Abolir les Cégeps, voilà l’idée du siècle des jeunes libéraux! Mais à quelle fin? Pour favoriser l’arrimage école-travail, voyons! Samedi dernier, lors de leur congrès à Sherbrooke, cette proposition est passée de justesse. Mais Philippe Couillard l’avait déjà rejetée…… avant même le vote. Les congressistes ont également adopté des résolutions en faveur de nouveaux péages sur le futur pont Champlain et d’une privatisation de la Société des alcools du Québec (SAQ).
Dans cette optique, l’école aurait une fonction strictement « utilitaire ». Comprenez par là que son rôle se résumerait exclusivement à faire des élèves les travailleurs de demain. Dans la même foulée, les jeunes libéraux ont émis le souhait de « rapprocher » davantage l’école du secteur privée.
De cette façon, le cursus scolaire deviendrait spontanément plus « performant».
Ah bon, mais comment? Eh…
Aucune étude, aucun argumentaire pour étayer leur prise de position. Juste du …vent!
Ah pensée magique quand tu nous tiens!
On est loin d’Aristote et de l’idée qu’il se faisait de la place de l’éducation dans la Cité, c’est le moins qu’on puisse dire. Aristote qui, déjà?
Cette proposition lourde de conséquence traduit la pauvreté intellectuelle et la petitesse de vue de ces jeunes politiciens qui ont, probablement sans s’en rendre compte, le nez trop collé sur l’immédiateté du marché du travail, sur l’entreprise, et s’oublient dans l’ivresse de la consommation, transformant l’école en une « boite de prestations » purement mercantile.
Ils cassent ainsi le ressort possible de la portée éducative du CEGEP : la culture générale ainsi que la démocratisation de l’enseignement au Québec et mettent de côté ce qui fait le génie de tout peuple : sa créativité.
Bref, les jeunes libéraux se trompent pour au moins quatre bonnes raisons.
1. Ils défendent une conception de l’école en panne de sens
L’école se réduirait –t-elle à un simple reflet du lieu et de l’époque, ou devrait –t-elle faire l’effort de se délivrer de leurs limites? Serait-t-elle conçue en vue d’un monde meilleur, ou simplement pour reproduire celui qui existe par une démarche purement conformiste?
C’est bien du rapport à soi de toute société que dépend la réponse à ces questions.
La pensée des jeunes libéraux semble attendre de l’école qu’elle lui fournisse des travailleurs formatés selon les contraintes de l’heure. Pourtant, les formations strictement adaptées à l’immédiateté du marché du travail se révèlent bien vite périmées, sauf à s’articuler à une solide culture générale et à la capacité adaptative qu’elle seule permet.
En d’autres mots, pour éviter de s’enfermer dans le caractère unidimensionnel d’un métier, la maitrise d’un savoir ou d’un savoir-faire doit se conjuguer à une formation d’ensemble et ne saurait se suffire à elle-même.
Que deviendrait un jeune travailleur qui a suivi une formation spécialisée assez pointue dans sa région après la délocalisation de son usine?
2. Ils ne connaissent pas les contraintes des régions
Un jour, de riches hommes d’affaires des États-Unis et de l’Angleterre constatent que Trois-Rivières est l’endroit idéal pour construire une usine de papier. On est en 1920. Le site est plus qu’attrayant.
La forêt s’étend sur des centaines de kilomètres et la rivière Saint-Maurice passe au milieu de cette forêt. On peut ainsi facilement transporter du bois sur la rivière et par la suite le papier. Voilà donc pourquoi Trois-Rivières avait tout pour devenir la capitale du papier.
Des Trifluviens, de père en fils, ont gagné leur vie dans les papeteries. Et lorsque les usines ont plié bagage, les travailleurs se sont retrouvés gros Jean comme devant. Et Trois-Rivières est devenue la capitale du chômage!
Heureusement pour la plus ancienne ville du pays après Québec, la culture, le tourisme, l’université, le CEGEP ainsi que l’hôpital l’ont sauvée.
3. Ils oublient que l’Homme, le citoyen, le travailleur s’accomplissent ensemble
Assumer son rôle économique ne suffit pas. Faut-il aussi accomplir son rôle social et exercer sa responsabilité de citoyen et plus généralement sa vie d’homme accompli.
Ce faisant, les jeunes libéraux ont totalement occulté une certaine idée de l’homme-citoyen-travailleur qui, lorsqu’il est doté d’une culture, trouve les repères nécessaires pour donner un sens à sa propre vie ainsi que le goût de construire avec ses semblables un projet collectif.
En raison de sa hauteur de vue, de son exigence, un tel idéal ne se réalise pas aisément.
A trop vouloir faire de l’école un simple instrument de gain, a trop vouloir adopter comme boussole la niche professionnelle on risque de donner à entendre que rien ne compte vraiment hormis la logique marchande du donnant-donnant.
Comme le fait remarquer le philosophe Henri Pena-Ruiz: « Le rôle de l’école n’est pas seulement de transmettre de génération en génération les savoirs et les savoir-faire qui assurent la production des biens requis pour vivre; il faut aussi construire l’autonomie de jugement de chaque citoyen, en lui donnant l’assise fondatrice d’une culture ouverte à l’universelle. »
4. Ils occultent les « vrais enjeux »
Le chômage structurel des jeunes, la mondialisation, la déréglementation, la dérégulation financière, les délocalisations, une certaine conception du travail, ce 1% de la population mondiale qui détient la moitié des richesses, voilà autant de causes qui affectent l’avenir professionnel des uns et des autres.
L’école est directement touchée par ces mutations, et la question est de savoir comment elle peut y faire face tout en maintenant la fonction de promotion sociale et d’émancipation intellectuelle qui définit sa raison d’être.
Voilà des sujets qui devraient faire réfléchir les jeunes libéraux. C’est sur ces points et ces paradoxes que se nouent les débats et les controverses. Comme le soutenait Rousseau au début de l’Émile, mieux vaut soutenir des paradoxes que défendre des préjugés. L’étude de la philosophie, de l’histoire, de la littérature et de la musique participe à l’émancipation des peuples.
Car l’Homme, le citoyen, le travailleur s’accomplissent ensemble et non de façon inversement proportionnelle.
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