La motion contre le bonjour/hi est sans doute un des meilleurs coups de Jean-François Lisée de cette session parlementaire. Mais il aurait dû laisser aux analystes le soin de le dire...
Un des principaux défis pour Jean-François Lisée dans les prochains mois est de se défaire — au moins en partie — d’une étiquette : celle du fin stratège machiavélien (c’est mieux que « -lique »), du tacticien sans pitié.
Ces personnages distants, froids, cherchant toujours à penser un ou deux coups à l’avance n’inspirent pas confiance. Ont du mal à « connecter » avec le public.
C’est l’image que M. Lisée a réussi à conforter au terme du par ailleurs intéressant débat linguistique qu’il a lancé la semaine dernière.
D’apparence anodine...
La motion sur l’élimination du bonjour/hi présentée récemment avait l’air anodine au premier abord.
Mais pour le Parti québécois, elle était efficace à plusieurs égards : elle permettait d’abord de rappeler que la défense du français lui tient à cœur.
Depuis le report du référendum sur la souveraineté aux calendes grecques, le PQ peine à présenter une personnalité claire. Le français est sans doute un marqueur plus fondamental de l’identité nationale québécoise que la laïcité, qui a été mise en avant depuis 2012 par le PQ.
Ensuite, elle agirait, cette motion, comme un révélateur de l’abandon par le Parti libéral de Philippe Couillard, dans les faits, de toute volonté de défendre fermement la primauté du français au Québec, pourtant consacrée par des libéraux en 1974.
En plus, au passage, M. Couillard serait placé devant un dilemme (dont on oublie trop souvent la définition : « obligation de choisir entre deux partis qui comportent l’un et l’autre des inconvénients ») : froisser certains de ses collègues ou désavouer sa ministre de la Culture, qui avait qualifié le bonjour-hi d’« irritant ». Une sorte d’échec et mat.
Et justement, la stratégie a plutôt bien fonctionné pour le Parti québécois et son chef.
Comme Parizeau
Mais Jean-François Lisée a par la suite commis l’erreur que le politicien qu’il a lui-même conseillé dans les 1990, Jacques Parizeau, avait la mauvaise habitude de commettre : célébrer sa tactique. Pourtant, un bon stratège ne dit jamais qu’il vient de réussir un bon coup ! Selon le néologisme de « Monsieur », cela revient à s’« auto-pelure-de-bananiser ».
En juin 1995, Jacques Parizeau s’était vanté, devant des diplomates, de sa stratégie pour l’indépendance : « Le référendum, c’est comme les casiers à homard. Le homard peut passer à côté plusieurs fois, mais il n’entre qu’une fois dans le casier et ça suffit. » Impossible de reculer...
La métaphore avait fait un tort considérable au camp du oui. Un peu de la même manière, quand Jean-François Lisée a déclaré à des journalistes jeudi : « J’ai tendu le plus vieux piège du manuel », il a malhabilement dévoilé le détail de sa stratégie.
On oublie le fond.
D’une part, ce n’est pas élégant. Même si on sait tous que les politiciens sont (presque) toujours dans la stratégie, cela dérange.
D’autre part, on en vient à oublier le fond de la question, tout simplement parce que le politicien, à ces moments, admet qu’elle a été instrumentalisée.
Bien sûr, la bourde de Lisée n’aura pas l’ampleur de celle des homards de Parizeau.
Espérons aussi que le fond de la question ne soit pas totalement occulté.
Ce débat sur le bonjour-hi a illustré à merveille les brutaux constats de la vérificatrice générale sur l’échec de la francisation.
Ce débat sur le bonjour, qui a tant froissé les compatriotes anglophones, est une occasion en or de rappeler — voire d’actualiser — l’esprit de la loi 101 : le français a besoin d’un coup de pouce sur ce continent.
Contrairement à ce que répète Philippe Couillard, il ne se bat pas ici à armes égales.
Les anglophones ont certes des droits, mais l’anglais n’a pas besoin d’aide en ce coin de pays pour survivre. Le français, si.