Affaire Guy Nantel

Une police des moeurs bien pensante veille

Oui, on est rendu là…

Tribune libre

Je me demande combien de temps il faudra avant qu’un nouveau psychodrame féministe ou inclusif – parfois, l’un ne va pas sans l’autre – n’éclate et ne devienne la nouvelle virale du jour. Prenez par exemple la plaisanterie tout à fait anodine de Guy Nantel, devant les simagrées clownesques de Justin Trudeau et Mélanie Joly, les Ken et Barbie de la politique fédérale, arborant un turban sikh, à l’occasion de la célébration de Vaisakhi.

Précisons que c’est au cours de cet événement que notre valeureux premier ministre a annoncé qu’il présenterait des excuses officielles envers la communauté sikh le 18 mai prochain pour l’incident du Kogamata Maru, un paquebot amenant à son bord en 1914 une majorité de Sikhs parmi 376 passagers, à qui l’accès au port de Vancouver avait été refusé, leur interdisant d'aborder au Canada. Bien sûr, une telle démarche commandait du tact, mais fallait-il pousser l’obséquiosité jusqu’à arborer un turban sikh en signe de repentance et à participer à pareille cérémonie ?

« Bon ben, on est rendu là ça a l'air. »

- Guy Nantel

Il aura suffi de mise en post dans Facebook par Guy Nantel, pour que s’enflamme la toile, invectivant l’humoriste pour avoir simplement constaté l’évidence que, depuis le départ de Stephen Harper, le nouveau gouvernement fédéral, flagorneur dans l’âme, était désormais prêt à toutes les courbettes, au mépris de la plus élémentaire dignité et du respect de notre identité nationale, si fragile soit-elle, pour espérer glaner davantage de votes.

Simon Jodoin, rédacteur en chef de Voir, dont on attend chaque semaine avec fébrilité les points de vue originaux, avec la sagacité qu’on lui connaît, d’attiser la xénophobie avec cette phrase. Petite cause, grands effets, semble-t-il. Par contre, M Jodoin s’autorise quant à lui ce commentaire :

« Bon, donc, cette vidéo (mise en post par Nantel nda). Je vous disais qu’il y avait 1876 gags à faire avec ça. Pas sur le triste épisode du Kogamata Maru, mais la mise en scène, le spin politique, tout le truc, Mélanie Joly qui se la joue patrimoine machin, Justin qui a l’air de Tintin en reportage je ne sais trop où. Oui, c’est très drôle. D’ailleurs, on rit par respect, avec humilité, avec l’envie de dire: pardonnez-nous, pour le paquebot et pour ça aussi, un peu. »

Je ne sais si je pèche par excès d’ambition en voulant pénétrer les méandres audacieusement surréalistes de la pensée jodoinienne, mais il me semble que, en bien davantage de mots, ce fin penseur en arrive au même constat que Guy Nantel, à savoir que notre premier ministre est prêt à recourir aux procédés les plus ridicules, pour courtiser sa clientèle cible.

Après avoir judicieusement sélectionné les propos les plus disgracieux appuyant la déclaration de Nantel, et distraitement oublié ceux qui le crucifient ou l'appuient intelligemment, Jodoin lui assène la question qui tue :

« Je reprends la question : avec qui rigoles-tu, au juste, Guy Nantel? Par quelle espèce de prodige, ton humour que tu souhaites intelligent et porteur d’une réflexion, n’est-il compris que par des tatas fondamentalement épais qui ne savent pas distinguer un sikh d’un musulman?

« C’est quand même une question intéressante. Comment se fait-il qu’au terme de toutes tes aventures humoristiques, qui selon tes prétentions devraient inviter le nono moyen à réfléchir un peu, les seuls qui jouent du thumbs up à tes gags sont des parfaits imbéciles et semblent vouloir le demeurer? »

Tenez-vous le pour dit : si vous avez souri à la répartie de l’humoriste, vous savez ce que le pape de la bien-pensance de Voir pense de vous. Dire que Richard Martineau a déjà occupé son fauteuil. Incroyable…

Judith Lussier ignore où elle est rendue…

Les habitués de mon blog savent bien en quelle estime je tiens Judith Lussier, égérie de ce qu’on appelle néo féminisme ou féministe intersectionnel. Elle n’allait pas manquer pareille occasion de prendre position, avec la fougue et la pertinence qu’on lui devine, sur un sujet aussi déterminant pour notre devenir collectif. Elle devait intervenir ! À la question si pénétrante de Jodoin, elle ajoute celle-ci, tout aussi acérée (Moi, à la place de Guy Nantel, j’aurais peur…) :

« On est rendu où au juste? Le statut ouvre à toutes les interprétations. On est rendu avec un Premier ministre qui porte un bandeau. On est rendu qu’on offre enfin ses excuses envers la communauté sikh pour un impair commis en 1914. On est rendu à se plier aux exigences d’une religion minoritaire. On est rendu envahis par les sikhs. On est rendu tellement ouverts d’esprits que c’est l’fun on est honorés par nos concitoyens sikhs. Ciel! On est rendu au Pendjab! »

Heureusement, des précisions fournies par l’humoriste lui-même sont parvenues providentiellement à la démêler en plus de la détourner d'un séjour improductif au Pendjab :

« L’explication est venue suite à la critique de Jodoin. En gros, le «Bon ben, on est rendu là ça a l’air» de Guy Nantel, c’était pour critiquer le ridicule de Justin Trudeau et de Mélanie Joly d’être allé «faire les clowns pour licher le derrière de la communauté sikh», le «vote religieux de plus en plus puissant dans cette belle société multi-culturelle et multi-religieuse qu’est le Canada», le fait que lorsqu’un «sikh est invité à une cérémonie officielle au Canada, on doit à tous les égards respecter son choix vestimentaire» sans que ça soit réciproque, etc.

« Bien sûr, tout ça était contenu dans le «Bon ben, on est rendu là ça a l’air».

Bizarre hein, aux yeux du « tata fondamentalement épais » ou du « parfait imbécile qui semble vouloir le demeurer» que je suis - pour faire écho au raffinement analytique de Jodoin -, l’interprétation du commentaire de Nantel sautait aux yeux. Eh oui, tout ça était contenu dans le «Bon ben, on est rendu là ça a l’air».

Mme Lussier fait preuve par ailleurs d'une grande souplesse intellectuelle, en appuyant le choix des Trudeau et Joly de revêtir le turban sikh, elle qui dénonçait récemment les dérives de l'appropriation culturelle. Affaire de contexte, bien entendu...

Mais nous sommes rendus là… aussi.

Aujourd’hui même, le député libéral Guy Ouellet a vu ses propos qualifiés de sexistes pour avoir prononcé cette phrase : « Monsieur le premier ministre, on avait besoin d’une touche féminine pour notre première partie de crédits. Mme la députée de Crémazie, à vous la parole» Heureusement, Carole Poirier, du PQ, et Manon Massé, de Québec solidaire, ont réussi à débusquer le sexisme ordurier derrière ce qui semblait à prime abord un compliment maladroit…

Cet incident n’est pas sans rappeler les déclarations de Robert Poëti, sur les femmes et les centres commerciaux, vivement condamnées par les mêmes chiennes de garde, tout comme celles, si « islamophobes » du député conservateur Larry Miller, qui avait eu l’intolérance de déclarer qu’une femme désireuse de garder son niqab lors d’une cérémonie d’assermentation ferait mieux de retourner chez elle. Et que dire de la plaisanterie scandaleuse de Jean-François Mercier sur les allumeuses qui se plaignent ensuite de l’attention qu’elles génèrent. Lui a-t-on expliqué que toute vérité n’est pas bonne à dire ?

Oui, à l’ombre du projet de loi 59, une police de la pensée veille sur nous et scrute nos propos, même les plus anodins, comme l’épisode Nantel vient de le démontrer. Pas de doute, pour paraphraser ce dernier, on est rendu là, ça a l’air…


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    23 avril 2016

    "depuis le départ de Stephen Harper"
    Cher monsieur, Harper est celui qui a le plus fait de courbettes aux ethnies dans le but évident de gagner des votes. Par exemple, vous pouvez faire sur google "Harper sikh".
    Pourquoi Nantel n'a-t-il pas fait sa remarque du temps de Harper?

  • Serge Jean Répondre

    21 avril 2016

    Au Canada il y a toutes les nations indiennes et la nation canadienne française, le reste étant des fouteurs de merde.