L'opinion de Bernard Landry #29

Capacité contre rapacité

L'opinion de Bernard Landry

Aucune société humaine n'a réussi à abolir les inégalités de fortune entre ses membres. Celles qui ont essayé avec le plus grand idéalisme, les communistes, ont échoué lamentablement et, en plus, leur système a implosé. Les Russes et les Chinois en témoigneront encore longtemps. L'égalité pour tout le monde dans la possession de biens matériels est donc à oublier. Ce sur quoi il faut se concentrer c'est l'égalité des chances de succès au départ, et le support fraternel aux plus démunis dont il semble, hélas, qu'il y en aura toujours. Jésus Christ lui-même a dit il y a deux mille ans : "Il y aura toujours des pauvres parmi nous" et les économistes contemporains sont généralement d'accord avec lui. Ce qui ne veut pas dire évidemment qu'on doive pour autant cesser de combattre la pauvreté. Bien au contraire.
La richesse éhontée de certains pose par ailleurs un problème extrêmement grave, de plus en plus répandu et scandaleux. À la lumière de la crise actuelle, qui a été provoquée précisément par les gens qui se sont remplis les poches et qui ont fait souffrir un nombre incalculable de leurs semblables sans en être vraiment affectés personnellement, l'urgence d'agir est évidente.
Admettons qu'il y a des écarts de fortune, même considérables, qui sont tout à fait acceptables car cette richesse est méritée par une capacité géniale à créer la prospérité en innovant et en générant de nombreux emplois. Les entrepreneurs qui ont contribué au bien-être matériel de leurs semblables, de leur pays et de la planète toute entière, n'ont pas à susciter la colère.
Qu'Henry Ford et sa famille fussent devenus richissimes, ou Bill Gates, ou les Chagnon, Bombardier, Péladeau ou autres Laliberté n'a rien de scandaleux en soi dans une économie de marché libre. À condition, évidemment, que la moralité économique et sociale soit scrupuleusement respectée et les impôts payés afin de contribuer ainsi à la répartition de la richesse. Les fondations et le mécénat étant fortement recommandés.
Cependant, ici comme ailleurs, les limites de la rapacité sont fréquemment dépassées sans qu'aucune capacité particulière ne le justifie. Même en l'absence de crime, certaines rémunérations excessives prennent des proportions proprement injustifiables. Il faut avoir une mentalité particulière pour recevoir sans gêne une rémunération totale annuelle de vingt millions dans un pays où le salaire moyen n'atteint pas quarante mille dollars par an. Il faut combien de lecteurs et lectrices de La Semaine, en y ajoutant même ceux qui y écrivent, pour gagner au cours de toute leur vie ce que ces rapaces gagnent en douze mois!
Aux États-Unis, il y a trente ans, le plus haut salarié de l'entreprise gagnait trente fois plus que le salaire moyen des employés, ce qui était déjà beaucoup. La morale protestante qui dominait alors dans le milieu des affaires de nos voisins limitait quand même les dégâts. Aujourd'hui, cet écart est passé de trente à trois cents! En clair, un honnête ingénieur qui gagne 80 000 dollars par an doit se résigner à voir son patron en gagner 40 millions. Ce dernier, dans la plupart des cas, n'ayant rien à voir avec la fondation de l'entreprise, ni avec quelque découverte, innovation, ou performance spectaculaire que ce soit. Un tel système ne saurait garder heureuses les populations pour longtemps, ni même survivre sans que la démocratie ne se charge de l'avoir à l'oeil et de le réglementer.
Pour aggraver le tout, plusieurs rapaces notoires font comme si la crise, largement créée par eux, n'avait pas eu lieu. Ils continuent leurs excès comme si de rien n'était. Les compagnies, les banques surtout, qui font des pertes énormes et sont souvent secourues par les gouvernements, continuent à verser de faramineux bonus qui seraient déjà scandaleux même si cela n'était pas avec l'argent des contribuables. Comme on dit judicieusement: "on privatise les profits et socialise les pertes". Et quand il n'y a pas de profit du tout, on récompense quand même un petit groupe de profiteurs sans scrupule.
Les présidents des États-Unis, de la France et d'autres chefs d'États se sont dit totalement scandalisés par ces manifestations de rapacité, et ont souhaité que s'amorcent, ou ont amorcé certaines réglementations préventives et punitives. Cette lucidité a été largement alimentée par la crise. Comme celle-ci semble déjà devoir s'estomper, il y a grand danger que l'on soit portés à refermer les yeux sur l'inacceptable. Plus que jamais c'est un devoir citoyen et gouvernemental d'avoir à l'oeil ceux qui, et ils sont hélas nombreux dans toutes les sociétés, n'ont aucun sens de la mesure, de l'équité et de la solidarité.
Bernard Landry


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