CHUM (1): L'autopsie

CHUM


Oubliez les histoires de nominations de juges. Le vrai scandale, celui qui ternira à jamais le règne de Jean Charest, est la façon dont il a laissé des groupes de pression et des fonctionnaires incultes torpiller à coup de démagogie un projet qui aurait fait de Montréal un centre mondial dans les sciences de la santé et brillamment servi les Québécois pendant des décennies.
Il fallait faire l'autopsie de ce qui est bel et bien «une tragédie québécoise», comme le dit le titre d'un livre relatant la saga du CHUM (Boréal). Robert Lacroix, ancien recteur de l'Université de Montréal et parrain de ce beau projet d'une «cité du savoir et de la santé» qui aurait inclus le CHUM sur un terrain 12 fois plus grand que le site Saint-Luc, et Louis Maheu, sociologue et ancien représentant de l'Université au conseil d'administration du CHUM, s'en sont chargés.
Leur récit, clair et détaillé, trempé dans une encre glaciale, explique comment fut arbitrairement rejeté ce projet appuyé par la très grande majorité des médecins du CHUM et le monde de la recherche, et qui avait au surplus le feu vert des meilleurs spécialistes en travaux publics et en ingénierie du Québec. Documents et révélations inédits à l'appui, les auteurs nous amènent dans les coulisses de cette incroyable lutte de pouvoirs politique.
Certains les accuseront de partialité, mais la suite des choses leur a donné raison sur toute la ligne.
Le CHUM-Saint-Luc, dont ses partisans juraient en 2005 qu'il ouvrirait ses portes à l'automne 2010, sera achevé, au mieux, en 2020. Les mêmes juraient (contre l'avis de tous les experts) qu'il en coûterait moins cher de rénover un vieil hôpital que d'ériger une construction entièrement neuve: ils devront démolir la vieille structure. Le site Saint-Luc, disaient-ils, coûterait moins cher. Or, l'affaire est maintenant évaluée à 2,4 milliards, soit un milliard de plus que le CHUM-Outremont... et ce, pour un hôpital moins fonctionnel qu'il sera impossible d'agrandir.
À l'hôpital de McGill, les travaux ont commencé. Le CHUM attend toujours la première pelletée de terre. À venir: «sept ans d'enfer», disent les auteurs. Patients et personnel vivront à toutes fins utiles sur un chantier de construction, pendant qu'on érigera une tour de 85 mètres juste à côté d'un hôpital en pleine activité. Puis, après avoir transféré les patients dans la nouvelle partie, on démolira le vieil hôpital et l'on construira une autre tour, que l'on reliera à la nouvelle partie... Ces inconvénients majeurs font partie des coûts non quantifiés du projet Saint-Luc, sans parler de la congestion à prévoir au centre-ville.
L'étude exhaustive de MM. Lacroix et Maheu nous apprend que ce n'est pas la première fois que le projet d'un hôpital universitaire francophone à Montréal est saboté par Québec.
Duplessis s'y oppose en 1957. En 1965, Jean Lesage sacrifie le projet montréalais au profit de la nouvelle université de Sherbrooke. Plus tard, le ministre Rochon sème la pagaille en décrétant que le futur CHUM sera constitué par le recyclage de trois vieux hôpitaux éloignés l'un de l'autre.
Sous Lucien Bouchard, l'horizon s'éclaircit. La ministre Marois tranche enfin, optant pour un site unique, au 6000 rue Saint-Denis. Mais M. Bouchard part, et son successeur Bernard Landry décide dès 2002 de reporter toute décision après les élections, vraisemblablement à cause de l'opposition récurrente des régions à toute dépense d'envergure à Montréal.
La suite est mieux connue. Mais derrière l'histoire, il y a des noms et des visages. Nous verrons jeudi, toujours à la lumière du récit de MM. Lacroix et Maheu, quel fut le comportement de nos élus dans ce calamiteux dossier.


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