Claude Ryan et l'héritage nationaliste du PLQ

PLQ - 30e congrès

Dans un texte publié dans [l'édition du Devoir du 8 mars dernier, l'historien Éric Bédard->12266] commente le livre de Claude Ryan publié en 2002, Les Valeurs libérales et le Québec moderne, comme étant un ouvrage qui, «en centrant son histoire sur la lutte pour les droits individuels, fait l'impasse sur le fait que la question nationale a largement contribué au succès du PLQ». M. Bédard a raison quand il affirme que Claude Ryan était attaché aux droits individuels et influencé par le personnalisme chrétien. Ce que je réfute, c'est l'assertion selon laquelle il gomme l'héritage nationaliste du PLQ.
Le livre de Claude Ryan établit sept valeurs qui, ensemble, définissent le PLQ. Les libertés individuelles et l'identification au Québec viennent respectivement au premier et au deuxième rang. Cet ordonnancement n'est pas innocent. Comme son nom l'indique, le Parti libéral du Québec se réfère d'abord à l'individu, à ses droits et à ses libertés. Mais d'avoir placé l'identification au Québec au deuxième rang démontre l'importance que Claude Ryan accordait à la promotion de l'identité québécoise. Le chapitre qu'il a consacré à cette valeur est en ce sens plutôt limpide.
Valeurs équilibrées
Ainsi Claude Ryan, ajoute M. Bédard, aurait affirmé dans son ouvrage que ce sont les politiques en matière de droits individuels qui ont contribué aux succès électoraux du PLQ. À la relecture, je n'ai rien vu de tel. Au contraire, Claude Ryan explique que les succès du PLQ sont liés à un sain équilibre des sept valeurs, et que chaque fois qu'il s'en est éloigné ou en a favorisé certaines aux dépens des autres, il s'est retrouvé en difficulté face à ses adversaires politiques.
M. Bédard dit également que M. Ryan «ignore» les Rouges d'Antoine-Aimé Dorion, probablement parce que c'était des «jeunes partisans de Papineau, aveuglés par leur anticléricalisme et subjugués par leur républicanisme». Pourtant, à la page 14 du document, M. Ryan fait explicitement mention d'un Parti libéral qui, avant l'arrivée de Laurier comme chef, était «dominé» par des éléments sympathiques aux vues politiques de Papineau et qui, sous la direction de Dorion, s'est opposé à la Confédération canadienne. Ce tiraillement entre radicaux et modérés qui a présidé à la naissance du PLQ est même illustré en fin de document par un arbre généalogique.
Allergique au nationalisme?
Je trouve agaçant que beaucoup d'intellectuels ou observateurs de la scène politique persistent, sans égard aux faits, à décrire Claude Ryan comme allergique au nationalisme, alors qu'à l'instar de la plupart des Québécois francophones, fédéralistes comme souverainistes, il n'a jamais caché être d'abord attaché au Québec.
À la tête du Devoir, il s'est notamment opposé à la Loi sur les mesures de guerre et à la Charte de Victoria. Il a appuyé la loi 22 de Bourassa et le PQ de 1976, tout en invitant à plusieurs reprises les Québécois à voter contre Pierre Trudeau en raison de sa position intransigeante envers le Québec.
En 1988, ministre libéra]l, il a défendu l'utilisation de la clause dérogatoire pour mettre la loi 178 à l'abri de tout désaveu judiciaire pouvant découler de l'évocation des chartes des droits et libertés canadienne et québécoise.
En 1998, il s'est opposé, au nom du droit du Québec à l'autodétermination, au renvoi fédéral relatif à la sécession du Québec. En 1999, lors de la signature de l'entente sur l'union sociale, il s'en est pris sévèrement aux gouvernements provinciaux et fédéral pour avoir «lâché le Québec pour une troisième fois». Et j'en passe.
La nation du Québec
Qui plus est, contrairement à ce que semble soutenir M. Bédard, Claude Ryan a maintes fois désigné le Québec comme une «nation», tout comme le font régulièrement les membres et représentants du PLQ d'aujourd'hui, en commençant par le premier ministre Jean Charest. D'ailleurs, à l'occasion du récent congrès des membres, les militants du PLQ ont de nouveau adopté, à la quasi-unanimité, une proposition définissant le Québec comme une nation.
Claude Ryan était donc nationaliste. Mais parce que son nationalisme était limité par deux considérations importantes, son amour des libertés et des droits individuels et son engagement sincère envers le projet canadien, il était aussi libéral et fédéraliste. Ce type de nationalisme, embrassé par le PLQ, est moderne, ouvert, confiant, inclusif. Il s'adosse au nationalisme d'antan, méfiant, craintif, protectionniste, que se partagent notamment l'ADQ et la vieille garde péquiste.
Fausse perception
Enfin, M. Bédard conclut son texte en laissant entendre qu'il y aurait conflit entre la philosophie de Claude Ryan (dominante au PLQ, selon M. Bédard, et dont M. Charest serait le disciple) et celle, minoritaire, de l'actuel ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, M. Benoît Pelletier. Pour avoir eu la chance de côtoyer les trois hommes, et pour connaître assez bien, je crois, l'âme du Parti libéral du Québec, je m'inscris en faux contre cette interprétation.
Globalement, les trois hommes partagent la même vision sur la question nationale: l'existence de la nation québécoise, son droit à l'autodétermination, la nécessité de sa reconnaissance constitutionnelle, la volonté de corriger l'erreur de 1982, la protection de la langue française, l'interprovincialisme et le rôle de tête que le Québec doit jouer dans l'amélioration continue de la fédération canadienne.
Quoi que l'on en dise, le livre de Claude Ryan sur les valeurs libérales permet à des milliers de libéraux de mieux comprendre et apprécier leur position au centre de l'échiquier politique québécois. L'interprétation qu'en fait M. Bédard me semble davantage influencée par sa propre perception du statut et du destin du Québec que de la réalité historique.
***
Olivier Marcil, Historien, militant du Parti libéral du Québec et auteur d'un livre consacré à Claude Ryan (La Raison et l'Équilibre, Varia, 2002). Il a assisté Claude Ryan, à titre de recherchiste, dans la rédaction de son ouvrage sur les valeurs libérales.

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Historien, militant du Parti libéral du Québec et auteur d'un livre consacré à Claude Ryan ({La Raison et l'Équilibre}, Varia, 2002). Il a assisté Claude Ryan, à titre de recherchiste, dans la rédaction de son ouvrage sur les valeurs libérales.





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