Bloc québécois: bilan et perspectives

La meilleure manière d'aider le Bloc en ce moment est d'être absolument lucide dans l'analyse des raisons de sa défaite

Recomposition politique au Québec - 2011



Le rideau est tombé: les Québécois ont choisi majoritairement une option fédéraliste et canadienne, laquelle, par définition, reposera toujours sur notre enfermement minoritaire. Des lendemains qui font déchanter sont à prévoir. Le NPD, aussi bien intentionné soit-il, tout comme l'était Brian Mulroney, se heurtera aux volontés de la majorité canadienne.
En démocratie, une règle fondamentale prévaut, celle de la loi de la majorité. Or, le peuple québécois ne sera jamais plus qu'une communauté parmi d'autres, qui n'a même plus le mérite d'effrayer le régime, une communauté que Stephen Harper a pensé distraire en lui collant l'étiquette de «nation dans un Canada uni», un Canada qui, on le rappelle, n'inclut pas le Québec dans sa Constitution, que le Québec refuse toujours de signer la tête haute.
Notre formation politique, le Bloc québécois, est à l'heure des bilans et devra faire des choix qui seront cruciaux au cours des prochaines années. D'autant plus que le Parti québécois devient ainsi, pour une période dont la durée reste imprévisible, l'unique véhicule politique porteur de la cause souverainiste. Ses responsabilités seront désormais immenses.
Je suis un indépendantiste convaincu et membre du Bloc depuis le jour de mes 16 ans. Depuis septembre 2010, je suis président du Forum jeunesse du Bloc québécois. Pour espérer remettre notre formation sur ses rails, il importe de saisir les véritables raisons de sa déconfiture. C'est par fidélité envers la cause du Québec que j'offre cette modeste contribution. La meilleure manière d'aider le Bloc en ce moment est d'être absolument lucide dans l'analyse des raisons de sa défaite.
Vision incomplète
Une évidence s'impose: notre parti, qui était le principal porteur du nationalisme québécois sur la scène fédérale depuis 1993, en défendait une conception incomplète et exclusive en se repliant sur une défense des valeurs progressistes «du Québec», lesquelles marqueraient notre principale distinction par rapport à un Canada conservateur. Ces valeurs québécoises, présentées sous forme de liste d'épicerie (qui sont en réalité des positions politiques précises) sont non seulement universelles et partagées par bon nombre de Canadiens et d'occidentaux, mais sont loin de faire l'unanimité au Québec. C'est là tout le paradoxe de cette vision identitaire particulière.
Le Bloc québécois, qui a été fondé à la suite de l'échec de l'accord du lac Meech et était le résultat d'une conjoncture rendue possible par le nationalisme historique de la majorité francophone, censure la portée identitaire du combat indépendantiste depuis le début des années 2000. En 1999, la liquidation de la thèse des deux peuples fondateurs marquait le début d'une mutation de la question nationale vers un soi-disant pluralisme interculturel qui ressemblait en tout point à un multiculturalisme trudeauisant adapté à la sauce québécoise.
Or, sortir la question nationale de son histoire équivaut à la neutraliser et à nier sa pertinence. Le virage de la «citoyenneté» équivalait à succomber à la tentation démiurgique de fabriquer un nouveau peuple basé sur les dogmes «diversitaires». La communauté de destin et d'histoire devenait ainsi une communauté de valeurs et d'administration. La nouvelle ligne «Québécois sans exception», nous réduisait à une identité territoriale et remplaçait la ligne historique du «est Québécois qui veut l'être», ou, autrement dit, est Québécois celui qui démontre sa véritable volonté d'adhérer à notre nation par sa connaissance de la langue, de la culture et de l'histoire de celle-ci.
Ainsi, les nouvelles raisons justificatrices du combat souverainiste et les symboles de notre différence nationale étaient désormais les «valeurs du Québec» précédemment énoncées, et le sacro-saint modèle socioéconomique québécois de l'État providence social-démocrate.
Virage identitaire
Le Parti québécois a su extraire ses démons multiculturalistes sous la direction de Pauline Marois, qui a très rapidement réhabilité le «nous» jusqu'alors nié et censuré. Le prochain chef du Bloc québécois aura le même défi, d'autant plus que la survie du parti passe par un nécessaire virage identitaire qui le ramènera à sa mission fondamentale et le distinguera des partis fédéralistes de gauche à Ottawa. Il n'est aucunement exclusif de prétendre que le projet indépendantiste est porté par l'histoire et par la majorité historique francophone et que son aboutissement reposera sur les épaules de cette dernière, et de tous ceux qui veulent y adhérer, bien entendu.
Que le nationalisme se doive d'être inclusif, voilà une idée qui fait l'unanimité. Les souverainistes doivent poursuivre leurs efforts pour rejoindre les communautés ethniques de prime abord réfractaires au projet d'indépendance. Cependant, notre mouvement n'aurait jamais dû confondre une prise en compte de la diversité ethnique en tant que réalité et une adhésion camouflée au multiculturalisme en tant qu'idéologie et au progressisme en tant que prétendu trait distinctif du Québec. Cette mauvaise conscience se traduisit de manière particulièrement malsaine lorsque le Bloc a voté pour le changement de nom de la province de Terre-Neuve pour y ajouter «Labrador», faisant fi de cette revendication historique du Québec et du vol éhonté dont le Québec a été victime.
Japper plutôt que mordre
Le Bloc n'a pas été fondé en tant que représentant de la gauche à la Chambre des communes. Cependant, la coalition arc-en-ciel créée par d'ex-ministres de Brian Mulroney s'est mise à exclure ou à marginaliser ses éléments conservateurs pour ne devenir que le porteur de revendications syndicales et communautaires multiples. Ses effectifs et son recrutement de candidats reflétaient ce nouveau programme clientéliste, si bien que d'ex-députés ont qualifié le Bloc de «Sénat de la CSN».
Cette culture montréalocentriste (que le rapport Alarie montrait déjà du doigt en 2006 et que la direction bloquiste a choisi d'ignorer) se doublait d'une institutionnalisation du parti, qui jouait le jeu du parlementarisme canadien. Si on ne peut que saluer le professionnalisme de l'équipe bloquiste, on peut dénoncer son intégration au système fédéral. Ottawa n'a jamais été aussi présent au Québec, en partie à cause des actions du Bloc québécois, qui par son idéologie de gauche exigeait un plus grand niveau d'intervention étatique en faveur du Québec et servait ainsi la centralisation fédérale et notre dépendance à l'égard d'Ottawa. Chien de garde protecteur du Québec, le Bloc a choisi de japper plutôt que de mordre, d'améliorer et d'accréditer le fédéralisme plutôt que d'incarner la rupture, le rejet du Canada, de sa Constitution illégitime et de son système néfaste. Le Bloc optait pour une dénonciation des programmes gouvernementaux plutôt que pour le procès du régime. Son message aurait dû être le suivant: le défi n'est pas tant de sortir le Québec du Canada, mais de sortir le Canada du Québec, bien avant une quelconque prétention à «empêcher Harper d'avoir sa majorité».
Les défis du Bloc québécois seront immenses: il devra s'investir dans un courageux travail d'introspection. S'il résiste à la tentation de se saborder, il pourrait redevenir cette grande coalition nationale indépendantiste qu'il a déjà été et pourrait servir brillamment la cause de notre liberté collective. C'est le plus bel avenir que nous pouvons lui souhaiter.
***
Simon-Pierre Savard-Tremblay - Président du Forum jeunesse du Bloc québécois
L'auteur s'exprime ici à titre personnel

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Simon-Pierre Savard-Tremblay est sociologue de formation et enseigne dans cette discipline à l'Université Laval. Blogueur au Journal de Montréal et chroniqueur au journal La Vie agricole, à Radio VM et à CIBL, il est aussi président de Génération nationale, un organisme de réflexion sur l'État-nation. Il est l'auteur de Le souverainisme de province (Boréal, 2014) et de L'État succursale. La démission politique du Québec (VLB Éditeur, 2016).





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