L'arrivée de Michael Ignatieff à la tête du Parti libéral du Canada a suscité un léger soulagement. À la suite de la crise politique des dernières semaines, plus personne ne comptait sur Stéphane Dion pour faire entendre raison à Stephen Harper ou encore pour modérer les transports de la coalition libérale-néodémocrate. En procédant rapidement et en affichant son unité, le PLC a rassuré, d'autant plus qu'Ignatieff a fait forte impression lors de sa première conférence de presse.
Stephen Maher, du Halifax Chronicle-Herald, soupçonne d'ailleurs que le premier ministre Harper est un peu plus nerveux depuis. Selon Maher, le mauvais calcul de Harper et les bouleversements qu'il a entraînés chez les libéraux pourraient avoir des conséquences désastreuses pour son parti. Ignatieff est plus compétent et charismatique que Dion, plus centriste, plus éloquent dans les deux langues officielles et peu disposé à se laisser intimider par Harper. Ignatieff a ses points faibles et a beaucoup publié. Cela signifie qu'il a quelque chose à dire, mais aussi «qu'il y a des millions de mots qui pourront être utilisés contre lui par ses opposants politiques».
Le Victoria Times-Colonist apprécie la modération du nouveau chef du PLC. Il dit y voir sagesse et sens des responsabilités et se demande si Harper peut en faire autant. Le Colonist avertit les conservateurs de «ne pas permettre au manque de jugement de Harper de ruiner leur gouvernement». Au Globe and Mail, on se félicite de voir cette affaire résolue et d'entendre le nouveau chef ramener les projecteurs sur ce qu'il se doit, c'est-à-dire le premier ministre Harper, qui a eu la partie trop facile jusqu'à présent. «Si M. Harper ne change pas sa façon de traiter le Parlement, maintenant que M. Ignatieff dirige l'opposition, le temps qu'il passera au poste de premier ministre sera fort probablement du temps emprunté», dit le Globe.
Au National Post, on a plutôt affiché un fort anti-intellectualisme, traitant avec mépris le remplacement d'un universitaire par un autre. On décrit même Ignatieff comme le maître de l'examen de nombril (navel-gazer-in-chief). Le Post parle d'une «farce». Comment se fier à un chef qui, comme Ignatieff, a pris des positions controversées par le passé pour ensuite s'en distancier?
Suivi par un passé
C'est vrai qu'Ignatieff a un passé qui pourrait le hanter, avertit Haroon Siddiqui, du Toronto Star. Il rappelle, entre autres choses, l'appui initial d'Ignatieff à la guerre en Irak et son approbation des techniques d'interrogation musclées à l'égard des terroristes, lui qui affirmait être opposé à la torture. Dire qu'Ignatieff se prononçait à titre d'intellectuel n'est pas une excuse, dit le chroniqueur. «Il fut un participant actif du débat public américain avant et après le déclenchement des guerres en Afghanistan et en Irak. Il fut un de ces libéraux -- un professeur de droit de la personne à Harvard, rien de moins -- qui ont fourni un paravent intellectuel aux politiques néoconservatrices de Bush.» Ignatieff, dit Siddiqui, est un véritable penseur, intelligent, éloquent, capable d'élaborer une vision pour le Canada et le monde, mais il ne pourra pas effacer son passé.
Et l'avenir?
Maintenant qu'ils ont pris un raccourci pour se choisir un chef, les libéraux doivent démontrer leur crédibilité, conclut le Vancouver Sun. Le procédé choisi pour la direction du parti s'imposait étant donné les circonstances, dit le Sun, mais cela prive le parti d'une course qui aurait contribué à son renouvellement. Le PLC a besoin d'une organisation, d'argent, de militants, et il doit montrer qu'il est capable de mettre en avant un programme politique centriste.
Une frange de la presse anglophone a dénoncé le procédé, ce choix fait «derrière des portes closes» par une clique d'élus et d'éminences grises. Bob Hepburn, du Toronto Star, compare carrément la manoeuvre à celles de la grande cour anglaise qui, au XVIe siècle, prenait des décisions arbitraires contre les opposants au roi. Hepburn ne remet pas en question la compétence d'Ignatieff, mais il dit qu'en acceptant d'être choisi de cette manière, le nouveau chef libéral laisse planer un doute sur sa véritable ouverture.
Selon Dan Gardner, de l'Edmonton Journal, il était temps au contraire que les députés libéraux fassent quelque chose correctement, «même si ce fut pour les mauvaises raisons». Le chroniqueur rappelle que la tradition britannique veut qu'un premier ministre dépende de la confiance de ses députés pour conserver ce poste. Quand cette façon de faire est respectée, il devient impossible pour le chef de traiter ses troupes comme des moutons puisque son avenir repose sur leur consentement. Tout ceci a changé avec l'adoption par les partis d'un mode de sélection des chefs par les membres. Gardner est critique à l'égard de ce système et donc heureux de la décision du caucus libéral, mais il ne s'illusionne pas. Il est persuadé que les députés retrouveront rapidement leur docilité.
Malaise québécois
L'élection québécoise a suscité un nombre modeste de réactions, la plupart applaudissant à la victoire majoritaire de Jean Charest. Le Vancouver Sun, par contre, note que Jean Charest est passé proche de perdre son pari. Le quotidien lit dans les résultats de lundi l'expression d'un «malaise québécois», surtout lorsqu'il voit le nouvel élan donné au Parti québécois et la bonne performance du Bloc québécois aux élections fédérales d'octobre. «Cette persistance des partis séparatistes est une médecine amère pour les fédéralistes, en particulier pour ceux qui espéraient une nouvelle ère politique» avec la montée en force de l'ADQ en 2007. Le Sun constate qu'à nouveau les fédéralistes n'ont nulle part où aller sauf au Parti libéral du Québec. «Ce n'est pas sain. Les gens devraient être capables de voter avec enthousiasme pour un parti qu'ils appuient. [...] Trop de Québécois sentent qu'ils doivent voter de façon défensive.»
Changement de donne
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