Pour ceux qui douteraient encore du manque absolu de respect des règles démocratiques les plus élémentaires dans la «stratégie» fédérale déployée pendant la campagne référendaire de 1995, la vérité sort aujourd’hui de la bouche de son ultime architecte.
Dans une entrevue accordée au Sunday Post suivant la défaite du Oui en Écosse, l’ex-premier ministre libéral Jean Chrétien y va d’un aveu tout à fait candide sur l’organisation du fameux «love-in» fédéraliste tenu à Montréal quelques jours avant le référendum du 30 octobre 1995 en pleine remontée du Oui.
Un «love-in» qui, comme on le sait, avait coûté une fortune en frais réels et en rabais accordés aux participants par des compagnies privées. Un «love-in» qui avait vu déferler des milliers de Canadiens anglais en plein centre-ville de Montréal venus déclarer leur «amour» soudain pour les Québécois.
Rappelant la remontée du Oui en fin de campagne en 1995 – une remontée similaire à celle qui précédait le référendum écossais du 18 septembre dernier, Jean Chrétien raconte sa réaction de l’époque au Sunday Post:
«But in the last nine days I said to hell with the rules and organised a huge meeting in Montreal in which thousands of people flew in to send a message that we wanted Quebec to stay with us.» Traduction libre: «Dans les derniers neuf jours, j’ai dit au diable les règles et organisé une énorme rencontre à Montréal où des milliers de personnes sont venues de partout pour envoyer le message à l’effet que nous voulions que le Québec reste avec nous.»
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«Au diable les règles»… difficile d’être plus clair. L’homme en est même fier…
L’autre partie de l’«aveu» est tout aussi révélatrice.
Dans cette même entrevue – la citation de l’ex-premier ministre est bel et bien placée entre guillemets -, Jean Chrétien reconnaît avoir «organisé» le «love-in» en question. Ce qui veut dire, dans les faits, qu’il avait approuvé cette idée saugrenue proposée en désespoir de cause par son ministre Brian Tobin et qu’il en avait délégué l’organisation en lui apposant le sceau sacré de sa plus entière permission.
Les «organisateurs» en furent donc ses ministres Sheila Copps et Brian Tobin – deux membres pugnaces de son caucus et du fameux «Rat Pack» libéral, comme on l’appelait.
Comme le professeur Donald Savoie le rappelait ici dans les pages du Globe and Mail, Air Canada, le Canadien Pacific et Via Rail avaient également offert des voyages à grands rabais aux Canadiens anglais dépêchés en masse au love-in de Montréal par le fédéral.
Selon les sondeurs de l’époque, le love-in n’aurait donné aucun avantage au Non. Il lui aurait même peut-être fait perdre un ou deux points dans l’isoloir.
Son effet, par contre, n’enlève rien à la signification de ce «au diable les règles» décrété par Jean Chrétien.
Ce «au diable les règles» confirme que :
- En politique, la fin justifie souvent les moyens. Surtout, lorsqu’un pays est face à sa possible dislocation. Que les souverainistes se le tiennent pour dit.
- La loi québécoise sur les consultations populaires et les «règles» couvrant entre autres le financement et les dépenses permises par les camps du Oui et du Non pendant une campagne référendaire, est vue comme une véritable farce à Ottawa. En fait, le Canada étant une fédération, aucun gouvernement fédéral n’y est soumis. Contrairement au gouvernement fédéral, le camp officiel du Non au Québec, lui, y est soumis.
Or, en acceptant d’y participer, le chef du camp du Non, Daniel Johnson, de même que certains et certaines de ses ministres qui l’accompagnaient, ont en fait cautionné la tenue d’un événement dont les coûts étaient de toute évidence nettement supérieurs à ce que le camp du Non était en droit de dépenser. Même si, après coup, le chef du Non dit avoir été furieux de l’idée même, le love-in a quand même eu lieu et il a eu lieu avec leur participation publique.
Presque vingt ans plus tard, cela en dit également long sur le même «au diable les règles» qui, dans les faits, régnait au sein du camp québécois du Non lors de la remontée in extremis du Oui.
Ce même «au diable les règles», comme l’ont démontré les auteurs Robin Philpot et Normand Lester, on le retrouvera aussi chez Option Canada. Un organisme bidon créé par le gouvernement Chrétien pour faire transiger un «financement parallèle» du Non à hauteur de près de 5 millions de dollars en fonds publics au moment où les dépenses officielles totales des camps du Oui et du Non étaient plafonnées à 5 millions de dollars chacun.
Ce même «au diable les règles», avait également permis à Chuck Guité, une des «vedettes» du scandale des commandites, de réserver en pleine campagne référendaire la rondelette somme de huit millions de dollars en panneaux-réclame.
Ce même «au diables les règles», on le retrouvera également après le référendum.
Il sera au cœur même du modus operandi du scandale des commandites – une vaste opération de propagande pro-unité nationale qui, dans les faits, servait à détourner des fonds publics pour financer illégalement le PLC tout en donnant de généreux contrats de publicité à des firmes «amies».
La prochaine fois que le député libéral fédéral Stéphane Dion – géniteur sous Jean Chrétien de la Loi dite sur la clarté -, viendra au Québec pour faire la leçon de morale, de transparence, d’éthique et de clarté, qu’on se souvienne du «au diable les règles» qui, dans les faits, régnait à Ottawa…
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