Cowboy Avenir Québec

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On demande à voir





Mon collègue Sylvain Lévesque pourra me qualifier d’esprit chagrin, mais pour ma part, je ne suis vraiment pas impressionné par la nomination de Sonia Lebel au cabinet de François Legault.


C’est plutôt le contraire en fait. J’ai toujours trouvé que l’arrivée de Me Lebel au poste de procureure en chef de la commission Charbonneau — en remplacement de Denis Gallant, parti travailler à la Ville de Montréal — coïncidait avec le moment où cet exercice avait sombré dans les eaux troubles du n’importe quoi.


Sonia Lebel s’est rapidement fait remarquer par son style plutôt « cowboy » dans la gestion de sa preuve devant la commission. Se conduisant tantôt comme une malapprise face à Michel Arsenault, elle se montre parfois tout miel avec Nathalie Normandeau.


(Le commentaire de Luc Lavoie, plus connu pour ses sympathies fédéralistes que syndicales, est très éloquent à ce sujet. C’est ici.)


Or, Me Lebel a l’air un peu fou aujourd’hui, parce que ce n’est pas le premier, mais la seconde qui fait face à des accusations criminelles.


Les omissions


Sur plusieurs aspects, on reste avec le sentiment que la commission Charbonneau demeure un exercice inachevé.


Lors de sa nomination, Me Lebel s’est capitonnée en disant qu’elle ne parlerait jamais de ce qu’elle a appris comme procureure. Elle était pourtant beaucoup plus loquace devant Nathalie Petrowski, qui percevait déjà qu’elle aimait l’attention qu’on lui portait et à qui elle confiait qu’elle était en réorientation professionnelle.


La nouvelle discrétion de Sonia Lebel lui évite commodément de nous dire pourquoi elle n’a jamais cité à comparaître Marc Bibeau, PDG de Shockbeton et grand argentier du Parti libéral. De même, on ne saura jamais pourquoi aucun chef politique, pas même Jean Charest, n’a été invité à témoigner, même si certains ont reçu des avis de blâme de la commission. Mon ancienne patronne, Pauline Marois, se serait présentée volontiers. Les gens qui n’ont rien à cacher sont à l’aise avec ça.


Aujourd’hui, Sonia Lebel atterrit à la CAQ après, raconte-t-on, avoir effectué, tel l’étudiant dans un centre d’achat, une tournée avec des CV dans une grande enveloppe. Après avoir visé la direction de l’UPAC ou un poste à la magistrature, elle adopte une posture qui permet de se questionner sur l’indépendance avec laquelle elle a mené son travail à la commission.


Arroseuse arrosée


Le moment marquant qui convainquit plusieurs observateurs que Me Lebel ne savait pas trop ce qu’elle faisait comme procureure de la commission Charbonneau, c’est lorsqu’elle fit témoigner le mythomane confirmé Gilles Cloutier.


Elle semblait bien s’entendre avec l’homme qui racontait avoir participé à de nombreuses magouilles, que l’avocate, complice, se permettait de qualifier de « crossettes », dans le style élégant qu’on lui connaît.


Le témoin était loquace et vantard et Me Lebel prenait un plaisir manifeste à le voir additionner ses allégations, notamment à l’encontre de l’ancien ministre Guy Chevrette.


Hélas, certaines de ses affirmations furent taillées en pièce par les représentants des autres parties, entre autres quant à la propriété d’une maison dans Charlevoix. Tant et si bien que le témoin-chouchou de la procureure dût lui-même admettre, penaud, qu’il avait menti. Deux citoyennes disent d’ailleurs avoir mis la commission en garde contre la crédibilité de M. Cloutier.


On apprit plus tard que Gilles Cloutier fut arrêté pour une quinzaine d’allégations de parjure lors de son témoignage. Cette révélation manqua de faire capoter le procès de Boisbriand, dont il était également un acteur central.


Les vidéos de l’interrogatoire démontrent que Gilles Cloutier aurait rapporté des propos intéressants que Sonia Lebel lui aurait tenus : « Fais-toi en pas avec ça, c’est pas grave. Je te comprends. Tu as été 27 ans à dire ta maison. T’aurais pas dû dire que t’étais propriétaire. Fais-toi en pas, pis on va continuer. » Il aurait également affirmé avoir « une très bonne relation » avec Me Lebel et qu’il avait préparé sa comparution en allant « pratiquer le dimanche avec Sonia ».


La commission Charbonneau s’est empressée, à raison, de défendre le rôle joué par sa procureure en chef, laquelle aurait été prête à témoigner pour s’expliquer et démontrer son intégrité dans son travail.


À la fin, Gilles Cloutier était sans doute un individu peu crédible, quoiqu’aucune accusation de parjure ne fut retenue contre lui. N’empêche que de voir Sonia Lebel accourir au tribunal pour démentir les prétentions d’un homme à qui elle avait permis avec tant de légèreté de déballer son sac procure un certain plaisir que nous qualifions parfois en langue française en utilisant un mot sanskrit : karma.


Le cowboy en chef


Depuis qu’il est chef de la CAQ, c’est beaucoup comme ça que François Legault dirige. En sautant d’un sujet à l’autre et en présentant des vedettes, sans trop savoir ce qu’il en fera.


Avant l’élection de 2012, il considérait la corruption comme un enjeu secondaire, avant d’en faire une priorité en recrutant Jacques Duchesneau. Son éphémère passage en politique vira en eau de boudin, après qu’il se fut lancé dans une série d’allégations douteuses liant André Boisclair au crime organisé.


L’histoire ne risque que de se répéter, ici. François Legault faisait de l'économie et de l'identité ses priorités. Voilà qu'il revient à la corruption, à la faveur d'une grosse prise.


La CAQ ne manque pas de cowboys. Avec un chef qui a voulu passer pour Donald Trump pendant une semaine ; Nathalie Roy qui a demandé d’interdire le burkini avant de se faire expliquer que ça ne se pouvait pas ; Mathieu Lemay qui avait dû s’excuser après avoir énoncé une théorie du complot liant le gouvernement à Pétrolia ; Simon Jolin-Barrette qui pousse le bouchon plus loin quand il est couvert par l’immunité parlementaire que devant les journalistes ; François Paradis qui fait dans le vidéo human avec le pauvre monde.


La CAQ a besoin de se professionnaliser, pas l’inverse. Avec Sonia Lebel, on nous annonce la volonté de rester dans l’à peu près, dans la politique qui se fait en claquant des doigts.


C’est bon pour une couple de cycles de nouvelles, mais ça finit toujours de la même manière : le cowboy tombe en bas de son cheval.


Sonia Lebel, la première, devrait savoir que c’est souvent ce qui arrive. François Legault, quant à lui, semble ignorer que, la folie, c’est de toujours refaire la même chose en espérant un résultat différent.



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Claude Villeneuve137 articles

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L’auteur est blogueur au Journal de Montréal et au Journal de Québec. Il a été président du Comité national des jeunes du Parti Québécois de 2005 à 2006 et rédacteur des discours de la première ministre Pauline Marois de 2008 à 2014.





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