Le cheval de Troie de la Confédération

Cette Cour suprême qui ne devait jamais le devenir !

Des promesses explicites de Cartier totalement trahies !

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Les intérêts des provinces étaient beaucoup mieux servis du temps où le Comité judiciaire du Conseil Privé de Londres constituait le tribunal de dernier recours. Trois quarts de ses décisions leurs étaient favorables !

Précision de l'auteur :
Au sujet de cette cour créée en 1875 par une loi ordinaire, je me permets de rajouter un fait singulier et hors du commun. Jusqu’en 1949, les jugements de la Cour suprême portés en appel devant le Comité judiciaire du Conseil privé à Londres étaient cassés trois fois sur quatre, alors que tous ceux des autres colonies de l’Angleterre ne l’étaient qu’une fois sur quatre.

Pendant 75 ans, notre Cour suprême a donc été le plus mauvais élève de l’Empire britannique, ce qui n'a jamais dérangé personne au Canada anglais.

Sur le plan purement constitutionnel, les origines de la Cour suprême sont si modestes qu’elle aurait pu ne jamais exister du tout. À la Conférence de Québec, en octobre 1864, les pères fondateurs n’avaient pu, faute de temps, aborder ce sujet considéré peu urgent, de sorte qu’ils éludèrent la question par une résolution donnant entière discrétion au Parlement fédéral de créer, sans en déterminer le moment, une « cour générale d’appel » pour le Canada.

Puis, lors des débats parlementaires sur la Confédération, en février et mars 1865, la création d’une Cour suprême pour le Canada suscita si peu d’intérêt que les parlementaires consacrèrent douze fois plus de temps à discuter de la simple question du chemin de fer.

Compte tenu qu’il existait déjà un recours constitutionnel de dernière instance au Comité judiciaire du Conseil privé de Sa Majesté à Londres, peu de parlementaires voyaient de l’intérêt à former une « cour générale d’appel » pour le Canada.

Au Conseil législatif du Canada-Uni, il n’y eut qu’un seul conseiller, James G. Currie, à furtivement aborder la question. À l’Assemblée législative du Canada-Uni, à l’exception de quelques mots de John A. Macdonald au cours de sa présentation générale, aucun député de langue anglaise ne souleva la moindre question au sujet de notre future Cour suprême. Donc, ni intérêt ni inquiétude de ce côté-là.

Par contre, parmi la députation du Bas-Canada, trois élus de langue française soulevèrent quelques questions sur cette énigmatique « cour générale d’appel » pour le Canada. Le premier à se manifester fut Joseph Cauchon, député conservateur de Montmorency et ami personnel de George-Étienne Cartier. Il tenta, sans trop de succès, d’en savoir un peu plus sur cette institution incertaine et mal définie.

D’ailleurs, lorsqu’il aborda le sujet, aucun « père de la confédération » ne mit quelque empressement à lui répondre. Ils avaient bien peu de choses à dire sur ce sujet plutôt hypothétique. Toutefois, George-Étienne Cartier, qui n’avait pas grand’chose à dire non plus, se leva pour lui répondre bien poliment qu’il ignorait tout du moment où une telle cour serait créée, ajoutant qu’il en ignorait jusqu’à sa composition et attributions.

Mais il ne manqua pas de le rassurer en précisant qu’il ne s’agissait là que d’un projet et que les justiciables du Bas-Canada n’avaient aucune raison de s’en inquiéter, compte tenu que la Confédération ne modifierait en rien leur recours constitutionnel de dernière instance auprès du Comité judiciaire du Conseil privé de Sa Majesté, qui agissait un peu comme un tribunal international au sein de l’Empire britannique.

Bref, l’avenir de cette Cour suprême pour le Canada demeurait incertain, tandis que celui du Comité judiciaire du Conseil privé leur était garanti, tribunal constitutionnel de dernière instance dont la réputation n’était plus à faire.

Pour y voir clair sur les origines exactes de cette institution alors incertaine – mais devenue toute puissante par la suite ! – le lecteur pourra, ci-dessous, prendre connaissance de tout de ce qui s’est dit sur cette future Cour suprême lors de Débats parlementaires sur la Confédération en février et mars 1865.

En quelques minutes de lecture, le mystère sera enfin levé sur cette institution qui, sortie de rien, est aujourd’hui vénérée comme une puissance sacrée, et dont les juges sont parvenus à se rendre maîtres absolus du droit. Rien de mieux, donc, que d’aller puiser soi-même à la source de l’information.

DÉBATS PARLEMENTAIRES
SUR LA
QUESTION DE LA CONFÉDÉRATION DES PROVINCES DE
L’AMÉRIQUE BRITANNIQUE DU NORD

3e Session, 26e Parlement Provincial du Canada

QUÉBEC, 1865

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LUNDI, 6 Février 1865

Lors de sa présentation générale des Soixante-douze résolutions de la Conférence de Québec devant la Chambre, John A. Macdonald, Procureur-général du Haut-Canada, a été le premier à aborder, fort brièvement, la possibilité de créer une Cour suprême pour le Canada :

L’HON. Proc.-Gén. MACDONALD, député de Toronto Ouest :
« La législature fédérale aura aussi le pouvoir d’établir une cour générale d’appel pour les provinces fédérées. Quoique la législature canadienne ait toujours eu le pouvoir d’établir une semblable cour, à laquelle les justiciables des tribunaux du Haut et du Bas-Canada auraient pu en appeler, elle ne s’en est jamais prévalu. Le Haut et le Bas-Canada ont chacun leur cour d’appel, et ce système continuera jusqu’à ce que la législature fédérale décide d’établir une cour générale d’appel pour le Canada. La constitution ne pourvoit pas à l’établissement de cette cour, en faveur de laquelle et contre laquelle il existe beaucoup de motifs, mais on a jugé sage et à propos de stipuler dans la constitution que la législature générale aura le pouvoir, si elle le trouve utile… d’établir une cour générale d’appel des cours supérieures de toutes les provinces. (Bravos)
[…]

Lundi, le 20 février 1865
au Conseil législatif

Le conseiller législatif James George Currie sera le seul parlementaire de langue anglaise à aborder la question de notre future Cour suprême. Son intervention s’adresse à l’hon. Alexander Campbell, Commissaire des Terre de la couronne.

L’HON. M. CURRIE : « Le 34e paragraphe de la même clause confie au gouvernement général “ l’établissement d’une cour générale d’appel pour les provinces fédérées ”. Cette cour remplacera-t-elle les cours d’appel que nous avons aujourd’hui ? Devra-t-on abolir ces dernières pour en avoir des nouvelles ?

L’HON. M. CAMPBELL : « Je crois que mon hon. ami n’a pas compris le sens de ce paragraphe. Il n’est pas dit… qu’on établira une cour générale d’appel ! mais seulement que le gouvernement général en aura le droit.

L’HON. M. CURRIE : « D’établir de nouvelles cours d’appel ?

L’HON. M. CAMPBELL : « Si le parlement fédéral passe une loi pour établir une nouvelle cour d’appel, cette même loi indiquera si cette cour devra remplacer les anciennes ou si elle leur sera ajoutée.

L’HON. M. CURRIE : « Il me semble, qu’avant de prendre le vote, ce point devrait être bien compris. Et je ne crois pas que, sur ce point, l’hon. commissaire des terres a rempli sa promesse de nous donner des réponses explicites aux questions qui pouvaient lui être faites relativement au projet. »
[…]

Jeudi, le 2 mars 1865
à l’Assemblée législative

Joseph Cauchon, député de Montmorency, est le premier parlementaire du Bas-Canada à s’inquiéter des conséquences juridiques de la création d’une Cour suprême sur les lois civiles de la province. George-Étienne Cartier sera le seul ministre à se lever pour essayer d’apaiser ses inquiétudes.

L’HON. JOSEPH CAUCHON, député de Montmorency : « Voici le point essentiel sur lequel je désire attirer l’attention de la chambre : parmi toutes les choses qui sont garanties au Bas-Canada par la constitution, et à toutes les provinces, ce sont leurs lois civiles.

« Le Bas-Canada a tellement tenu à son code civil que le projet dit expressément que le parlement fédéral ne pourra même pas suggérer de législation qui l’affecte, comme il lui sera permis de le faire pour les autres provinces.

« La raison est facile à saisir. Les lois civiles des autres provinces sont presque similaires, elles vivent du même esprit, des mêmes principes. Elles ont pris leur origine dans les mêmes mœurs et dans les mêmes idées (…)

« La Conférence de Québec a compris et respecté nos motifs à cet endroit.

« Cependant, si une cour générale d’appel était ou pouvait, un jour, être placée… au-dessus des tribunaux judiciaires des provinces, sans en excepter ceux du Bas-Canada, il arriverait que ces mêmes lois seraient expliquées par des hommes qui ne les comprendraient pas et qui grefferaient, involontairement peut-être, une jurisprudence anglaise sur un code de lois françaises.

« C’était le spectacle qui nous était offert en Canada, après la conquête du pays, et personne ne serait tenté d’en vouloir la répétition ! »

« Nous avons à Londres, il est vrai, le Comité judiciaire du Conseil privé de Sa Majesté, tribunal en dernier ressort, mais celui-ci, nous le devons à une force majeure, nous ne l’avons pas nous-mêmes demandé. Et, du reste, il se compose d’hommes d’élite, tous, ou presque tous, profondément versés dans la science du droit romain, et qui, quand ils ont des doutes à l’endroit de quelque point de loi, s’aident des conseils des jurisconsultes les plus éminents de France.

« Le projet de constitution ne parle pas non plus de faire disparaître ce dernier tribunal qui dominera de son caractère impérial, même lorsque cette cour générale d’appel pourra être créée par le parlement fédéral.

« Ici, la convention avait des visées nationales : elle prévoyait évidemment pour les jours qui devront suivre celui de l’émancipation coloniale.

« Quoiqu’il en soit des intentions des délégués, leur projet ne définit pas les attributions de cette cour fédérale et, comme il y a des appréhensions à cet endroit, je désirerais poser au gouvernement les questions suivantes :

Cette cour d’appel, si on l’établit, sera-t-elle un tribunal purement civil ou constitutionnel ?

Ou sera-t-elle civile et constitutionnelle tout ensemble ?

Si elle est civile, affectera-t-elle le Bas-Canada ?

L’HON. Proc.-Gén. CARTIER : « La question qui m’est posée par mon hon. ami le député de Montmorency n’en est pas une à laquelle le gouvernement puisse facilement répondre, et ce, parce que le pouvoir donné par cet article n’est que celui de la création d’une cour générale d’appel… à une époque future ! La jurisdiction de cette cour dépendra donc de la cause pour laquelle elle aura été constituée.

« L’hon. député a remarqué avec justesse qu’il pourra devenir nécessaire, plus tard, qu’un pareil tribunal soit institué. Aujourd’hui, les différentes provinces, qui doivent former partie de la confédération, ont à Londres le même tribunal d’appel en dernier ressort, et aussi longtemps que nous maintiendrons notre connexion avec la mère patrie, nous trouverons – toujours ! – un tribunal d’appel de dernier ressort dans le Comité judiciaire du Conseil privé de Sa Majesté.

« Lorsque les provinces britanniques de ce continent seront unies par un lien fédéral, nous devrons avoir un système uniforme et commun concernant les douanes, les lettres de change, les billets promissoires, ainsi que pour les lois criminelles. Ainsi, lorsque nous aurons vécu plusieurs années sous le régime fédéral, l’urgence d’un pareil tribunal d’appel, ayant jurisdiction sur ces différentes matières, se fera sentir et, s’il est constitué, il devra s’étendre aux causes civiles qui pourront surgir dans les différentes provinces confédérées, puisque ce tribunal d’appel devra être composé des juges les plus éminents des diverses colonies, des juristes les plus réputés, d’hommes enfin qui seront versés dans la connaissance des lois de chacune des provinces qu’ils représenteront.

« Eh bien ! si ce tribunal est appelé, par exemple, à prononcer en dernier ressort sur un jugement rendu par une cour du Bas-Canada, il se trouvera, parmi les juges qui siégeront sur le banc, des hommes parfaitement versés dans la connaissance des lois de cette section de la confédération, et qui pourront faire part de leurs lumières aux autres juges composant le tribunal.

« Quant à mon opinion personnelle sur la création de ce tribunal, je crois qu’il serait important qu’il ne soit institué qu’un certain nombre d’années après l’établissement de la confédération et qu’il soit composé de juges des différentes provinces, car ce tribunal aura à se prononcer sur des causes jugées par les cours de ces mêmes sections. Je ne saurais dire, non plus, quelles attributions leur seront données par l’acte qui les constituera – le temps seul pourra nous le dire ! – mais je suis d’opinion, et l’esprit de la Conférence de Québec est que… l’appel au Comité judiciaire du Conseil privé devra toujours exister !… bien que ce tribunal soit institué. »

Commentaire : Malgré les promesses explicites et répétées de George-Étienne Cartier, et malgré « l’esprit de la Conférence de Québec ! », l’appel au Comité judiciaire du Conseil privé sera abrogé en 1949 par une simple loi du Parlement fédéral. Les promesses de Cartier, formulées solennellement devant une assemblée constituante de 130 membres, ne valaient donc pas grand’chose. Aurions-nous connu le coup de force de 1982 si le recours au Comité judiciaire du Conseil privé avait permis d’en appeler de la décision de la Cour suprême ?

Suite aux explications rassurantes de Cartier, le député libéral d’Hochelaga, Antoine-Aimé Dorion, s’est levé pour exprimer sa vive opposition à la création de cette future Cour suprême. Voici ce qu’il en disait :

L’HON. A.-A. DORION, député d’Hochelaga : « On nous dit que la cour générale d’appel pour le Canada ne sera pas chargée de décider les différends qui pourront s’élever entre les législatures, qu’elle n’aura qu’à juger, en dernier ressort, les causes décidées par les cours locales inférieures. Eh bien ! pour ma part, je ne puis approuver la création de cette cour. On en voit facilement tous les inconvénients pour nous, Bas-Canadiens. Ainsi, quand une cause aura été plaidée et jugée dans tous nos tribunaux, il nous faudra encore aller devant cette cour générale d’appel composée de juges de toutes les provinces, et dans laquelle nous n’aurons probablement qu’un seul juge, qui pourra être choisi parmi la population anglaise.

« Et voilà la protection que l’on nous accorde !

« Je répète donc que je ne vois aucune protection pour nos intérêts, comme Bas-Canadiens, dans la constitution des pouvoirs politiques et judiciaires. Ce parlement fédéral pourra empiéter sur nos droits… sans qu’aucune autorité puisse intervenir !... et ensuite nous aurons une cour d’appel fédérale dans laquelle nous ne serons représentés que par un seul juge contre six ou sept des autres origines. (Bravos)

L’HON. JOSEPH CAUCHON, député de Montmorency : « L’hon. député d’Hochelaga (A.-A. Dorion) nous a parlé de conflits entre le parlement fédéral et les chambres locales et de la souveraineté du parlement central sur les législatures des provinces. Mais qu’est-ce donc que cette souveraineté sur les attributions des législatures provinciales ? Si elle existe, elle doit se trouver dans la constitution ! Si elle ne s’y trouve pas… c’est qu’elle n’existe pas !

« Vous dites que la législation fédérale prédominera toujours, et pourquoi ? Qui donc décidera entre l’une et les autres ? Les tribunaux judiciaires, ayant juré de respecter les lois et la constitution toute entière, seront chargés, par la nature même de leurs fonctions, de dire si telle loi du parlement fédéral ou des législatures locales affecte ou non la constitution. (Bravo !)

« Il n’y aura pas de souveraineté absolue dans la Confédération. Chaque législature ayant des attributs distincts et indépendants et ne procédant pas des autres par délégation, soit d’en haut, soit d’en bas. Le parlement fédéral aura la souveraineté législative pour toutes les questions soumises à son contrôle dans la constitution. De même pour les législatures locales qui seront… souveraines !... pour toutes les choses qui leur seront spécifiquement attribuées.

Commentaire : Joseph Cauchon, ami personnel de George-Étienne Cartier et chaud partisan du projet, voyait dans le principe d’autonomie une sorte de souveraineté provinciale. Comble d’ironie, c’est cette hypothétique cour générale d’appel pour le Canada qui se chargera de lui donner tort et à tous les députés du Bas-Canada qui avaient bêtement cru à cette souveraineté provinciale. Tout juste avant la fin des débats, le 10 mars 1865, un troisième et dernier parlementaire du Bas-Canada, Henri E. Taschereau, prendra la parole pour s’inquiéter de cette future Cour suprême et de la menace qu’elle pourrait faire peser sur nos lois.

Vendredi, le 10 mars 1865

HENRI E. TASCHEREAU, député de Beauce : « Une autre partie des résolutions (de la Conférence de Québec), que nous ne devrions pas adopter sans réflexion, est celle contenue dans le 31e article de la clause 29, et qui se lit comme suit :

̔ ̔ Le parlement général aura le pouvoir de faire des lois… sur l’établissement d’une cour générale d’appel pour les provinces fédérées. ̕̕ ̕

« Nous avons la garantie que nous aurons nos tribunaux locaux, que nos juges seront pris parmi les membres du barreau du Bas-Canada, et que nos lois civiles seront maintenues, mais pourquoi établir une cour générale d’appel pour le Canada dans laquelle il y aura appel des décisions rendues par tous nos juges !

« Il est vrai que l’hon. ministre des finances (A. T. Galt) nous a dit que les résolutions ne créaient pas de cour générale d’appel, mais qu’elles donnaient seulement au parlement fédéral le droit de la créer. Mais quelle différence y a-t-il entre la créer immédiatement… ou donner le droit de la créer un peu plus tard ? Cela n’en change pas le principe ! Si l’on permet de la créer, personne ne pourra empêcher le gouvernement fédéral de l’établir quand il voudra.
«
Ce tribunal sera-t-il un avantage pour nous, Canadiens français, qui tenons tant à notre droit civil ? Il sera composé de juges de toutes les provinces, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, du Haut-Canada, etc., et malgré les talents et les lumières de tous ces juges, nous, Bas-Canadiens, nous ne pourrons pas espérer la même justice de ce tribunal que d’un tribunal composé de juges du Bas-Canada, car nos lois étant différentes de celles de ces provinces, ils ne pourront les connaître et les apprécier comme le feraient des juges Bas-Canadiens. (Bravos). Et de plus, tout en créant ce nouveau tribunal d’appel, on n’abolit pas l’appel au Comité judiciaire du Conseil privé en Angleterre, de sorte que ce sera un moyen de plus de donner du délai et d’augmenter les frais des plaideurs.

« Les Bas-Canadiens seront certainement moins satisfaits des décisions de cette cour générale d’appel… que de celles du Comité judiciaire du Conseil privé de Sa Majesté.

En vérité, je ne vois pas pourquoi on a imposé cette clause à nos délégués ! Je ne pense pas que les délégués des autres provinces aient dû beaucoup insister pour l’obtenir ; mais même dans ce cas, je ne vois nullement pourquoi les nôtres ont cédé ! Naturellement, nos lois ne seront pas comprises dans une pareille cour, et la plupart des juges rendront leurs décisions d’après des lois étrangères au Bas-Canada. »

Conclusion

En fait, les « nôtres » n’ont pas cédé. C’est même pire : ils ont tout simplement refusé de se battre ! Selon les procès-verbaux de la Conférence de Québec, Cartier n’a prononcé en tout et pour tout qu’une phrase de « 14 mots en 76 caractères » durant les travaux.

C’est bien mince comme débat, mais c’est l’intégralité de ce qui s’est dit en 1865 sur notre future et hypothétique cour générale d’appel. Impalpable, indéterminée et incertaine il y a 150 ans, la Cour suprême constitue aujourd’hui l’institution la plus puissante, et la moins démocratique, de la Constitution du Canada. Y comprenez-vous quelque chose ? Même George-Étienne Cartier et « l’esprit de la Conférence de Québec » ont été trahis !

Cette cour qui n’était rien, ou presque, en 1867, décide maintenant de tout. C’est elle qui a joyeusement torpillé le droit de véto du Québec en 1981. Au moins deux de ses membres ont discuté privément avec des ministres anglais à ce sujet. Aujourd’hui, toute puissante, elle possède un droit de vie et de mort sur toutes les lois fédérales, provinciales et municipales au Canada.

Alors qu’en 1867 la Confédération était censée être un « pacte amical, cordial et fraternel entre les descendants des vainqueurs et les descendants des vaincus », les interprétations de la Cour suprême vont en faire un acte de capitulation des descendants des vaincus en faveur des descendants des vainqueurs.

Il ne faut pas se raconter d’histoires, et mieux vaut appeler les choses par leur nom : dans les faits, la Confédération a toujours été interprétée comme un acte irréversible de capitulation.

Christian Néron
Membre du Barreau du Québec
Constitutionnaliste,
Historien du droit et des institutions.


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4 commentaires

  • Gilles Ouimet Répondre

    7 septembre 2017

    Nous vivons dans un système qui s'apparente grandement à une dictature des juges. Très bon article Me Néron. Au plaisir.

  • Marcel Haché Répondre

    6 septembre 2017

    « …dans les faits, la Confédération a toujours été interprétée comme un acte irréversible de capitulation. » C. Néron.
    Malgré tout son bagout, P.E.T. ne fut jamais que le plus grand patriotard du Québec, le plus grand capitulard aussi. Depuis 1982,sous l’impulsion des capitulards, la cour suprême du Canada s’est appliquée, et continue de le faire, à réécrire un tout nouveau Canada.
    Ce qu’elle s’applique à écrire, la cour suprême, à la grande satisfaction de la gang à Couillard (mais à l’indifférence des péquisteux), c’est un pays où il y aura des francophones, très certainement, mais un pays à l’intérieur duquel il n’y aura plus de nation française ou canadienne-française. Et malgré que la langue française pourra, elle, y conserver son droit de cité, Nous y aurons perdu cette chose précieuse, avec notre droit de cité, notre droit de liberté.
    Le gouvernement des juges, au Canada, c’est l’ultime phase de dépossession et d’annexion de toute une nation.
    Honte à tous les péquisteux de Nous avoir entretenu depuis trop longtemps, et Nous entretenir encore, de ce qui n’a jamais été rien d’autre qu’accessoire, qu’événementiel.
    Mais vrai aussi que ça achève …Je parle ici du grand bavassage des péquisteux ! On jase.

  • Me Christian Néron Répondre

    5 septembre 2017


    Au sujet de cette cour créée en 1875 par une loi ordinaire,
    je me permets de rajouter un fait singulier et hors du com-
    mun. Jusqu'en 1949, les jugements de la Cour suprême portés
    en appel devant le Comité judiciaire du Conseil privé à Londres
    étaient cassés trois fois sur quatre, alors que tous ceux des
    autres colonies de l'Angleterre ne l'étaient qu'une fois sur quatre.
    Pendant 75 ans, notre Cour suprême a donc été le plus mauvais
    élève de l'Empire britannique, ce qui ne semble déranger personne
    au Canada anglais.

  • François Ricard Répondre

    4 septembre 2017

    En 1867, on a opéré un partage de la fonction législative entre deux ordres de gouvernement autonomes ou souverains chacun dans leurs sphères de compétence exclusive. Jusqu’en 1949, le Comité judiciaire du Conseil privé de Londres en a supervisé le fonctionnement de façon relativement neutre. Son principe directeur était le principe fédératif. Il assurait une adaptation du pacte fédératif qui respectait la volonté fédérative des concepteurs de la constitution.
    Depuis, c’est la Cour suprême qui a pris la relève. Son principe directeur est l’efficacité. Ce besoin d’efficacité réclame une centralisation de plus en plus poussée. Et comme le disait Maurice Duplessis, «la Cour suprême est comme la tour de Pise; elle penche toujours du même bord.»
    L’affaiblissement du principe fédératif comme principe directeur de l’état répond aux attentes et aux valeurs dominantes dans la société canadienne en faveur de la centralisation des pouvoirs au détriment des droits de la minorité québécoise francophone.
    Le Canada cherche de plus en plus à devenir un pays unitaire.
    Ou bien le Québec y souscrit d'emblée en s'y assimilant ou il devient indépendant.