Ecosse : le labo de l'implosion européenne ?

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«La politique du royaume n’est pas la politique de l’Écosse et les Écossais ne veulent pas qu’elle le devienne.»


Il n’y a pas qu’en France que les sondages font vaciller des institutions que l’on pensait solides. L’étude du Sunday Times qui promet une progression de 5 points des partisans de l’indépendance écossaise, avec pour la première fois une majorité d'habitants favorable à l’indépendance de leur pays, le tout à onze jours du référendum et avec un taux très bas d’indécis (6%), a fait frémir tout le Royaume-Uni. Et il y a de quoi. Il y a un mois les adversaires de l’indépendance fanfaronnaient du haut de leur victoire quasi-certaine. Les sondages affichaient alors un rapport 60-40 en leur faveur.  

 

Même l’annonce de la deuxième grossesse de la duchesse de Cambridge n’a pas éclipsé ce résultat des titres des gazettes britanniques — le spécialiste des têtes couronnées Stéphane Bern n'exclut pas d'ailleurs que cette annonce redonne de la vigueur aux adversaires de l'indépendance... —. C’est que, comme son nom l’indique, le Royaume-Uni est certes une monarchie, mais basée sur l’union de nations originellement souveraines et indépendantes. Unité à laquelle l’Ecosse fut la première à adhérer avec l’Acte d’Union en 1707, qui sera l’élément politique fondateur du royaume de Grande Bretagne.

 

A cela, les Ecossais seraient donc prêts et même décidés à dire adieu. La livre britannique ne s’est toujours pas remise de ce qui n’est encore qu’un sondage, annonçant les attaques qu’elle subira si, le 18 septembre, les électeurs viennent confirmer le résultat.


La politique du royaume n'est pas la politique de l'Ecosse
 

La question à laquelle devront répondre les Ecossais est on ne peut plus clair : « L’Ecosse devrait-elle être un pays indépendant ? », David Cameron ayant refusé toute concession au Premier ministre, pourtant nationaliste Alex Salmond, qui proposait une autonomie accrue des Ecossais. A l’époque, Cameron, sûr de sa victoire, ne pensait laisser aucune chance aux indépendantistes en allant jusqu’à poser la question de l’indépendance. 

 

Mais l’argument massue du leader indépendantiste écossais pendant la campagne a fait mouche : « Pendant plus de la moitié de ma vie, l’Écosse a été gouvernée par des partis que nous n’avions pas élu à Westminster ». Un slogan qui devrait faire réfléchir les Européens... Et pourtant, les Ecossais ont conservé leur propre système juridique, éducatif, religieux, leur propre politique du logement, des transports, un système de santé majoritairement public, contrairement à l’Angleterre où le privé gagne du terrain, la gratuité des soins et des universités. Des services publics largement financés par la manne pétrolière de la mer du Nord, mais dont les réserves s’épuisent : la production s'est effondrée de 50 % ces dix dernières années, et les réserves restantes sont de plus en plus difficile à exploiter. Un état de fait que David Cameron n’a pas manqué de rappeler durant la campagne : « Le Royaume-Uni est bien placé pour absorber les chocs de la volatilité du prix du pétrole qui affecteraient considérablement l'économie d'un petit pays ». 

 

Au-delà des velléités indépendantistes, c'est aussi un choix politique qui motive les Ecossais. La politique centralisatrice ultra-libérale de Margaret Thatcher, puis David Cameron, a fait des dégâts au point que le parti conservateur ne progresse plus dans le pays depuis les années 1990 alors qu’il est toujours majoritaire à Londres. La politique du royaume n’est pas la politique de l’Ecosse et les Ecossais ne veulent pas qu’elle le devienne. 

 

On en viendrait presque à comprendre la méfiance des Anglais à l’égard de la construction européenne quand eux-mêmes sont encore pris dans les affres politiques d’une union tricentenaire et loin d’être stabilisée. 


En Europe, les indépendantistes gagnent du terrain
 

D’autant qu’en Europe, les mouvements identitaires, voire séparatistes que ce soit donc en Ecosse, mais aussi en Catalogne, en Flandre, en Italie du Nord, au Pays basque espagnol, qui relèvent le plus souvent du nationalisme régional plus que de simples revendications culturelles, gagnent du terrain. 

 

En Catalogne, le 11 septembre aura lieu la Diada, la fête nationale de la Catalogne pour laquelle ses habitants se mobilisent en masse. D’autant plus cette année que le Premier ministre espagnol ne veut toujours pas entendre parler de la convocation d'un référendum le 9 novembre, appelant les électeurs catalans à choisir entre deux projets : une Catalogne séparée de l'Espagne ou un État catalan inscrit dans un cadre fédéral espagnol. Dans les sondages – en Catalogne —, les intentions de vote en faveur de l'indépendance de la Catalogne dépasse régulièrement la barre des 50 %.  

 

En Belgique, chaque élection (et pas seulement, on le sait bien) est l’occasion d’un nouveau débat sur la scission du pays. Les dernières élections fédérales belges, en mars 2014, ont vu une poussée forte des indépendantistes flamands (le NVA de Bart de Wever), arrivés en tête avec 20 % des suffrages. Depuis, la Belgique, sans tête autre que celle du roi, se cherche toujours un gouvernement. Alors que la balance penche désormais pour une coalition de droite avec les nationalistes flamands, c’est toujours le socialiste Elio di Rupo qui assure l’interim pendant les négociations. Le scénario de la scission est complexe : les cercles de réflexion séparatistes qui l’envisagent expliquent que l’un des problèmes majeurs — au delà des questions politiques et culturelles — réside dans la reprise par la République flamande d’une partie de la dette publique de la Belgique, évalué à plus de 200 milliards d’euros. 

 

L’Ecosse fait aussi rêver les indépendantistes du Sud-Tyrol italien qui organisent des voyages sur place à l’occasion du référendum, mais ne totalisent qu’un tiers des sièges du parlement local et semblent bien loin d’obtenir l’organisation d’un tel scrutin. La région a déjà obtenu une large autonomie dans les années 1970 et vote ses propres lois dans de nombreux domaines. 

 

Souvent perçue comme une dynamique portant l'effacement des frontières étatiques, la mondialisation de l’économie s’accompagne, en fait, d’un mouvement inverse de consolidation territoriale (lire à ce sujet l’Obsession des frontières de Michel Foucher), caractérisé par un repli sur les frontières. A l’heure du « sans frontiérisme » et de l’élargissement sans limites, le local devient un enjeu crucial pour les acteurs politiques qui abandonnent leurs prérogatives à des instances toujours plus lointaines, surtout quand des instances plus proches et parfaitement viables peuvent, elles, prendre le relais.


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