Amélie Daoust-Boisvert - Même s'ils ont obtenu gain de cause et ne doivent pas demander un permis et devenir des cliniques médicales spécialisées (CMS), les centres de santé des femmes qui pratiquent des avortements pourraient avoir à se conformer aux mêmes règles de pratique que les cabinets privés. Les médecins les jugent excessives et irréalistes, comme l'écrivait hier Le Devoir après que la clinique L'Alternative eut annoncé la fin des interruptions volontaires de grossesse (IVG) entre ses murs. Le Conseil du statut de la femme et l'opposition pressent Québec d'intervenir.
Comme l'explique Nathalie Genois, coordonnatrice au Centre de santé des femmes de Montréal, les centres de santé ont obtenu une modification au projet de loi 34, car ils ne sont pas «privés». Les centres sans but lucratif ne sont pas la propriété des médecins, qui y travaillent comme contractuels.
Par contre, Mme Genois s'attend à devoir se plier aux mêmes exigences que celles imposées aux cliniques d'avortement dans la loi 34. «Les normes imposées aux cliniques médicales spécialisées [CMS] sont les mêmes [que les nôtres].» Pas plus que les cabinets, les centres de santé des femmes ne possèdent de bloc opératoire, exigé dans les normes actuelles en révision. «Nous n'avons pas eu de visite [du ministère] pour l'instant, mais on sait qu'on va devoir être agréés», dit Mme Genois. «On va devoir se soumettre aux normes, mais peut-être qu'on a un délai un peu plus long» que le 30 septembre, date butoir pour les cliniques Fémina, L'Envolée et Morgentaler.
L'opposition déplore
L'opposition déplore cette situation. Le député du Parti québécois et porte-parole de l'opposition officielle en matière de santé, Bernard Drainville, est d'avis que maintenir une telle exigence revient à limiter le droit à l'avortement. «Et ce n'est pas ce qu'on veut», a dit le député, qui a siégé à un comité parlementaire sur la loi 34. D'accord avec l'encadrement des cliniques privées, il trouve toutefois «excessive» l'obligation pour toutes les cliniques d'avortement de se doter d'un bloc opératoire. «Jusqu'ici, les cliniques offraient un service d'avortement aux femmes qui semblait sécuritaire sans avoir de bloc opératoire. Alors, pourquoi maintenant l'imposer?», a demandé M. Drainville.
Pour sa part, le porte-parole adéquiste en matière de santé, Éric Caire, répète qu'il a toujours été contre le carcan administratif imposé aux cliniques médicales, qui «étouffe» selon lui les médecins et rend impossible la gestion de ce type de cliniques. «L'objectif du ministre Bolduc avec ce projet de loi est de détruire le réseau des CMS, car il a toujours été idéologiquement contre ce projet-là», a-t-il soutenu.
Pour l'heure, le ministère de la Santé défend les nouvelles normes imposées aux cliniques. Pour des raisons de sécurité et de qualité des services, il est tout à fait normal de demander aux cliniques de mettre à jour leurs pratiques, a indiqué une porte-parole du ministère à La Presse canadienne. Marie-Claude Gagnon a par ailleurs affirmé à Radio-Canada que les CLSC seront soumis aux mêmes exigences.
Les centres de santé des femmes partagent l'indignation des cabinets privés devant la lourdeur des normes imposées par Québec, bien au-delà de celles du Collège des médecins et de la National Abortion Federation. «Nous sommes d'accord avec le principe de base d'imposer des normes pour la sécurité des femmes, dit Nathalie Genois. Mais là où on a de la difficulté, c'est que plusieurs de ces normes sont inutiles pour assurer la sécurité, comme celle d'avoir un bloc opératoire. Ce n'est pas une opération à coeur ouvert, un avortement.»
La bataille des cliniques d'avortement sera donc déterminante pour les centres de santé des femmes, qui pratiquent bon an, mal an quelque 3000 avortements. «On est très préoccupés», de résumer Mme Genois.
Outre le centre montréalais, deux autres organismes communautaires offrent le service d'avortement, soit le Centre de santé des femmes de la Mauricie et la Clinique des femmes de l'Outaouais. Celle-ci est particulièrement importante: en Outaouais, les femmes n'ont accès à aucun avortement dans les services publics, soit six centres hospitaliers et cinq CLSC. Seul cet organisme communautaire offre le service.
Dans la foulée, le Conseil du statut de la femme est préoccupé par les conséquences sur l'accès à l'avortement. «Nous nous inquiétons de l'accès à l'avortement en général. Il faut absolument que [la normalisation] soit réglée d'ici le 1er octobre dans les deux ou trois autres cliniques privées. Il faudrait que les établissements publics offrent plus de services», a dit sa présidente, Christiane Pelchat, en entrevue avec Le Devoir.
Le Conseil du statut de la femme avait déjà averti le gouvernement des dérives potentielles et réelles du recours au privé. «Cela démontre que de laisser au privé la responsabilité des services de santé qui doivent être offerts dans les services publics, cela crée de l'instabilité et j'ai peur pour la suite.»
L'Agence de santé publique de Montréal expliquera lundi son plan pour continuer à assurer l'accès à l'avortement à Montréal malgré la fin de ce service à la clinique L'Alternative, a précisé Chantal Huot, responsable des relations avec les médias.
***
Avec la collaboration de Lisa-Marie Gervais et de Caroline Montpetit
Avec La Presse canadienne
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé