Annette Laroche, une bien mystérieuse secrétaire

Son nom est associé à une vaste fraude aux États-Unis

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Toujours très dangereux d'agir comme prête-nom






Annette Laroche est une femme timide qui habite avec son petit chien dans un modeste cottage de Deux-Montagnes. Elle a tout d’une banlieusarde paisible, sauf que le nom de cette secrétaire juridique est associé aux auteurs d’une mégafraude fiscale de 50 millions de dollars US aux États-Unis.




Dans une déposition de 108 pages faite devant la justice américaine dans le cadre de cette affaire et dont notre Bureau d’enquête a obtenu copie, Annette Laroche donne un rare éclairage québécois sur le monde des paradis fiscaux internationaux.




Lorsqu’elle était secrétaire juridique de cabinets d’avocats de Montréal, elle a tellement signé de documents, à la demande de ses patrons, selon elle, que son nom ressurgit aujourd’hui aux quatre coins de la planète dans toutes sortes d’affaires louches (voir autres textes).




Annette Laroche agissait comme prête-nom. Elle a signé des tonnes de documents les yeux fermés alors qu’elle travaillait au cabinet d’avocats montréalais De Grandpré Chait, où elle a servi durant trente ans.




Son nom apparaît des dizaines de fois comme administratrice de firmes associées au scandale des paradis fiscaux des Panama Papers, impliquant la firme Mossack Fonseca du Panama (voir texte plus bas).




Fraude de 50 M$




Une de ces firmes est coincée dans une fraude spectaculaire aux États-Unis, où les autorités ont notamment saisi une foule d’objets de luxe: Rolls-Royce Phantom, Porsche Carrera GT, Bentley, Ferrari Testarossa, limousine, hélicoptère de 1,2 M$ US, yacht de 90 pieds amarré dans les Caraïbes, trois luxueuses maisons à Miami et des dizaines de millions de dollars dans des comptes de banque en Suisse.











<b>Léon Cohen-Levy</b> et <b>Mauricio Cohen Assor</b><br /><br>Fraudeurs




Courtoisie


Léon Cohen-Levy et Mauricio Cohen Assor

Fraudeurs







Selon des documents obtenus, ces biens appartenaient à deux promoteurs immobiliers espagnols, Mauricio Cohen Assor, 80 ans, et son fils, Leon Cohen-Levy, 51 ans. Les deux ont été reconnus coupables d’avoir comploté pour frauder le trésor américain. Ils ont été condamnés à dix ans de prison.




«Les deux hommes et leurs co-conspirateurs ont utilisé des prête-noms et des compagnies coquilles dans des paradis fiscaux [...] pour cacher leurs actifs et leurs revenus», affirme le fisc américain (IRS) dans un communiqué.




À partir du Québec




Selon des documents obtenus par notre Bureau d’enquête, une partie des biens des Cohen aurait été cachée grâce à une société-écran enregistrée non pas dans des paradis fiscaux opaques, mais bien ici, au Québec.




Annette Laroche aurait servi de paravent pendant des années aux Cohen, selon des allégations d’une procédure judiciaire en cours aux États-Unis. Mme Laroche a été impliquée en parallèle, sur papier au moins, dans deux compagnies des Cohen.




«Les Premiers Investissements Hoteliers & Villégiature est une entreprise québécoise contrôlée par les Cohen, et fait partie de leur réseau de compagnies coquilles offshore utilisé pour dissimuler le véritable propriétaire des actifs», allègue la poursuite déposée par un créancier français se disant lésé.




Cette compagnie québécoise aurait notamment servi à dissimuler les réels propriétaires d’un luxueux condo de 7,2 M$ US dans la Trump Tower à New York.




La poursuite dit déceler «des signes classiques de fraude et de blanchiment d’argent» dans le montage financier.


 





Quelques biens saisis par la justice américaine











 




Un mystérieux avocat suisse derrière Annette Laroche



 




Annette Laroche dit être devenue «administratrice» de compagnies sur les conseils d’un mystérieux avocat suisse, André Zolty.




Le nom d’André Zolty a défrayé la manchette en Suisse au moment du scandale des Panama Papers. Il n’existe aucune photo publique de lui.




«Je connais André Zolty depuis des années et il m’a demandé de faire ça», a déclaré Mme Laroche au sujet de cet avocat qu’elle dit avoir connu en 1989.




«Il était un client de De Grandpré Chait», selon elle.




Le nom de Zolty se trouve dans une poursuite contre Cohen Assor et Cohen-Levy, en Floride.




«André Zolty, un avocat établi à Genève, apparaît comme ayant été la source primaire des entités prête-noms et des faux documents des Cohen», allègue la requête des autorités américaines.




Suisse et Montréal




Dans un article d’enquête du quotidien suisse 24 Heures, il est indiqué que Zolty serait allé jusqu’à antidater des documents pour protéger des clients traqués par la justice.




Dans une déposition, la secrétaire Karen McIntyre déclare avoir été introduite à André Zolty par l’avocat Robert Levy. Il est le frère de Ronald Levy, qui est associé chez De Grandpré Chait.




Robert Levy n’a pu être joint. Ronald Levy n’a pas répondu à un courriel.


 




Dirigée par un cabinet d’avocats montréalais












<b>Me Éric Lalanne</b><br /><br>Avocat




Photo LinkedIn


Me Éric Lalanne

Avocat









Annette Laroche dit avoir reçu le soutien de son ex-employeur pour agir comme prête-nom pour des compagnies d’individus qui se sont avérés être des fraudeurs, selon une déposition sous serment de 2011.




Elle dit notamment que les procès-verbaux de l’entreprise Les Premiers Investissements Hôteliers & Villégiature (liée aux Cohen) étaient tenus à jour dans les bureaux mêmes du cabinet.




«De Grandpré Chait m’appelait pour me dire: “Venez, nous avons un document pour vous à signer”», dit-elle.




Elle admet n’avoir jamais rencontré ni même connu les Cohen. Elle dit avoir reçu 100 $ pour ses services dans ce cas.




Autre prête-nom




Son témoignage corrobore celui d’une autre secrétaire juridique, Karen McIntyre (établie en Ontario).




Celle-ci, qui n’était pas employée de De Grandpré Chait, dit avoir signé des documents comme présidente des Premiers Investissements Hôteliers & Villégiature pendant des années à la demande de De Grandpré Chait à Montréal ou d’André Zolty (voir autre texte).




Elle va jusqu’à reconnaître qu’elle a signé des documents où les noms et les dates étaient laissés en blanc. Son adresse dans des documents n’est même pas la sienne, mais celle de sa grand-mère.




De Grandpré Chait nie les allégations des deux secrétaires (voir autre texte).


 






De Grandpré Chait dit faire le ménage et se distancie d’Annette Laroche




 



Le cabinet De Grandpré Chait reconnaît qu’il ne connaissait pas toujours dans le passé l’identité réelle de ses clients, dans un aveu rare et surprenant pour une étude légale.




«Le cabinet, par le passé et s’il s’agissait de clients référés par nos contacts internationaux, s’en remettait aux vérifications effectuées par ces avocats dont la réputation était reconnue et vérifiée», nous a écrit Me Éric Lalanne, associé chez De Grandpré Chait.




«Depuis quelques années, nous avons modifié notre approche», dit-il.




«Pour les compagnies qui avaient été incorporées avant la mise en œuvre de cette politique, nous avons effectué, ces dernières années, ces mêmes vérifications et s’il était impossible d’obtenir réponse satisfaisante suite à celles-ci, nous avons mis fin au mandat.»




Vérifications




Le cabinet insiste désormais pour connaître l’identité des actionnaires, la légitimité de leurs activités et de la source des fonds, selon Me Lalanne.




Concernant Annette Laroche, ses fonctions de «directrice des services corporatifs» chez De Grandpré Chait de 1999 à 2006 «n’impliquaient pas qu’elle agisse comme administratrice prête-nom», selon lui.




«Nous comprenons qu’elle a agi comme directrice de la compagnie Les Premiers Investissements Hôteliers & Villégiature Inc. d’octobre 2007 à avril 2009, donc après son emploi chez [nous]». Elle était alors chez McCarthy Tétrault (de 2006 à 2011).




Qui dit vrai?




Selon lui, les procès-verbaux n’étaient pas tenus à jour chez De Grandpré Chait, en contradiction de ce qu’affirme Mme Laroche dans une déposition sous serment.




Dans un courriel subséquent, nous lui avons soumis une déposition d’une autre secrétaire, Karen McIntyre, qui dit aussi avoir reçu des directives de De Grandpré Chait pour agir comme prête-nom. Me Lalanne a admis que le cabinet a été impliqué dans le dossier en 2009.




«Nous n’avions à cette époque aucune information nous permettant de mettre en doute l’honnêteté de la famille Cohen ni n’avions connaissance des faits et gestes qui ont mené à la condamnation de deux membres de la famille aux États-Unis en 2011», s’est justifié Me Lalanne.


 




Un bel exemple d’aveuglement volontaire












Annette Laroche laisse voir un goût<br>marqué pour l’équitation.




Photo Facebook


Annette Laroche laisse voir un goût
marqué pour l’équitation.









L’énigmatique Annette Laroche ne posait pas beaucoup de questions avant de signer des documents, c’est le moins qu’on puisse dire.




Elle dit même s’être fiée à d’autres quand elle a déclaré des revenus au fisc pour une compagnie. Dans ce témoignage d’Annette Laroche rendu en 2011 à Montréal, lors d’une poursuite d’une entreprise française contre l’entreprise québécoise Les Premiers Investissements Hôteliers & Villégiature (et d’autres parties à New York), l’aveuglement volontaire de Mme Laroche est bien illustré. Le créancier français, qui interroge Mme Laroche, allègue que deux fraudeurs condamnés en 2011 se cachent derrière Les Premiers Investissements Hôteliers (entreprise «administrée» par Mme Laroche de 2007 à 2009). Voici quelques-uns des éléments les plus troublants de sa déposition sous serment.





Quelle était votre compréhension de vos responsabilités comme administratrice chez Les Premiers Investissements Hôteliers & Villégiature?




De signer des résolutions, mais principalement de mettre mon nom parce qu’ils avaient besoin d’un administrateur pour une compagnie, et il s’agit d’une compagnie québécoise.




Vous n’avez jamais communiqué avec quelqu’un d’autre qu’[un] avocat. [...] Vous n’avez jamais parlé à Maurice Cohen et Leon Cohen-Levy?




C’est exact. La réponse est non.




Est-il juste de dire que votre seule fonction était de remplir des formalités administratives?




Oui. [Elle admet aussi n’avoir aucun réel pouvoir décisionnel].




Saviez-vous qui étaient les propriétaires réels de Les Premiers Investissements Hôteliers & Villégiature ?




Non.




Quelles étaient les procédures habituelles quand vous incorporiez des compagnies [dont de nombreuses se retrouvent dans les Panama Papers]?




Ils m’envoyaient des directives et nous suivions ces directives.




Qui sont «ils»?




Le bureau d’André Zolty [à Genève, en Suisse]. Ils communiquaient avec moi par téléphone, par télécopieur ou par courriel.




Y avait-il des communications avec quelqu’un d’autre qu’André Zolty?




Il y en avait aussi avec De Grandpré Chait [l’avocat de Mme Laroche s’oppose à ce qu’elle dise avec qui précisément].




Qui tenait à jour et conservait les procès-verbaux?




De Grandpré Chait. Le cabinet lui-même. [...] J’ai offert à André Zolty d’entreposer les procès-verbaux de Premiers Investissements Hôteliers & Villégiature à partir de 2011 chez moi, car de Grandpré Chait avait besoin d’espace.




Comme administratrice de la compagnie, aviez-vous l’obligation de vous informer sur les revenus et les dépenses de la compagnie Les Premiers Investissements Hôteliers & Villégiature quand vous avez rempli sa déclaration d’impôt en 2007 pour les autorités canadiennes?




Je pense que cette information est vraie.




Quelle était la source de l’information de Me Zolty selon laquelle l’entreprise n’avait pas de revenus ni de dépenses?




Je ne sais pas.


 




Des ramifications troublantes






 



Le nom d’Annette Laroche avait fait surface lors du scandale des Panama Papers en avril, mais c’est la première fois que son nom est associé aussi clairement à des fraudeurs.




Les documents obtenus posent la question de la véritable identité des personnes derrière les autres compagnies «administrées» par Annette Laroche.





  • Notre Bureau d’enquête a déjà pu établir qu’«un marchand de diamant de sang» (selon Jennifer Mossack, la fille du fondateur de Mossack Fonseca) est lié à une firme où le nom de Mme Laroche figure comme administratrice.





  • Le nom de Mme Laroche apparaît aussi dans une compagnie impliquée dans un projet immobilier controversé en Palestine.





  • Une autre entreprise incorporée par Mme Laroche, Investissement International Groupotel, a comme actuel président Jesse Hester Grant, un prête-nom notoire. Une des 1500 entreprises qu’il a administrées a déjà servi à Saddam Hussein pour déjouer le programme Pétrole contre Nourriture de l’ONU. Groupotel aurait aussi des liens avec les Cohen.





  • Une autre compagnie liée à elle apparaît impliquée dans la privatisation de l’eau en Géorgie, dans le Caucase.



 



Visites chez Annette Laroche



 




Rencontrée en novembre à sa maison de Deux-Montagnes, en banlieue de Montréal, Annette Laroche n’a pas voulu répondre à nos questions.




«Je n’ai rien à vous dire et de toute façon je ne sais rien», nous a-t-elle dit.




Mme Laroche a refusé de nous laisser entrer dans sa maison de Deux-Montagnes, contrairement à une première rencontre en avril dernier où elle a poliment reçu un journaliste de notre Bureau d’enquête.




Elle avait justifié son rôle de prête-nom comme étant tout à fait légal lorsque nous l’avions rencontrée quelques semaines après l’éclatement du scandale des Panama Papers. Elle assurait avoir agi sous les directives d’un cabinet à l’étranger.




En compagnie de son chien, elle semblait nerveuse tout en indiquant qu’elle n’avait fait que signer des documents, notamment lorsqu’elle travaillait au cabinet De Grandpré Chait. Son fils est intervenu dans la conversation lorsque nous avons tenté d’en savoir plus sur certaines sociétés.




Jointe hier après-midi, elle n’a pas voulu commenter davantage.







 




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