À la défense de Norman Bethune

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Au-delà des apparences

«Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime.» Paroles de Jésus selon l'Évangile de Saint Jean


«Norman Bethune se disait communiste. Je dis, moi, que c'était un saint.» Paroles du Dr Richard Brown, médecin et missionnaire anglican qui a côtoyé Bethune en Chine vers 1938











Norman Bethune, en Chine

Pourquoi évoquer le souvenir de l'héroïque médecin canadien Norman Bethune, mort depuis déjà 83 ans? Parce qu'un chroniqueur réputé, Frédéric Bastien, pour lequel j'ai d'ailleurs beaucoup d'estime, vient de salir sa mémoire dans les pages du Journal de Montréal (1) en le traitant de «complice d'un des pires dictateurs de l'histoire, Mao Zedong» et «d'admirateur du sanguinaire dictateur Staline». Ces affirmations brutales ne doivent pas rester sans réponse.


Norman Bethune, Ontarien de naissance devenu chef de chirurgie thoracique à l'hôpital Sacré-Coeur de Cartierville au milieu des années 1930, durant la grande Dépression, a passé toute sa vie à prodiguer des soins, privilégiant au Québec et au Canada les plus démunis de la société sans exiger d'être payé (il n'y avait pas d'assurance-maladie à l'époque), volant par la suite au secours des blessés au combat en Espagne contre les troupes nazies et fascistes de Franco, Hitler et Mussolini, puis enfin en Chine où il est mort en héros en novembre 1939 après avoir sauvé des milliers de vie dans des «hôpitaux» de fortune, au service de la résistance contre l'impérialisme japonais.


Ayant souffert de la tuberculose et perdu un poumon, Bethune connaissait la maladie et savait observer la société et la profession médicale, sur lesquelles il portait un jugement sévère. «Comme tout médecin le moindrement éveillé, il savait que la tuberculose était la soeur jumelle de la pauvreté», rappellent ses biographes. «La province où le niveau de vie était le plus bas (le Québec en l'occurrence) était aussi celle qui avait le taux de tuberculose le plus élevé.» Et sur sa profession, il ajoutait: «Les médecins ouvrent des boutiques, comme des tailleurs. Et nous sommes fiers de raccommoder ou de recoudre une jambe, un bras, comme un tailleur recoud un vieux manteau. Je n'appelle pas cela de la médecine. Nous sommes des marchands qui ne font pas crédit.»


Ses idées étaient révolutionnaires dans les années 1930, du moins en Amérique du Nord. «Il faut rendre la médecine accessible, disait-il à son épouse Frances. Rejoindre le peuple. Plus de pratique privée; il faut changer le système médical. Regarde par la fenêtre, toutes ces maisons, toutes ces rues. C'est là que la médecine doit aller combattre. Dans chaque ville, dans chaque village, dans chaque rue, dans chaque maison. De porte en porte. Il faut offrir des servies médicaux à chaque individu, ne pas attendre que les invalides se traînent à nos bureaux avec le prix de leur consultation en main. Nous devons les voir avant qu'ils ne soient malades et leur enseigner comment rester en bonne santé.» Et Bethune se résumer: «Ce qu'il faut inventer, c'est un système de protection médicale générale.»


Norman Bethune, déjà connu comme le médecin des pauvres à Montréal, a visité l'Union soviétique à l'été de 1935 pour assister à une conférence médicale internationale et a obtenu la permission de visiter les hôpitaux et sanatoriums pour y étudier les expériences soviétiques en traitement de la tuberculose. Il a découvert que l'incidence de cette maladie avait été réduite de 50% et que les travailleurs des usines y étaient reçus en priorité, contrairement au Canada. Et les soins étaient gratuits pour tous. Après quelques mois, il est revenu au Québec rempli d'enthousiasme pour le système de santé soviétique... et non pour les obsessions meurtrières de l'ogre Staline comme le laisse croire la chronique dans le Journal de Montréal.


Et il se disait désormais communiste. «La façon la plus simple de protéger adéquatement la santé des gens serait de remplacer le système économique qui produit la maladie, et d'éliminer l'ignorance, le chômage et la pauvreté.»


En 1936, inquiet devant la montée des dictatures fascistes en Europe, Bethune abandonna sa pratique à Montréal pour devenir médecin au front en Espagne, où les républicains combattaient bravement les armes de Franco et celles de ses alliés, Hitler et Mussolini. Il y mit sur pied un service de transfusion sanguine, l'un des premiers, qui permit de sauver la vie de milliers de combattants et civils blessés dans les affrontements et les bombardements allemands et italiens. Ses exploits se propagèrent partout en Espagne. «Pour la première fois depuis que l'homme tue ses frères sur les champs de bataille, un homme est venu pour y donner du sang, et non le verser.»


Revenu en Amérique en 1937 pour une campagne de collecte de fonds pour l'Espagne rouge de sang qui, comme chantait Jean Ferrat, «criait dans un monde immobile», sans appui des démocraties, Norman Bethune modifia sa destination de retour. Il irait en Chine, où ses services seraient encore plus précieux. Il devait y rencontrer Mao, qui dirigeait une armée rebelle ne contrôlant qu'une petite partie de la Chine contre l'envahisseur japonais (il n'était pas à cette époque le dictateur qu'évoque la chronique de M. Bastien), et avait proposé de sauver les trois quarts des blessés en installant des cliniques mobiles de chirurgie au front, près des champs de bataille. Ce qu'il fit.


Le médecin et ses petites équipes travaillaient presque sans repos, sans salaire (il avait refusé les 100 $ par mois que lui offrait la 8e armée de Mao), dans des conditions souvent affreuses. Il pouvait accomplir plus de 10 chirurgies en une journée et a déjà opéré sans répit pendant 69 heures d'affilée. En novembre 1939, il s'est coupé à la main pendant une chirurgie et la septicémie qui en est résulté l'a tué. Il avait littéralement donné sa vie pour ceux qu'il aimait. Les Chinois vénèrent sa mémoire avec raison. On l'a longtemps oublié au Canada et au Québec, et les quelques statues à sa mémoire constituent le moindre des hommages qu'on pourrait rendre à notre ancien «médecin des pauvres».


Mao, et Staline en particulier, auront toujours du sang sur les mains. Norman Bethune aussi, mais le sang sur ses mains fut toujours celui des blessés ou malades qu'il arrachait à la mort dans les salles d'opération. Il a donné sa santé et sa vie pour sauver d'autres vies. Si vous allez à Montréal, ne vandalisez pas sa statue. Mettez-y une gerbe de fleurs. Il mérite bien ça.


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(1) Voir https://www.journaldemontreal.com/2023/02/03/norman-bethune-un-personnage-controverse-dont-la-statue-na-pourtant-pas-ete-vandalisee


(2) Voir aussi cette intéressante vidéo de l'ONF, Bethune, héros de notre temps https://www.youtube.com/watch?v=xHyTIjj-UvA


(3) Lire aussi Docteur Bethune, Éditions l'étincelle, Montréal, 1973