Détenus afghans - Retour en Somalie

Harper et la torture

Les gouvernements ont beau dire, ils n'aiment pas la transparence quand des militaires, ou des policiers -- on l'a vu dans l'affaire Mahar Arar -- sont en cause. Le gouvernement Harper est toutefois passé maître dans l'art de bouder ce qui l'embête, faisant cette fois dérailler sans raison l'enquête publique sur les détenus afghans.
En février 2007, quand furent révélés pour la première fois des abus commis contre des Afghans détenus par le Canada, le ministre de la Défense d'alors, le conservateur Gordon O'Connor, avait aussitôt clamé: «Ce n'est pas la Somalie cette fois-ci.»
Ce qu'il rappelait par ces mots, c'était la manière brutale dont le gouvernement libéral de Jean Chrétien, au milieu des années 90, avait mis fin à l'enquête sur la mort, affreuse, d'un jeune adolescent somalien tombé aux mains de soldats canadiens. Il y avait quand même eu un volumineux rapport et d'importantes recommandations, mais la fin abrupte et les manoeuvres pour réduire le mandat de la commission d'enquête avaient été vivement critiquées.
Pas de ça cette fois!, assurait donc le ministre O'Connor en annonçant une enquête interne sur les mauvais traitements qu'auraient fait subir des soldats canadiens à trois prisonniers afghans. Il n'était alors pas encore question de détenus torturés dans des prisons afghanes -- cette révélation viendra deux mois plus tard --, mais le principe était posé: ce gouvernement conservateur pratiquerait la transparence en matière de dérive militaire.
Hélas, il n'y a plus de principe qui tienne en cet automne 2009. L'enquête sur les allégations de torture, entreprise il y a deux ans par la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire (CEPPM), est bloquée de toutes les façons possibles par le gouvernement: documents non transmis à la Commission en abusant du prétexte de sécurité nationale; témoins intimidés; mandat de l'enquête contesté en Cour fédérale, ce qui suspend les travaux pour des mois; annonce que de toute manière, le mandat du président de la CEPPM, Peter A. Tinsley, ne sera pas renouvelé à son échéance en décembre...
Qu'en a conclu M. Tinsley? Que tout cela nous ramenait à la Somalie et que l'absence totale de transparence règne au détriment de la règle de droit. Dans le cas présent, la coopération pourtant nécessaire du gouvernement a pris une tournure «kafkaïenne», a-t-il ajouté en ne cachant pas son mécontentement.
Kafka sera encore au rendez-vous cette semaine. Les partis d'opposition sont bien déterminés à ramener le dossier en comité parlementaire. Ils essaieront de convoquer des témoins, d'obtenir des documents. Mais le comité se butera à son tour à l'entêtement du gouvernement. Les conservateurs de Stephen Harper ont maintenant l'habitude de saboter les travaux parlementaires, comités comme période de questions, pour peu qu'ils soient mis sur la sellette.
Pourtant, l'opposition doit maintenir le cap, moins pour les réponses qu'elle réussira à obtenir que pour les questions qui seront posées. Car ce qu'il faut mettre en lumière, c'est la manière dont un gouvernement arrive à bafouer des institutions précisément vouées au bon fonctionnement de notre démocratie. L'Afghanistan semble loin, mais la manipulation de documents, le silence imposé à des témoins, le dérapage d'une enquête publique rigoureuse doit sérieusement nous préoccuper, ici et maintenant.
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jboileau@ledevoir.ca


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