L'idée que des souverainistes et des fédéralistes pourraient gérer ensemble le Québec en faisant l'impasse sur la question nationale, comme s'apprête à le proposer un groupe de politiciens de centre droit mené par François Legault et inspiré par Lucien Bouchard, cette idée donc a quelque chose d'assez plaisant sur papier, mais il s'agit, jusqu'à preuve du contraire, d'un rêve parfaitement utopique.
Il est vrai qu'en principe, le Québec y gagnerait à décréter une sorte de moratoire sur la question de la souveraineté, une option en déclin mais encore vivace, qui reste au centre des débats politiques même si l'on se trouve dans un cul-de-sac désespérant: les Québécois ne veulent pas de l'indépendance mais ne veulent pas non plus jouer le jeu du fédéralisme, comme le prouve leur appui obstiné au Bloc québécois. Tant qu'à rester assis entre deux chaises, pourquoi ne pas se concentrer sur les énormes problèmes qui affligent le Québec plutôt que de se disperser en de vaines querelles? Pourquoi nos politiciens n'uniraient-ils pas leurs efforts pour affronter les priorités en santé, en éducation et ailleurs, en attendant que les Québécois se fassent une idée de ce qu'ils veulent comme destin national?
Hélas, ce n'est pas ainsi que marche la vie. Les sentiments, les instincts, les convictions, les intérêts l'emportent toujours sur la raison pure, en politique comme ailleurs.
La question nationale est au coeur de la vie politique québécoise depuis plus de 40 ans. Même si le mouvement souverainiste semble plafonné, il continue d'ériger entre les gens de bonne volonté une barrière quasi infranchissable, beaucoup plus déterminante que l'opposition droite-gauche qui constitue, dans la plupart des sociétés modernes, la principale ligne de démarcation entre les groupes sociaux et les partis politiques.
Imaginons cette coalition dont rêvent les pionniers de ce tiers parti embryonnaire provisoirement baptisé Force Québec.
On peut certes, du moins en théorie, prévoir qu'un regroupement de péquistes désenchantés et de libéraux déçus pourrait en arriver à des consensus sur la gouvernance du système de santé, les finances publiques ou l'éducation, unis qu'ils seraient par leur appartenance commune à la mouvance du centre droit.
Mais le Québec n'est pas dans un vacuum. Le simple fait d'appartenir à une fédération et de devoir continuellement négocier avec le gouvernement fédéral introduit ipso facto des facteurs de discorde entre souverainistes et fédéralistes, même s'ils sont des gens modérés dans leur option constitutionnelle.
Tout gouvernement doit définir une ligne d'action en regard du reste du Canada. Faut-il réclamer plus de transferts de péréquation? Plus de pouvoirs? Se contenter du partage actuel? Faut-il être autonomiste et si oui jusqu'à quel point? Faut-il exercer une influence sur le reste du Canada ou se retrancher derrière la rivière des Outaouais?
L'ancien ministre péquiste François Legault qualifie l'orientation de son hypothétique mouvement de «très nationaliste». Mais cela ne veut pas dire grand-chose, la plupart des Québécois francophones étant nationalistes à un degré ou un autre.
Récemment, l'ancien ministre conservateur Michael Fortier a poussé l'argument de la coalition jusqu'à l'absurde, en suggérant que cette coalition de politiciens issus de divers partis organise un référendum tous les 15 ans, histoire de faire le point, tout en s'abstenant dans l'intervalle d'aborder la question nationale.
M. Fortier n'a jamais été un fin stratège politique, comme on l'a vu lors de son passage éphémère dans le gouvernement Harper, mais là, il a atteint le sommet du manque de jugement politique. Sa proposition, aussi loufoque soit-elle, a toutefois le mérite d'illustrer par l'absurde l'impossibilité, ou du moins l'extrême difficulté, d'amener des politiciens à faire comme si la question nationale n'existait pas. Elle se pose, qu'on le veuille ou non, continuellement.
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