrêté. Cela allait se faire dans le premier mandat, disait-il, mais il était irréaliste de penser que la loi pourrait être réécrite en quelques mois.
Dimanche, Pauline Marois a cependant déclaré que la « nouvelle loi 101 » serait adoptée dans les cent premiers jours d’un premier mandat péquiste. Alea jacta est. Le sort en est jeté. D’entrée de jeu, un éventuel gouvernement Marois plongera dans la controverse. La jeune vedette du PQ, Léo Bureau-Blouin, a donné dans l’euphémisme en déclarant que cela nécessitera « beaucoup de travail de communication ».
Après la Commission des États généraux sur la langue en 2001, le Conseil de la langue française, la Fédération des cégeps et la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) ont tour à tour signifié leur opposition. Même Jacques Parizeau s’est dit mal à l’aise à l’idée de priver des étudiants majeurs de la liberté de choix, et plusieurs députés péquistes ressentent le même inconfort. Il faut cependant être conséquent : on ne peut pas accuser François Legault de mollesse et reculer à son tour.
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Certains verront dans ce « radicalisme » un prix de consolation offert aux « purs et durs» qui reprochent à Mme Marois de ne pas s’engager plus résolument à tenir un référendum. Depuis toujours, le dossier linguistique a servi d’exutoire au trop-plein d’énergie des militants souverainistes. D’ailleurs, la réouverture du débat linguistique pourrait même contribuer à réunir les « conditions gagnantes » en provoquant une nouvelle séance de Quebec bashing au Canada anglais.
Le PQ va encore créer une crise inutile, dira-t-on, puisque 94 % des élèves francophones et 53 % des allophones s’inscrivent au cégep français. Au total, ceux qui optent pour le cégep anglais ne représentent que 7,3 % des étudiants inscrits dans l’ensemble du réseau collégial québécois.
On peut cependant voir les choses autrement. Alors que la situation du français ne cesse de se détériorer, particulièrement à Montréal, est-il normal que la moitié des étudiants qui fréquentent le cégep anglais ne soient pas des anglophones de souche ? En soi, cela ne constitue peut-être pas une menace mortelle pour le français, mais une politique linguistique est un tout dont les éléments se complètent. Un seul maillon faible suffit à fragiliser toute la chaîne. La francisation des milieux de travail est une condition essentielle à l’intégration des immigrants et il est clair que la langue de l’enseignement postsecondaire a une incidence directe sur la langue qui sera utilisée au travail par la suite.
Même chez les francophones, le tiers des étudiants qui ont fréquenté le cégep anglais utilisent principalement l’anglais au travail, selon les chiffres de la promotion de 2005 recueillis par Statistique Canada. S’ils ont poursuivi leurs études à une université, comme c’est souvent le cas, le chiffre grimpe à 47 %. Chez les allophones, les données concernant les diplômés des cégeps anglais n’étaient pas disponibles, mais 75 % de ceux qui sont sortis des universités anglaises travaillent surtout en anglais.
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Même si le Québec est probablement le seul endroit au monde où l’État finance à une telle hauteur l’enseignement collégial dans une langue autre que l’officielle, le PQ doit s’attendre à une levée de boucliers, non seulement chez les anglophones et les allophones, mais surtout chez les francophones qui tiennent à ce que leurs enfants soient bilingues.
Le programme officiel du PQ prévoit qu’un gouvernement péquiste « favorisera l’apprentissage de l’anglais en recourant à la pédagogie la plus efficace dans l’enseignement intensif à un moment de la scolarité où l’acquisition du français est confirmée, c’est-à-dire à la fin du primaire ou au début du secondaire ». En avril 2011, Léo Bureau-Blouin proposait aussi de renforcer la formation en anglais dans les cégeps français.
Le problème est que la crédibilité péquiste en matière d’enseignement de l’anglais est presque nulle. La fois où Mme Marois a eu le malheur de déclarer au Devoir que tous les Québécois devraient être bilingues en sortant du secondaire ou du cégep, elle a bien failli être lynchée.
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