Catholiques en quarantaine

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Le rapport ambigu des Québécois à la religion catholique


Le 9 juillet dernier, un employé de l’Assemblée nationale décrochait, sans tambour ni trompette, le crucifix suspendu au mur du Salon bleu depuis 1936. L’éviction du Christ en croix marquait la fin d’un long débat sur sa place en cette enceinte, amorcé en 2007 en pleine crise des accommodements raisonnables.


Comment expliquer que pour beaucoup de Québécois, même ceux qui ne s’agenouillent plus à l’église tous les dimanches, ce crucifix revête un caractère sacré, ne serait-ce que sur le plan patrimonial ? C’est que la religion serait « un squelette dans le placard du Québec, voire une absence palpable, telle une douleur à un membre fantôme », fait valoir Geneviève Zubrzycki dans Jean-Baptiste décapité, un essai plusieurs fois primé, d’abord paru en anglais en 2016 aux Presses de l’Université de Chicago.


Certes, la professeure titulaire au Département de sociologie de l’Université du Michigan, native de Québec, n’est pas la première à raconter le divorce entre les Canadiens français et l’Église, survenu pendant la Révolution tranquille. Mais elle parvient à l’éclairer d’une lumière nouvelle grâce au point de vue singulier qu’elle adopte : celui des transformations importantes que connaîtront dans les années 1960 les défilés de la Saint-Jean-Baptiste, une fête profondément enracinée dans la tradition catholique.


« L’époque du papier mâché est révolue », déclarait en 1969 le cinéaste Pierre Perrault, quelques jours après que des manifestants eurent renversé le char allégorique de Jean-Baptiste, dont la tête avait roulé dans la rue. On ignore si ces protestataires voulaient carrément décapiter le saint, mais leur désir de dénoncer l’asservissement des Québécois francophones au joug du clergé, symbolisé par ce défilé, ne fait aucun doute.


Bien que le gouvernement de René Lévesque ait sécularisé la Saint-Jean en 1977 en la consacrant fête nationale de tous les Québécois, la nature aujourd’hui « religioséculière » de la fête encapsulerait toujours le rapport ambigu de l’identité québécoise au catholicisme. Cette ambivalence, selon Geneviève Zubrzycki, irriguerait encore de nombreux débats collectifs, dont ceux suscités par la commission Bouchard-Taylor ou le projet de charte des valeurs du Parti québécois (une liste à laquelle il faudrait sûrement ajouter la loi sur la laïcité).



 


Les Québécois de la majorité francophone, selon la sociologue, seraient donc des « catholiques en quarantaine ». C’est à la fois en raison de leur rejet massif de l’Église et parce que la religion a longtemps été le socle de l’identité canadienne-française que le catholicisme continuerait de teinter le regard qu’ils posent sur le crucifix de l’Assemblée nationale, ou sur la foi des autres communautés culturelles formant le Québec de 2020.


« Ce catholicisme, ils l’ont surmonté. C’est pourquoi ils ont souvent tendance à se méfier de la religion », écrit Zubrzycki en conclusion. Mais l’on retiendra aussi, paradoxalement, que si les Québécois ont surmonté la religion de leurs ancêtres, ils en sont encore imprégnés.


Jean-Baptiste décapité : Nationalisme, religion et sécularisme au Québec, par Geneviève Zubrzycki, Boréal, 304 p.





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