Dans le journal [Le Devoir du 6 septembre 2007->8875], l’éditorialiste, Jean-Robert Sansfaçon, rapporte que les pressions se font de plus en plus fortes sur les dirigeants de la Bourse de Montréal pour qu’ils acceptent une fusion avec Toronto. «Il y a quelques jours encore des actionnaires des deux Bourses ont tenu une conférence téléphonique au cours de laquelle ils ont envisagé ce scénario. Québec doit veiller au grain».
Il y a quelque temps, l’Institut économique de Montréal demandait que soit relancé le débat sur la privatisation d’Hydro-Québec.
Coïncidence! Pourquoi pas la privatisation de la Caisse de dépôts et de placements du Québec (C.P.D.-Québec) et de l’Assurance automobile du Québec (SAAQ)?
Abattons les institutions québécoises.
Il faut dire que cette opération s’inscrit dans le processus de déstructuration du développement et de l’économie du Québec lors de la Révolution tranquille, contrairement à ce qui est véhiculé.
Dans l’ordre de la déstructuration économique de Montréal et du Québec, faisons un rappel de certains dossiers qui devaient être structurants.
[->archives/ds-federation/index/nationalisme.html#mirabel]En premier lieu, vient l’affaire de l’aéroport de Mirabel inauguré en 1995 et qui s’est avéré un fiasco pour le Québec et Montréal, en même temps qu’une vaste arnaque à laquelle j’ai assisté à titre de Secrétaire du Comité d’orientation fédéral-provincial de la Zone spéciale du Nouvel aéroport international de Montréal et membre suppléant au Comité d’exécution de ladite Zone. En effet, dans les dernières années de la décennie de 1960, le gouvernement fédéral du Canada, pour éviter le mécontentement en Ontario ou au Québec, procède à l’expropriation de terres agricoles à Pickering (Ontario) et à Mirabel (Québec) en vue de l’établissement de super-aéroports du futur pouvant recevoir, disait-on, le trafic de l’Atlantique-Nord, ses millions de passagers par année et ses grandes quantités de fret par avion tout cargo, le tout accompagné des activités de transbordement, de distribution et de manufacturing (T.D.M.).
Après avoir écarté la proposition du Québec qui voyait cet aéoroport dans la région de Saint-Hyacinthe présentant certains avantages comme la proximité d’autoroutes, du chemin de fer, déjà implantés, le gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau décide d’établir le nouvel aéroport à Mirabel.
En cours de constrution et pour répondre aux revendications de l’Ontario et de sa puissante communauté des affaires, le gouvernement fédéral accorde à l’aéroport de Toronto (Pearson) la 5ième liberté (Accord relatif au transport aérien, signé à Chicago le 7 septembre 1944) en droit aérien que seul l’aéroport de Montréal (Dorval, et maintenant Pierre-Elliott Trudeau) avait jusque-là et qui avait justifié la décision de construire l’aéroport de Mirabel. Dorénavant, les transporteurs aériens étrangers auront le droit d’embarquer et de débarquer des passagers, du courrier et des marchandises non seulement à Montréal mais aussi à Toronto qui, de fait, a attiré chez elle la plupart des transporteurs.
Ainsi, le 28 octobre 2004, Pierre Jeanniot, ancien haut dirigeant d’Air Canada, à l’occasion des derniers vols passagers à Mirabel, disait (Téléjournal, R.D.I. du jeudi 28 octobre 2004, 21h.) «qu’en accordant cette possibilité à Toronto, le nouvel aéroport de Mirabel était devenu à toute fin pratique inutile avant même son inauguration officielle en 1975». D’ailleurs, c’était tellement évident qu’à ce moment-là le Réseau express Montréal-Mirabel (REM) n’était pas construit bien qu’une gare ait été aménagée en sous-sol de l’aérogare et que la plus importante des dessertes autoroutières (A-13) n’avait pas été complétée jusqu’à l’aérogare.
Enfin, le 18 novembre 2004, l’Autorité aéroportuaire de Grand Toronto dévoile un projet d’aéroport à Pickering sur les terrains expropriés dans les années 60 et n’ayant pas été rétrocédés. (Téléjournal, R.D.I. du mercredi 17 novembre 2004, 21 h. et Presse canadienne, Un nouvel aéraport à Toronto, Journal de Montréal du jeudi 18 novembre 2004.
Trente ans plus tard, Toronto obtiendra-t-elle l’aéroport qu’elle n’a pas obtenu dans les années 60 en profitant de la fermeture partielle de Mirabel par l’arrêt des vols passagers dont les présages n’ont jamais fait de doute? C’est un premier cas de déstructuration.
De plus, l’année 1976 se signale par l’affrontement entre les contrôleurs aériens anglophones et l’Association des gens de l’air qui réclame la francisation de l’espace aérien. Ottawa cède pour un temps aux pressions des pilotes et des contrôleurs anglophones. Cette bataille des gens de l’air révèle, à son tour, jusqu’à quel point la langue française devient un enjeu politique et un symbole de l’identité québécoise. Somme toute, l’avenir du peuple français en Amérique se réduit non plus à l’avenir du Canada français mais à celui du Québec; la langue française se déleste de sa référence culturelle pour s’ajuster aux contours du territoire politique.
Arrivent les élections du 15 novembre 1976 où le Parti québécois dirigé par René Lévesque remporte la victoire. Il s’ensuit comme tous le savent la Loi régissant le financement des partis politiques, la Charte de langue française ou Loi 101. Elle impose l’usage exclusif du français dans l’affichage public et la publicité commerciale, étend les programmes de francisation à toutes les entreprises employant 50 personnes ou plus restreint l’accès à l’école anglaise aux seuls enfants dont l’un des parents a reçu son enseignement primaire en anglais au Québec, reconnaît comme officielle la seule version française des lois et crée les organismes de mise en œuvre de la Charte.
Regroupés au sein d’Alliance-Québec, des anglophones, comme il fallait s’y attendre, choisissent immédiatement de contester la Loi devant les tribunaux et réussissent à en faire invalider des parties. Sans tous les citer, en effet, en 1979, par l’arrêt Blaikie, la Cour suprême rend inopérant le chapitre de la Loi 101 sur la langue de la législation et de la justice comme contraire à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Ce faisant, elle élargit la portée de l’obligation du bilinguisme de l’article 133 en l’imposant aussi à la législation déléguée (règlements) et aux tribunaux administratifs. Ce n’était qu’un début de la déstructuration de la Loi 101.
En 1978, au point de vue développement économique et financier, à l’instar de l’affaire de l’aéroport de Mirabel, le Québec qui était en phase d’affirmation pour le moins dérangeante assiste, impuissant et consterné, à l’annonce par Thomas Galt, président de la Sun Life, du déménagement de la compagne d’assurance de Montréal à Toronto, prétextant que la Loi 101 de protection de langue française au Québec limite les possibilités d’embauche de personnes compétentes en anglais.
Le démembrement et la déstruration de tout le secteur financier de Montréal se poursuit inexorablement par les fermetures de la Bourse Canadienne d’abord, et ensuite, de la Bourse de Montréal par la concentration de cette activité et des opérations connexes (gestion de fonds communs, etc.) à Toronto et dans l’Ouest du Canada à l’exception de celles des produits dérivés (options et contrats à terme), embryonnaires qu’elles étaient, qui continuent à se transiger à Montréal.
Avec le succès qu’elles connaissent ces dernières années, il n’est pas étonnant que des pressions de plus en plus fortes soient faites sur les dirigeants de la Bourse de Montréal pour qu’ils acceptent une fusion avec celle de Toronto. Selon certaines informations, Michel de Walle du journal de Montréal le 28 mars 2007, disait qu’on «était plutôt mécontent de la tenue à Montréal la semaine dernière d’un événement organisé par la Bourse de Toronto pour parler, entre autres, de ses projets dans les produits dérivés» (à compter de 2009 marquant la fin de l’entente d’exclusivité de Montréal sur ces produits) avec son partenaire américain International Securities Exchange.
Si, au départ, plusieurs observateurs avaient vu dans cette entente une perte pour la Bourse de Montréal, il en fut autrement. Sa clairvoyance lui a permis d’investir dans l’informatique, de devenir chef de file en matière de plate-forme informatisée et de conclure plusieurs alliances, dont l’une avec avec la Bourse de Boston pour créer un marché d’options aux États-Unis. Elle a continué de développer ses produits, son marketing, de telle sorte que le nombre de participants étrangers, le volume des activités, les revenus et le bénéfices ont explosé en quelques années.
En plus d’augmenter sa propriété dans le Boston Exchange, Montréal a conclu une entente avec la Chicago Climate Exchange en vue de lancer le Marché climatique de Montréal où se transigeraient des quotas de carbone. Toronto regarde avec encore plus d’envie ce très gros marché.
Montréal a donc su transformer ce qui était vu comme une perte en un succès malgré qu’elle ait perdu tout le marché des actions et des opérations comme la gestion de fonds, etc. Il y a eu déstructuration du secteur financier de Montréal au profit de Toronto et n’eut été le dynamisme des dirigeants de la Bourse de Montréal, celle-ci aurait été plus grande parce que personne n’avait prévu que le secteur des produits dérivés prendrait un volume d’une telle ampleur.
Une décision sur l’avenir de la Bourse de Montréal est imminente. Il ne faut pas qu’elle quitte Montréal par fusion ou autrement ou soit amoindrie, rapetissée, car elle est une institution centrale, essentielle pour tout le secteur financier québécois (courtage, assurances). Sa direction doit conserver son autonomie, ses moyens de croître et de créer des emplois de haut niveau chez nous.
Dans le cas contraire, il n’y a pas d’autre secteur d’activité financière en vue où elle pourrait exceller afin d’éviter la déstructuration complète de tout le secteur financier à Montréal. Ce serait, cette fois-ci, pour Montréal et tout le Québec, une perte nette parce qu’il ne peut être remplacé en entier ou en partie par autre chose.
En conclusion, il m’apparaît évident qu’il y a une volonté bien déterminée et constante de déstructurer le Québec à tous les points de vue.
Bruno Vallée
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
13 septembre 2007Le plus désolant dans cette saga; c'est le silence de Pauline Marois dans ce dossier. Je m'inquiète parce que Montréal est la métropole économique du Québec. Je suis en beau maudit parce que si Marois qui dirige un parti qui nous dit vouloir faire du Québec un pays, ne dit mot sur ce dossier, comment pouvons-nous lui accorder la moindre crédibilité pour la suite des choses.
Dans un autre ordre d'idées, j'ai reçu par la poste une lettre du PQ pour le renouvellement de ma carte de membre. Après lecture du document, on n'y retrouve plus du tout le mot souveraineté. On nous parle de se gouverner pour nous-même ou par nous-même. Là on est vraiment tomber dans la langue de bois la plus totale. Je n'ai jamais vu un document aussi insipide.
J'invite mes concitoyens, encore membre du PQ, à mettre un énorme X sur ce document insignifiant et le retourner par la poste à l'expéditeur, le port étant payé avec la mention: "Non merci!."
Denis Julien Lotbinière
Archives de Vigile Répondre
12 septembre 2007Oui vous avez raison monsieur Vallée et je m'étonne qu'il n'y ait pas encore eu de réaction plus vigoureuse des dirigeants politiques et économiques québécois.
Il est clair que cette entente ne se fera jamais au bénéfice de Montréal. Toronto veut nous avaler, tout centraliser sur son nombril et stériliser nos outils d'affirmation et de développement économique. Tout le reste, les discours, les soi-disant avantages mutuels d'une fusion, etc... c'est de la frime.
Je me désole de voir à quel point nous nous sommes laissés duper au cours de notre histoire : voie maritime qui a déplacé le pôle de développement économique plus à l'Ouest, récents contrats militaires déstructurant l'aéronautique québécoise, développement de la filière nucléaire ontarienne, déménagement du laboratoire de poids et mesures fédérales de la ville de Québec vers Ottawa, etc. La liste est hélas très longue.
Merci pour votre texte.