HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE MONTRÉAL

Construire en PPP serait désavantageux

CHUM

Le ministère de la Santé du Royaume-Uni a prévenu les dirigeants des centres hospitaliers de l'Université de Montréal (CHUM) et de l'Université McGill (CUSM) qu'il n'était pas avantageux de construire de très gros hôpitaux en partenariat avec le secteur privé.
«Les dirigeants du ministère de la Santé du Royaume-Uni en sont venus à la conclusion qu'il y a une taille maximale pour un projet en PFI (Private Financing Initiatives, appelé en français partenariat public-privé ou PPP)», indique un rapport interne du CUSM obtenu par La Presse.
Ce maximum varie entre 400 et 500 millions de livres anglaises, soit de 800 millions à 1 milliard de dollars canadiens.
Or, la construction du CHUM et du CUSM coûtera entre 2 et 3 milliards. Plusieurs ministres du gouvernement québécois soutiennent qu'ils devraient être réalisés en PPP. Selon ce mode, un consortium privé construirait les hôpitaux et en serait le propriétaire pour 30 ans. Il les louerait au gouvernement, en assurerait l'entretien et s'occuperait des activités non médicales (buanderie, cafétéria, parkings, etc.).
Peu de soumissionnaires
«Les projets qui dépassent ce maximum (1 milliard de dollars) perdent non seulement l'avantage financier en termes de taille et d'échelle, mais ils découragent aussi les soumissionnaires incapables de faire des propositions pour des projets d'une telle ampleur», ont indiqué des responsables du ministère de la Santé britannique aux dirigeants du CHUM et du CUSM, qui sont allés à Londres l'année dernière.
«Cette situation entraîne une diminution de la concurrence (entre soumissionnaires), ce qui est nuisible pour le secteur public, ajoute le compte rendu de la visite, daté de septembre dernier. De façon semblable, les gros projets de remise à neuf, tel le Barts NHS Trust (un grand hôpital de Londres), se sont révélés excessivement compliqués, longs à préparer et coûteux.»
«Un des avantages significatifs des PFI (ou PPP) est de transférer les risques de dépassements de coûts au secteur privé», notent les auteurs du rapport. Ça, c'est la théorie. En pratique, des problèmes surviennent, «si bien que cet avantage est moins élevé que prévu».
Au départ, l'hôpital et le consortium privé s'entendent sur des plans et sur des clauses. Mais ceux-ci sont rarement assez détaillés (ils le sont d'autant moins quand les projets sont très complexes). «Résultat: l'hôpital est obligé de payer pour des extras, ce qui augmente significativement les coûts. Le transfert prévu de risque au secteur privé pour les coûts plus élevés de construction ne se réalise pas.»
Le voyage a été organisé par le président du CUSM, Arthur Porter. La délégation comptait plusieurs dirigeants du CUSM, mais aussi Denis Roy et Sylvain Villiard, respectivement directeur général et directeur général adjoint du CHUM, ainsi que John Gauvreau, haut fonctionnaire du ministère de la Santé du Québec.
La délégation a aussi rencontré des directeurs d'hôpitaux britanniques. Ces derniers ont exprimé plusieurs réserves. «Les critiques les plus significatives envers le modèle du PFI (ou PPP) ont été formulées par les PDG des hôpitaux- des critiques reconnues par les représentants du ministère de la Santé- et avaient trait aux difficultés d'apporter des changements (une fois les bâtiments construits).»
Or, les pratiques médicales évoluent sans cesse. Un hôpital est un corps vivant, qu'il faut toujours transformer. En PPP, les hôpitaux sont seulement locataires des bâtiments. Les directeurs ne peuvent donc pas les réaménager selon leurs besoins. Chaque fois, ils doivent négocier avec le consortium propriétaire.
«Il faut noter que le besoin de flexibilité nécessaire pour suivre le changement fréquent de matériel (de soins) ne se manifeste pas dans plusieurs autres projets d'infrastructures, du moins pas de façon aussi impérative que dans les hôpitaux.»
Les hôpitaux sont des machines plus complexes que des autoroutes, ont souligné les Britanniques. Les directions à deux têtes (une publique pour les soins, l'autre privée pour le bâtiment) compliquent la prise de décision sur les réaménagements médicaux, ce qui augmente les coûts. Les auteurs du rapport s'interrogent aussi sur la productivité prétendument supérieure du secteur privé dans les activités non médicales.
«Une croyance veut que l'implication du secteur privé s'est traduite par des coûts réduits dans des projets PFI (PPP), par rapport aux coûts de projets d'hôpitaux créés et gérés par le secteur public, écrivent les auteurs. On nous a prévenus qu'à ce jour, aucune agence officielle d'audit n'a fait d'étude objective pour déterminer si cette affirmation est vraie.»
Le rapport reconnaît que les PPP peuvent avoir du bon, car ce mode permet au gouvernement de faire construire des hôpitaux sans alourdir sa dette. «Néanmoins, techniquement, le gouvernement n'est pas vraiment dégagé de toute responsabilité, puisqu'il ne peut légalement permettre à un hôpital de déclarer faillite.» Afin de permettre au gouvernement de ne pas s'endetter, le CUSM suggère d'émettre lui-même des obligations pour financer son nouvel hôpital, avec l'aide d'une institution financière.
Aucun projet aussi gigantesque que la construction de deux grands hôpitaux universitaires n'a encore été fait en PPP au Canada, souligne par ailleurs Éric Pineault, professeur à l'UQAM spécialisé dans ce domaine. M. Pineault affirme que les PPP reviennent plus cher que la gestion publique, ne serait-ce que pour une raison bien simple: aucun consortium privé ne peut emprunter à un taux d'intérêt aussi bas que le gouvernement.

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André Noël30 articles

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André Noël a étudié en géographie à l'Université de Montréal et en journalisme à Strasbourg. Après avoir été rédacteur à la Presse canadienne, il est entré à La Presse en 1984. Il a toujours travaillé dans la section des informations générales, où il a mené des enquêtes très variées.





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