Boycott étudiant : vers une contestation plus large de la gauche radicale ?

Tribune libre

Bien malin celui qui aurait pu prédire, en ce début d’année, que le gouvernement le plus impopulaire et le plus méprisé de l’histoire récente du Québec bénéficierait d’un appui aussi massif de la population devant l’interminable saga qui l’oppose aux associations étudiantes, l’avenir de notre « nation ». On est bien loin du contexte particulier de la dernière crise étudiante de 2005, quand sensiblement les mêmes instances dites démocratiques bénéficiaient d’un soutien populaire certain face au ministre de l’Éducation du temps, Jean-Marc Fournier. Ce dernier s’était vu forcé de reculer sur ses prétentions initiales de convertir 103 M $ réservés aux bourses en prêts, après cinq semaines de « grève ».
À l’issue de la crise, deux commentateurs avaient alors tenu des propos prophétiques, résolument annonciateurs de l’imbroglio actuel, par les points de vue opposés exprimés par chacun. Joseph Facal,ancien président du Conseil du trésor, avait déclaré dans La Tribune du 28 mars 2005 : « Les étudiants ont raison de réclamer les 103 millions $ amputés au régime des prêts et bourses, mais tôt ou tard, ils devront se rendre à l'évidence qu'un dégel des droits de scolarité est plus que nécessaire. » À noter qu’il s’agit là d’un ancien ministre péquiste et que son point de vue n’a guère changé maintenant qu’il est chroniqueur au Journal de Montréal.
De son côté, feu Gil Courtemanche, romancier et chroniqueur, écrivait ceci, dans l’édition du 2-3 avril 2005 du Devoir : « Ce qui est surprenant et regrettable cependant, c'est que les autres forces de la société civile, je pense en particulier aux centrales syndicales et au mouvement communautaire, n'aient pas saisi l'occasion que leur présentait le mouvement étudiant. Il y a là une sorte de rendez-vous manqué qui aurait pu ébranler les bases mêmes de ce gouvernement, sinon sa légitimité usurpée. » C’est à croire que l’arrivée du parti libéral au pouvoir a résulté d’un recomptage de votes avorté en Floride en 2000.
Difficile de ne pas constater que le message de Courtemanche a été bel et bien entendu, sept ans plus tard, devant l’évidence palpable que le débat sur la hausse des frais de scolarité n’est devenu qu’un « tremplin à une contestation beaucoup plus large, beaucoup plus profonde, beaucoup plus radicale de la direction que prend le Québec depuis les dernières années », évoqué par Gabriel Nadeau-Dubois, de la CLASSE, lors de son discours du 7 avril dernier au Monument national.
Contrairement à 2005, le public ne semble pas cette fois mordre à l’hameçon devant le mouvement contestataire, si ardemment souhaité par Courtemanche, qui regroupe syndicats, membres de l’opposition, représentants du mouvement communautaire, féministes radicales, artistes abonnés aux subventions, mais aussi casseurs masqués. Le payeur de taxe comprend par ailleurs que nos universités, déficitaires et parfois mal gérées, sont en train de devenir de moins en moins compétitives, et qu’il ne veut plus continuer à en régler à ce point la facture. À tort ou à raison, les étudiants lui paraissent des êtres privilégiés qui veulent tout avoir sans rien payer.
La gratuité scolaire, préconisée par la CLASSE, existe en France, mais ses universités tombent en ruine. En Suède, la gratuité reste également en vigueur, mais le taux d’imposition moyen atteint 58 % ! Quant à la réaffectation de la taxe sur le capital des institutions financières, préconisée par la même association, et qui financerait ladite gratuité, elle a été aussitôt écartée, même par certaines instances syndicales, considérée elle aussi à tort ou à raison comme un frein à l’investissement.
Un pacte social à redéfinir…
L’actuel psychodrame collectif que nous traversons s’inscrit dans ce tournant radical démontrant que le débat constitutionnel, opposant jadis farouchement souverainistes et fédéralistes, a cédé le pas à une dualité où la gauche et la droite se polarisent et s’affrontent de plus en plus durement. Toujours aussi incongru, le Québec, qui a jadis élu simultanément les gouvernements majoritaires du fédéraliste Pierre Trudeau et de son frère ennemi, le souverainiste René Lévesque, soutient plus que jamais le NPD, fier représentant de la gauche fédérale, tout en manifestant une antipathie grandissante envers les institutions gauchistes.
Il suffit de constater avec quelle insistance la population a exigé une commission d’enquête sur les pratiques syndicales dans le domaine de la construction et combien la ministre du Travail, Lise Thériault, est devenue populaire à la suite du projet de loi 33 sur le placement syndical, pour comprendre que la cote des grandes centrales baisse dramatiquement. Et c’est sans compter les négociations dans le secteur public, où les exigences syndicales frustrent un peu plus chaque jour le contribuable, qui voit son pouvoir d’achat diminuer tout en sachant que son fardeau fiscal servira à financer des retraites à prestations déterminées alors que la sienne s’annonce incertaine.
Le sujet ne fait guère la manchette, gracieuseté de nos médias, mais il suffit de discuter avec monsieur ou madame tout le monde pour constater à quel point les groupes féministes ne semblent plus avoir pour objectif à leurs yeux que le maintien de leurs privilèges. Peu le savent, mais le salaire annuel de la présidente du Conseil du statut de la femme avoisine celui du premier ministre Charest.
Comme dans le cas des boycotts étudiants de 2005 et de 2012, la perception du public a évolué des marches de femmes de 1995 et 2000, organisées par la Fédération des femmes du Québec de Françoise David, vers celle, désastreuse, de 2010, où l’existence même de cet organisme, cette fois présidé par Alexa Conradi, a été durement et légitimement remise en cause. L’annonce de la suppression de la subvention fédérale de 240 000 $ de la FFQ n’a suscité que peu d’émoi dans la population, pour ne pas dire qu’elle est pratiquement passée inaperçue.
De plus en plus, la gauche, jadis porteuse de changements nécessaires, apparaît au public comme une entité devenue corporatiste, alors que des questionnement essentiels proviennent d’une droite sociale, démonisée par des porte-parole en perte de légitimité. Pouvez-vous concevoir une gauche plaider en faveur de solutions au décrochage des gars, d’un meilleur soutien aux hommes en détresse, de la reconnaissance de la violence conjugale exercée par les femmes, de la misandrie omniprésente dans la publicité, les téléromans ou le cinéma ? Sitôt énoncées, ces positions se voient décriées comme misogynes, antiféministes et masculinistes.
Comment expliquer que cette même gauche, affichant toujours la prétention d’être « progressiste », soit devenue hétérophobe au point de s’opposer à la présomption de garde partagée tout en préconisant la parentalité des couples gays et lesbiens. Comment promouvoir ce dernier modèle parental, sans cautionner le premier ? Une telle position n’est-elle pas aussi discriminatoire que celle visant l'exclusion des homosexuels ?
C’est dans ce contexte général qu’il faudra, quand la poussière sera retombée, situer le boycott étudiant, une crise dont les conséquences, ajoutées à celles dépeintes plus haut, nous forceront tôt ou tard à redéfinir un pacte social où les responsabilités de chacun, au même titre que les droits, devront être circonscrites.


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