Éric Desrosiers - On a cru un moment que la preuve avait été faite que l'une ne pouvait pas aller sans l'autre. Mais de plus en plus de gouvernements laissent entendre maintenant que la démocratie n'est pas nécessaire au développement économique.
Le premier ministre, Stephen Harper, s'est trouvé une nouvelle raison, la semaine dernière, pour justifier l'arrêt prolongé de toutes les activités du Parlement canadien. Les nombreuses critiques des partis d'opposition et les menaces de vote de confiance créeraient, selon lui, un tel climat d'incertitude politique que les marchés financiers en seraient tout retournés. Après avoir d'abord soutenu que la 40e législature avait besoin de repartir à neuf puisque le plan de relance économique du gouvernement a été mis en oeuvre, il dit maintenant que ses ministres rempliront mieux leur devoir s'ils ne sont pas tout le temps dérangés par le blabla des élus du peuple.
On apprenait le lendemain que Google menaçait Pékin de fermer son portail Internet en Chine si le régime continuait de le soumettre à sa censure. Qualifié par certains analystes d'opération de relations publiques, ce geste de rébellion frappait tout de même les esprits, ne serait-ce que parce qu'il est tellement inhabituel, ces temps-ci, parmi les compagnies et les gouvernements.
Les deux événements ont peu de chose en commun sinon qu'ils opposent tous deux la démocratie au développement économique. Après l'effondrement du bloc communiste, tout le monde semblait convenir que l'une ne pouvait pas aller sans l'autre. Pour certains, le lien de causalité allait de la croissance économique vers la démocratie, la première amenant le confort matériel, la sécurité, la stabilité, et l'appareil gouvernemental nécessaires à la mise en place de la seconde. Des exemples classiques étaient des pays comme l'Espagne ou la Corée du Sud. Pour d'autres, la relation allait dans l'autre sens, la démocratie permettant de libérer les forces vives nécessaires au développement économique. La Russie a voulu suivre cette voie dans les années 90. D'autres, enfin, se contentaient de constater que l'une venait généralement avec l'autre, rappelant, par exemple, que jamais n'avait-on vu de démocraties se faire la guerre entre elles ou encore que presque toutes les économies les plus performantes étaient des démocraties.
La démocratie n'a plus la même cote de popularité qu'auparavant, a rapporté la semaine dernière l'organisation américaine Freedom House. Les droits politiques et les libertés civiles ont reculé en 2009 pour la quatrième année de suite dans le monde. Le nombre de démocraties électorales (116) est le plus faible en 15 ans. Visant la Chine et la Russie sans les nommer, l'ONG américaine a déploré notamment que «les régimes autoritaires les plus puissants soient devenus plus répressifs, plus influents sur la scène internationale et moins enclins au compromis».
Il y aurait toutes sortes de raisons à cela. La pitoyable débandade des démocraties occidentales durant la crise financière n'a rien fait pour démontrer la supériorité de leur modèle économique et politique. Le fait que les pays développés en avaient déjà plein les bras avec leurs propres problèmes économiques a sans doute permis aussi à des autocrates de s'offrir des écarts de conduite plus grands qu'à l'habitude. Les dernières interventions des puissances occidentales dans des pays étrangers au nom de la démocratie, notamment en Irak, n'ont pas toujours aidé non plus à démentir les soupçons des plus cyniques. Mais plus important encore, il ne fait pas de doute que la Chine, et sa spectaculaire croissance économique dans une poigne de fer politique, en font réfléchir plus d'un.
Quand même
L'exemple chinois montre pourtant bien aussi comment l'arbitraire et le secret des dictatures sont un terreau fertile pour ce cancer économique qu'est la corruption. Tout le monde voit bien, également, que pour continuer de croître, elle aura besoin de renforcer son État de droit, en matière notamment de droit contractuel et de propriété, de tribunaux indépendants. Pour passer à une économie de services à plus grandes valeurs ajoutées, elle aura besoin aussi d'une main-d'oeuvre formée et d'une plus libre circulation de l'information.
On a l'habitude de dire que les dictatures prennent des décisions de façon plus efficace et qu'elles assurent une plus grande stabilité. Mais leur allergie au débat public augmente aussi leur propension à commettre des erreurs en plus d'empêcher la population de se débarrasser des dirigeants incompétents. Quant à la stabilité, elle est au contraire généralement plus faible dans un pays dont le despote peut faire et défaire les règles du jeu d'un simple coup de crayon que dans un pays dont le gouvernement doit d'abord convaincre une majorité de citoyens. La démocratie a amené la plupart des gouvernements à mettre en place des mécanismes de redistribution de la richesse et de filet social qui se sont également avérés très utiles pour maintenir leurs économies à flot durant la dernière crise.
Mais les gens n'aspirent pas seulement à la démocratie pour des raisons économiques. Cela a même beaucoup plus à voir avec la justice, la liberté, l'équité et la dignité.
L'histoire ne dit pas comment M. Harper a reçu les résultats des premiers sondages réalisés après sa décision de proroger le Parlement. Sa popularité au pays serait tombée de sept points depuis novembre, à 44 %, rapportait la semaine dernière une enquête La Presse canadienne-Harris-Décima, soit quatre points de moins que la proportion de Canadiens ayant une opinion défavorable à son égard (48 %).
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