Ce qu’il reste de nous au 400e de Québec

Des symboles nationaux confisqués

Québec 400e - imposture canadian

Il y a un mois, j'ai envoyé aux médias un texte de mon cru qui résume
toute l'indignation que provoque chez moi et chez bien des gens le choix
qu'a fait la Société du 400e anniversaire de Québec d'ignorer les symboles
nationaux de Québec et du Québec. L'observation de l'évolution de la
situation de septembre 2007 à juin 2008 a donné un pamphlet que j'ai par la
suite soumis au Conseil de la souveraineté de la capitale nationale, dont
je fais partie, afin de le hisser au rang de manifeste.
Jean-François Vallée
_ Secrétaire du Conseil de la souveraineté de la capitale nationale

« Je te ferai, Terre de Québec, lit des résurrections
Et des mille fulgurances de nos métamorphoses ».
_ Gaston Miron, « L’octobre », L’Homme rapaillé, 1970.
« C’est un peuple sans histoire et sans littérature ».
_ John George Lambton Durham, Rapport sur les affaires
de l'Amérique du Nord britannique, 1839.

La forme comme le fond des festivités du 400e donnent la très forte
impression que le gouvernement de Stephen Harper, qui reconnaît d’un côté
le Québec comme une nation, le nie de l’autre. À vrai dire, tout se passe
comme s’il récupérait cette occasion pour mieux banaliser l’identité
québécoise. De deux choses l’une : ou bien Ottawa s’est livré à un chantage
en acceptant de faire pleuvoir les millions dans les coffres de
l’organisation du 400e à condition que rien dans les célébrations ne fasse
allusion à la fleur de lys ou au bleu du drapeau du Québec, ou bien les
dirigeants du 400e se sont simplement censurés eux-mêmes, comme des grands,
sans l’aide du fédéral.
Quoi qu’il en soit, depuis les libéraux de Jean Chrétien, le ton et la
manière ont changé dans le camp fédéraliste. Des commandites grossières qui
crevaient les yeux, on est passé à une stratégie plus subtile visant à
gommer la réalité québécoise derrière une aura démocratique. Depuis leur
Grande Frousse de 1995, leur emprise s’est resserrée. Les Québécois avaient
jusque-là de peine et de misère réussi à aménager à leur convenance la
chambre exiguë de la Grande Maison canadienne où on les tolère. Ils étaient
autorisés à choisir autant les meubles que le décor, à aménager l’intérieur
à leur guise dans les strictes limites de leurs petits moyens de province
provinciale. Mais dans le camp de la feuille d’érable, on a fini par
craindre que les débats qui s’y tenaient parfois à huis clos soient de
nature à fomenter sinon des révolutions, du moins une critique trop
radicale du fédéralisme centralisateur que libéraux et conservateurs
défendent tous deux. À redouter surtout qu’un troisième référendum, gagnant
celui-là, soit en gestation au sein de ce peuple qu’on n’aime jamais autant
que quand il se tient bien tranquille. Il ne faudrait pas que des
descendants de conquis se prennent pour d’autres, tout de même !
Anxieuses à l’extrême, les forces fédéralistes ont délégué leur
lieutenant, Jean Charest, qui permet depuis au point de vue fédéraliste de
s’exprimer dans toute sa puissance jusque dans les moindres recoins la
petite chambre québécoise. C’est ce même Jean Charest qui ne dénonce jamais
l’absence totale des couleurs québécoises dans la publicité du 400e. C’est
ce Jean Charest aussi qui a réintroduit le drapeau du Canada au Salon du
Conseil législatif de l’Assemblée nationale. C’est ce Jean Charest encore
qui s’est écrasé devant Michaëlle Jean en France. C’est ce Jean Charest
enfin qui se tait quand Stephen Harper, en véritable contorsionniste de
l’histoire, récupère pour le compte de l’État canadien la fondation de
Québec en 1608. Rien, vraiment rien ne rebute ce Jean Charest, qui vient
tout juste de céder la compétence québécoise en matière de francophonie à
Ottawa, nous assurant d’un sommet de la Francophonie bilingue (!) en
octobre…
A-t-on déjà vu de mémoire d’homme un premier ministre québécois agir et
parler exactement comme s’il n’était qu’un ministre fédéral rompu aux
courbettes devant les propos du premier ministre canadien ? Jamais depuis
1867 la fonction de premier ministre québécois n’a été aussi honteusement
rapetissée qu’entre les mains de quelqu’un qui n’aspire comme lui qu’aux
plus hautes fonctions fédérales.
L’infiltration identitaire canadienne, avant le 31 décembre 2007, s’est
révélée insidieuse et peu visible. Même les historiens les plus attentifs
continuaient à « faire confiance » aux organisateurs. Tant de
souverainistes –dont nous sommes- étaient de bonne foi et laissaient sa
chance au coureur, souhaitant sincèrement fêter sans amertume. Puis, le
spectacle d’ouverture est venu, comme un gros nuage noir, assombrir même
les espoirs les plus modestes. Allions-nous une fois de plus assister à des
célébrations donnant l’impression que nous formons un peuple sans histoire
et sans littérature ? Cette soirée a bruyamment illustré, dans un
déferlement d’effets spéciaux des plus spécieux , le prodigieux vide
identitaire que cachaient sa grandiloquence et ses prouesses techniques
mêmes. On n’assistait pas, loin de là, à la mise en scène des 400 ans
d’histoire d’un peuple, mais seulement à un spectacle tape-à-l’œil coupé de
toute racine, sans lien autre que superficiel avec le peuple qu’il était
censé représenter. Une fois par siècle, on n’a même pas le droit, au si peu
pays du Québec, de se regarder un peu le nombril ! Il faut, encore et
toujours, regarder les nombrils des autres, c’est-à-dire être
in-ter-na-tio-nal.
Devant le tollé populaire légitime, la Société du 400e s’est contentée de
grossir le chiffre « 400 » du logo, qu’on prétendait pourtant jusque-là
impossible à changer. Ce faisant, on a soigneusement évité de toucher à la
question centrale, celle de l’absence de nos signes nationaux,
définitivement bannis parce que jugés trop « politiques ». « Il est trop
tard », nous répondait-on quand on réclamait l’ajout de quelque chose de
québécois là-dedans. On comprend vite que cela veut plutôt dire : « On nous
l’a interdit », ou « Nous sommes muselés », ou encore « On ne va tout de
même pas mordre la main qui nous nourrit ». Triste sort que celui d’un
peuple condamné à croire que l’argent qu’on lui retire de ses impôts ne lui
appartient plus, et qui remercie son bienfaiteur de lui en saupoudrer des
miettes assorties de conditions humiliantes ! On est même allé jusqu’à
forcer Canadian Tire, distributeur des produits du 400e, à faire retirer
une affiche « bleu Québec » représentant la Grande Hermine de Jacques
Cartier : cette couleur n’était pas « autorisée » par l’organisation, nous
a-t-on confirmé ! Le 400e a même refusé de s’associer au congrès des
familles souches du Québec, à celui de l’ACFAS, ou de souligner le 20e
anniversaire de la mort de Félix Leclerc le 8 août 2008. Félix Leclerc : «
trop politique » lui aussi… non mais !
Tout cela pour dire que les Québécois se retrouvent maintenant avec un
logo arc-en-ciel sans autre référent que lui-même. Le comble : les deux
couleurs principales des oriflammes et fanions officiels, le rose et le
orange, sont celles de la ville d’Ottawa (voir www.tourismeottawa.com). Les
tergiversations entourant le choix d’une fleur du 400e, de la tulipe à la
rose (fleurs emblématiques d’Ottawa et de l’Angleterre), illustrent la
force de la censure qui prévaut au 400e.
Tous les Québécois savent pourtant que leur emblème floral est l’iris
versicolore, sauf semble-t-il au 400e. Pourquoi être ainsi aveugles à
l’iris ? Cette splendide fleur a le défaut d’arborer un bleu proche de
celui du drapeau du Québec; Ottawa aurait sans doute mis en pénitence nos
organisateurs grassement payés s’ils avaient osé ainsi s’abaisser aux
couleurs québécoises. Beau paradoxe : un peuple existe pendant 400 ans mais
ne laisse aucune trace récupérable pour incarner son identité. C’est si
vrai qu’un étranger qui voit aux nouvelles l’édifice Marie-Guyart illuminé
de son 400 multicolore (un vrai « complexe » G) ne dispose d’aucun indice
pour deviner de quelle ville on parle. Quarante années de rêves collectifs
et de gestes concrets portés précisément par une vague identitaire sans
précédent se seraient-elles lamentablement fracassées sur les récifs
pourtant prévisibles de ses adversaires coalisés, les Harper, Charest et
Jean ?
Jusqu’ici, rien n’est parvenu à ébranler le mur lisse du silence derrière
lequel les porte-parole du 400e ont enfoui cette question pourtant
cruciale, fondamentale, incontournable. Elle les rattrapera tôt ou tard. Au
400e, on croise les doigts pour qu’aucune voix ne s’élève devant la vacuité
de la cacophonie d’événements concoctés pour mieux cacher l’essentiel :
qu’un peuple, en ce moment et sous nos yeux, tente très concrètement
d’effacer les traces distinctives d’un autre. Leur réussite leur donnera
carte blanche pour célébrer en 2009 le 250e anniversaire de la victoire
anglaise de 1759 en noyant les Québécois sous les drapeaux unifoliés et les
Union Jack sur le site même de leur défaite passée… Les plaines d’Abraham
Martin, là où déjà la feuille d’érable flotte sans partage, outrageusement.
Ils ont déjà commencé : le legs d’Ottawa à Québec consiste en un centre
d’interprétation exclusivement dédié à la Conquête et situé à l’anse Brown,
tout près de l’Anse-aux-Foulons, faille menant aux hauteurs de Québec par
où pénétrèrent les Anglais aux ordres de Wolfe. C’est précisément cette
attitude qui nous force à les décevoir.
Que nous faut-il de plus pour réagir ? Le temps n’est plus à la réflexion
mais à l’action. Pour nous, la preuve est faite : le 400e a délibérément
choisi d’accepter de cacher le principal acteur ayant vécu les 400 années
qu’on célèbre, c’est-à-dire le peuple québécois lui-même. Le Conseil de la
souveraineté de la capitale nationale en appelle à l’union des forces vives
du Québec pour contrer cette inacceptable intrusion fédérale. Déjà,
l’indignation face à la sinistre farce du 31 décembre a pris des formes
concrètes, comme la naissance du Réseau de résistance du Québécois, qui
milite sur le terrain, de l’Autre 400e, et celle du Collectif commémoration
Québec 1608-2008, qui tente de redonner au 400e des couleurs plus
québécoises. Nous applaudissons à ces louables initiatives. Avec eux, il
nous faut à tout prix empêcher les forces fédéralistes de laisser leur
grossière empreinte prendre toute la place dans une fête qui nous concerne
tous.
Une bataille identitaire bat son plein sur notre propre terrain : cette
fois, on ne pourra pas nous accuser d’avoir déclenché les hostilités.
L’enjeu de la lutte : faire disparaître les symboles québécois au profit
des symboles canadiens. Pierre-Eliott Trudeau serait content de voir à quel
point ses successeurs emploient les mêmes procédés musclés de négation de
la nation minoritaire. Tout au long des festivités, les Québécois de cœur
doivent être présents en masse pour faire entendre au monde entier qu’il
existe aujourd’hui autre chose que des Canadiens français soumis et dociles
dans leur ville, qui est aussi une capitale, ce sur quoi on insiste
d’ailleurs très peu au 400e. Capitale où, le 3 juillet, le fédéral ne se
gênera pas pour faire retentir les bruits de bottes alors que tous les
sondages montrent que les Québécois sont à plus de 70 % opposés à la guerre
en Irak autant qu’à la présence du Canada en Afghanistan. Reconquérir notre
capitale quand nous sommes des pacifistes… Misère : c’est ce à quoi notre
histoire nous condamne justement depuis toujours. Et qu’aucun spectacle
festif à la sauce 400e, même bien arrosé, ne nous fera oublier.
Nous convions tous les Québécois fiers de leur histoire, qu’elle soit à
l’origine française, amérindienne, écossaise, irlandaise, anglaise ou
autre, peu importe, à joindre nos rangs. Autrement, si rien ne bouge, aussi
bien remettre tout de suite les clés de Québec à Stephen Harper. Lui saura
quoi en faire. Des citoyens qui ne bronchent pas quand on ignore ce qui les
caractérise, c’est-à-dire une langue, une culture et une histoire
distinctes, ne méritent rien de mieux.
Nous ne voulons plus donner de coups d’épée dans l’eau. Nous voulons des
réponses franches, directes et honnêtes de la direction du 400e à toutes
ces questions que de plus en plus de Québécois se posent devant ce
quatrième centenaire qu’on leur a transformé en gros festival d’été.
Jean-François Vallée, membre du C.A. du Conseil de la souveraineté de la
capitale nationale
Cosignataires : Jacques Beaumier, Francine Lavoie, Jean Roy, France
Salvaille, tous membres du C.A. du CSQ.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --

Featured 22fbb88912f1dbce87e719bb999b55c4

Jean-François Vallée91 articles

  • 89 132

Jean-François Vallée est professeur de littérature québécoise et française au niveau collégial depuis 1995. Son ambition de pédagogue consiste à rendre les étudiants non seulement informés mais objectivement fiers de la culture dans laquelle ils vivent. Il souhaite aussi contribuer à les libérer de la relation aliénante d'amour-haine envers leur propre culture dont ils ont hérité de leurs ancêtres Canadiens français. Il a écrit dans le journal Le Québécois, est porte-parole du Mouvement Quiébec français dans le Bas-Saint-Laurent et milite organise, avec la Société d'action nationale de Rivière-du-Loup, les activités de la Journée nationale des patriotes et du Jour du drapeau.





Laissez un commentaire



1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    24 juillet 2008

    Quel symbôle visible voyons-nous, à Québec, lorsque l'on prend le temps de faire le tour de la Ville de Québec ?
    La réponse : le chiffre 400.
    On fête le 400e.
    Il était entendu lors de la signature des protocoles d'entente entre la Société du 400e et le gouvernement d'Ottawa que le Fédéral devait avoir une place égalitaire à celle qu'avait la gouvernement de Québec.
    La Ville de Québec a également souscrit au même protocole.
    Si on avait vu de façon plus ou moins importante le drapeau du Québec ou le drapeau de la Ville de Québec, il aurait fallu voir de façon égalitaire de drapeau de leur Canada.
    Alors, tout ce qui est distinctif au Québec est disparu jusqu'au jour ou Paul McCartney a brandi le drapeau du Québec sur la scène devant la foule que l'on connaît.
    Bien sûr on a vu le drapeau du Québec lors de la Fête Nationale du Québec.
    La Fête Nationale de leur Canada devait nécessairement voir des drapeaux du Canada. Des manifestants ont montré le drapeau du Québec.
    Le moment fort qui a marqué la participation généreuse des Québécois et des Québécoises, c'est la présentation du Moulin à Images de Robert Lepage qui semble faire l'unanimité par la révélation d'un contenu qui permet à la population de Québec de se reconnaître dans des événements qui se sont produits au cours des ans ici même à Québec, dans la Ville de Québec, capitale du Québec. L'adoption du Fleurdelysée au Parlement de Québec a été soulignée.
    Le Moulin à Image je le compare en quelque sorte à TERRE DES HOMMES réalisé à Montréal. Cette réalisation a permis à chacun et chacune du Québec de passer quelques heures, quelques jours, quelques mois, à vivre de bons moments. Tous les soirs, à 22hres, la présentation de l'Histoire des quatre cents ans de Québec, des Québécois et des Québécoises se fait en quelque 48 minutes. On peut y retourner autant de fois que l'on veut et cela permet d'approfondir chacun des éléments présentés. La présentation se fera jusqu'au 23 août.
    Il n'y a pas de paroles. On y entend le début de la chanson À Québec au clair de lune, un moment donné.
    De belles réalisations, de belles créations, de beaux espaces, de beaux spectacles.
    L'essence de la fête qui viendrait du coeur, vers des aspirations plus ou moins grandioses, importantes... cela n'existe pas.
    « La fête de la Montagne » à Montréal où tout le monde s'est rassemblé quelques jours pour une sorte de libération, une sorte de prise de conscience de notre entité qu'on assumait... Non, nous n'avons rien eu de cela jusqu'à présent.
    On se « pette les bretelles » dans certains milieux pour des succès croyants qu'ils sont porteurs d'avenir. L'avenir nous le dira sans doute ?
    Rien n'attache la sensibilité du peuple. C'est un gros party.
    C'était l'occasion rêvée d'unifier le peuple du Québec. On nous a volé ce moment précieux pour nous donner du « pain et des jeux ».
    C'est le 400e. De qui ? De quoi ?
    C'est juste l'occasion de voir et de vibrer, le moment qui est là lorsqu'il est là.
    Le peuple assiste trop souvent, passivement à ce qui est présenté. La foule présente lors des spectacles n'est pas un peuple. On est là, individuellement, profitant du moment présent.
    Le peuple n'est pas partie prenante de ce qui se déroule, sauf pour ceux et celles qui donnent leur temps et leurs énergies comme bénévoles.
    On ne peut en vouloir aux organisateurs qui ont su, finalement, tirer correctement leur épingle du jeu.
    Nos représentants du PEUPLE ne nous ont pas fourni l'occasion de nous manifester et de se réjouir en qualité de PEUPLE, en qualité de NATION, et encore moins, en qualité de PAYS.
    Bon 400e.
    Robert Bertrand, rédacteur,
    Québec un Pays
    http://cf.groups.yahoo.com/group/Pour-le-Pays-du-Quebec/